SALARIÉ BLESSÉ LÉGER : L’organisation des secours et du transport engage la responsabilité de l’employeur !

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Un ouvrier du BTP se retrouve victime d’un accident du travail, a priori sans conséquences graves. Les secours n’interviennent pas mais, quelques vives douleurs plus tard, la victime décide de se rendre aux urgences par ses propres moyens. Le salarié se retourne alors contre son employeur qu’il accuse de manquements à son obligation de sécurité et le défaut d’organisation des secours… Ce dernier finira par le payer !

Le lieu de travail n’est pas sans risque. Un accident peut vite arriver quels que soient les moyens déployés par l’employeur pour l’éviter. Les salariés peuvent en effet être exposés à des risques professionnels propices aux accidents du travail, mais aussi être amenés à connaître un problème de santé tout autre qui nécessite une intervention médicale rapide ou une évacuation du salarié vers un lieu de soins adapté.

L’employeur qui a pour obligation de garantir la sécurité de ses salariés et de protéger leur santé, doit mettre en place des moyens efficaces destinés à prendre en charge le plus rapidement possible la victime. Cette obligation revêt une importance particulière dès l’instant où, en cas d’accident du travail, tout défaut ou carence dans l’organisation des secours peut entraîner de graves conséquences pour la victime et engager la responsabilité de l’employeur y compris quand il a contacté les services du SAMU et que ces derniers refusent de se déplacer. Le cas suivant, dont la conclusion a été échafaudée à partir d’un cas réel, en est une illustration.

Dans la matinée du 19 septembre 2010, vers 10 h, sur un chantier situé dans la commune de Nyons (Drôme), Monsieur X, employé au sein de l’entreprise Y en qualité de maçon, fait une chute dans les escaliers.

Alerté par le bruit, un plombier qui travaillait sur le même chantier accourt et trouve la victime étendue dans les escaliers. En l’aidant à se relever, il constate que Monsieur X boîte légèrement. Il décide d’avertir son chef de chantier qui informe immédiatement le siège de l’entreprise. L’employeur contacte alors les services du SAMU qui refusent d’intervenir, l’état de santé du salarié ne nécessitant pas une évacuation médicale d’urgence.

L’employeur après s’être enquis de l’état de santé du salarié et devant l’insistance de ce dernier, le laisse retourner à son poste de travail. Cependant, quelques heures plus tard, le salarié pris de vives douleurs décide de se rendre aux urgences de l’hôpital le plus proche, celui de Valréas (Vaucluse), par ses propres moyens. Le certificat médical établi le jour même fait état d’une rupture des ligaments croisés.
Informé seulement le lendemain matin, l’employeur effectue la déclaration d’accident de travail auprès de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Et le 30 septembre 2010, le caractère professionnel de l’accident est reconnu par la CPAM du Vaucluse.

À la suite de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident, le salarié décide d’intenter une action en reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur, sollicite la majoration de sa rente et que soit ordonnée une expertise médicale pour déterminer son préjudice personnel au titre du prix de la douleur.

Or, rappelons que la faute inexcusable ne se présume pas. En effet, ce n’est pas parce que le caractère professionnel de l’accident est reconnu, qu’il est nécessairement dû à une faute inexcusable de l’employeur. Il appartient au salarié de prouver d’une part que l’employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et, d’autre part, qu’il n’a pas pris les mesures de prévention ou de protection nécessaires pour l’en préserver. [Cass. soc., 28 févr. 2002, n° 00-13.172].

Le salarié victime devait donc établir un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité qui aurait participé à l’accident de travail. Il va tenter de le faire en invoquant deux problèmes :

– un défaut d’éclairage de l’escalier à l’origine de sa chute. L’éclairage des zones sombres, en particulier les zones à risques telles que les escaliers de chantier, constitue en effet une exigence élémentaire de sécurité. Les articles R4223-1 et suivants du Code du travail imposent un éclairage satisfaisant notamment au niveau des passages et escaliers. Or le salarié, pour appuyer ses dires, produit l’attestation du plombier témoin de la scène qui fait état de l’insuffisance d’éclairage et indique avoir demandé en vain à maintes reprises à l’employeur de changer l’éclairage. Il résulte néanmoins des pièces produites par l’employeur, notamment le compte rendu de coordination du 24 août 2010, que l’éclairage du chantier avait été réalisé un mois avant l’accident et que la cage d’escalier était bien alimentée et éclairée conformément à la demande du coordonnateur. Le risque de chute était par ailleurs mentionné dans le document unique d’évaluation des risques professionnels et l’escalier était équipé d’une main courante. L’employeur pouvait donc aisément démontrer qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir le risque de chutes dans l’escalier.

– une défaillance dans l’organisation des secours ayant retardé sa prise en charge médicale et provoqué l’aggravation de son état de santé. Concrètement, le salarié reprochait à l’employeur le fait de ne pas avoir été transporté vers un lieu de santé et de s’être rendu seul à l’hôpital par ses propres moyens. Or, l’employeur soutient avoir pris toutes les mesures nécessaires pour porter secours, mais il s’est heurté au refus d’intervention des services de secours, ces derniers estimant que l’état de santé n’était pas suffisamment grave pour mobiliser un transport d’urgence vers l’hôpital. De plus, le retour au poste du salarié n’a été fait que sur son insistance.

Le point de désaccord se cristallisait donc sur l’appréciation des moyens à mobiliser par l’employeur pour porter secours au salarié et assurer le transport du salarié blessé.

Rappelons que l’organisation des secours est sous la responsabilité
du chef d’entreprise. Dans son article R4224-16, le Code du travail
fait obligation à l’employeur de prévoir l’organisation des secours
à mettre en œuvre dans l’entreprise dans l’hypothèse où un salarié
serait victime d’un accident ou d’un malaise. Même si le texte
ne prévoit pas explicitement l’organisation du transