TRAVAILLEUR HANDICAPÉ
Pas de licenciement sans vraie recherche de reclassement

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Inapte, un travailleur handicapé ne peut pas être licencié sans que le chef d’entreprise prenne des mesures appropriées pour aménager son poste de travail ou pour lui proposer une ou des solutions de reclassement. À défaut, le licenciement du salarié peut lui coûter cher !

L’aménagement du poste de travail et l’assouplissement des conditions de travail (horaires, télétravail) sont essentiels pour améliorer la qualité de vie au travail des salariés, que ce soit à l’embauche ou lors d’un retour à son poste de travail après un accident ou un arrêt maladie, surtout lorsque ceux-ci sont en situation de handicap ou rencontrent des difficultés de santé.
L’enjeu est loin d’être négligeable. D’ailleurs, l’article L. 5213-6 du Code du travail met à la charge de l’employeur, en fonction des besoins constatés dans une situation concrète, l’obligation de prendre des mesures appropriées pour permettre aux travailleurs handicapés d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée. L’article précise que le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d’une discrimination. Cette qualification implique des conséquences graves pour l’employeur comme nous le démontre l’affaire suivante.


Salarié inapte : l’employeur licencie

Salarié dans une société de nettoyage du nord de la France, au sein de laquelle il exerce les fonctions d’agent d’entretien depuis douze ans, Monsieur X est placé en arrêt de travail le 15 juin 2010, après avoir été victime d’un accident dont le caractère professionnel sera reconnu ultérieurement par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). En décembre 2010, le salarié ayant quasiment perdu l’usage de son bras droit, obtient une reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé (RQTH) avant d’être déclaré inapte cinq ans plus tard, le 7 avril 2015. L’employeur procède à son licenciement le 26 juin 2015, en raison de son inaptitude et de l’impossibilité de le reclasser.
Mais le salarié décide de saisir la juridiction prud’homale en contestant ce licenciement, au motif qu’il serait discriminatoire. La Cour d’appel de Douai (Nord), dans un arrêt du 29 juin 2018, lui donne raison et déclare nul son licenciement. Pour la cour d’appel, l’employeur n’a pas effectué de recherches sérieuses et loyales de reclassement. Elle ajoute que le salarié est victime d’une discrimination en raison de son état de santé et de son handicap. L’employeur forme bien évidemment un pourvoi contre cette décision.
Qu’est-il reproché concrètement à l’employeur ? Pour le savoir, revenons sur l’obligation de reclassement du chef d’entreprise et ses conditions.


Pas de recherche sérieuse de reclassement

Que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non, lorsqu’un salarié est déclaré inapte à exercer son activité professionnelle, l’employeur est tenu de suivre une procédure spécifique et rigoureuse. Avant de licencier le salarié, l’employeur doit tenter de le reclasser sur un autre poste. La recherche de reclassement doit concerner non seulement l’entreprise d’origine mais aussi le groupe auquel l’entreprise appartient, parmi les entreprises dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation autorisent la permutation de tout ou partie du personnel.
Or, dans le cas présent, l’employeur s’est contenté, entre le 23 et le 30 avril 2015, d’envoyer à certaines agences faisant partie du même groupe, des courriels leur demandant si elles avaient la possibilité de reclasser le salarié. Il n’a pas non plus été en mesure de produire les réponses apportées par toutes les agences.
Par ailleurs, cette recherche s’était, semble-t-il, cantonnée aux activités de nettoyage, alors que d’autres activités étaient exercées par les sociétés du groupe. Le chef d’entreprise n’avait pas non plus sollicité l’ensemble des agences du groupe mais s’était contenté de la région lilloise, car le salarié lui avait indiqué s’opposer à un reclassement au-delà de la communauté urbaine de Lille.
La cour d’appel a également relevé que non seulement l’employeur n’avait pas exécuté sérieusement et loyalement la recherche de reclassement à l’échelle du groupe, mais surtout que celui-ci avait été invité par le salarié, en vain à deux reprises, à consulter le Service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (SAMETH). Celui-ci est pourtant chargé de prévenir la perte d’emploi des travailleurs handicapés et de trouver une solution permettant le maintien de son emploi. Par conséquent, la cour d’appel a considéré que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement.

Organisme dédié non-consulté : lourdes conséquences

La déconvenue est grande pour l’employeur qui estime avoir respecté cette obligation de recherche de reclassement. Il précise avoir demandé au médecin du travail de lui indiquer quel type de tâches pouvait être confié au salarié. Dans sa démarche, il s’était heurté à un refus du médecin qui, se retranchant derrière son avis d’inaptitude lui a fait savoir que son rôle se bornait à citer les contre-indications et qu’il n’avait pas à formaliser de proposition de reclassement.
Il ajoute qu’aucune disposition ne l’obligeait à saisir le SAMETH dans le cadre de la recherche de reclassement. Enfin, quand bien même il n’aurait pas correctement rempli son obligation de reclassement, le chef d’entreprise précise que la sanction ne pouvait être la nullité du licenciement mais simplement son absence de cause réelle et sérieuse.
C’est là tout l’enjeu de la discussion car la nullité du licenciement emporte des conséquences plus graves pour l’employeur. En effet, ce dernier peut (dans certains cas) être condamné à verser, en plus des indemnités de rupture légale, une indemnité qui ne peut pas être inférieure aux salaires des six derniers mois. Contrairement à l’indemnité due en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le montant de l’indemnité pour licenciement nul n’est pas plafonné. L’employeur avait donc tout intérêt à ce que le licenciement ne soit pas déclaré nul. Or, son dernier argument n’était pas si dénué de sens.

Nullité du licenciement !

Il est vrai que le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement a pour conséquence de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Cependant, lorsqu’il vise un travailleur handicapé, il peut en aller tout autrement.
Comme rappelé précédemment, afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur doit en effet prendre, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour leur permettre d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour bénéficier d’une formation adaptée à leurs besoins. Ces mesures doivent être prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées pour l’employeur, en tenant compte des aides financières
qu’il peut percevoir de la part de l’AGEFIPH, pour compenser ses dépenses Code du travail, art. L.5213-6).
La question était de savoir si l’employeur, compte tenu de son obligation de reclassement et du handicap du salarié, avait bien pris toutes les mesures nécessaires pour permettre à ce dernier de conserver son emploi. À cet égard, la Cour de cassation relève que, nonobstant l’importance de ses effectifs et le nombre de ses métiers, l’employeur ne justifiait pas d’études de postes ni de recherches d’aménagement du poste du salarié et surtout qu’il n’avait pas consulté le SAMETH, bien qu’il y ait été invité à deux reprises par le salarié. Elle en déduit que cela équivaut à un refus de prendre les mesures appropriées pour permettre au salarié de conserver un emploi et ce refus est constitutif d’une discrimination. La Cour de cassation confirme donc la décision de la cour d’appel, considérant que le licenciement est bien constitutif d’une discrimination en raison d’un handicap et qu’il est par conséquent nul. Coup dur pour l’employeur qui se voit condamné à verser au salarié, un montant total de 23 600 €, correspondant aux indemnités de préavis et de congés payés et aux dommages et intérêts.

Rechercher toutes les solutions appropriées

Bien qu’étant sévère pour l’employeur, cette décision s’inscrit dans la nécessaire protection des droits des travailleurs handicapés. Dans la situation évoquée ici, la saisine du SAMETH n’était certes pas une
obligation, mais la question n’était pas de savoir si cette saisine constituait une obligation, mais si elle constituait une mesure, parmi d’autres, au sens de l’article L. 5213-6 du Code du travail (voir encadré),
permettant “aux travailleurs handicapés de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée ”. Pour la Cour de cassation, la réponse est positive. Ainsi, l’absence de saisine de ce service, alors que l’employeur y avait été invité à deux reprises, pouvait s’analyser uniquement comme une discrimination, a fortiori alors que la mise en œuvre de celle-ci n’aurait manifestement occasionné aucune charge “disproportionnée” au sens de l’article précité. Cette affaire souligne encore une fois l’exigence des juges en matière d’intégration et d’aménagement du poste du salarié en situation de handicap, d’autant plus que l’employeur peut, pour ce faire, bénéficier de certaines aides de l’État. Il a donc tout intérêt à prendre des mesures pour le maintien dans l’emploi de ses salariés en situation de handicap. Pour satisfaire à son obligation, l’employeur doit rechercher des solutions notamment au moyen d’un reclassement du travailleur handicapé sur un poste adapté. Il ne doit pas hésiter pour cela à intégrer les différents facteurs allant de la consultation des services d’aide et de conseils, à l’aménagement du poste par des moyens de compensation techniques et la mise en place du télétravail.

Tatiana Naounou
Juriste TUTOR
Groupe Pôle Prévention

Qu’entend-on par “mesures appropriées” ?
Conformément aux dispositions de l’article L 5213-6 du Code du travail, “l’employeur doit
prendre en fonction des besoins, dans une situation concrète, les mesures appropriées pour
permettre aux travailleurs handicapés d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant
à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs
besoins leur soit dispensée […]”.
Par mesures appropriées, il faut entendre “des mesures efficaces et pratiques destinées à aménager
le poste de travail en fonction du handicap” (Directive 2000/78/CE du 27 novembre
2000). Ces mesures peuvent être d’ordre technique (tout matériel adapté) ou d’ordre organisationnel
(télétravail, temps partiel, assistance humaine). Elles peuvent aussi impacter le
collectif de travail (action de sensibilisation des équipes, répartition des tâches au sein d’une
équipe…).
Cependant, ces mesures ne doivent pas entraîner des charges financières disproportionnées
pour l’employeur. Afin d’évaluer le niveau de ces charges, il est notamment tenu compte “des
coûts financiers et autres que les mesures impliquent, de la taille et des ressources financières de
l’organisation de l’entreprise et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide”.
Voir, concernant les aides, celles accordées par l’association de gestion du fonds pour l’insertion
professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH).

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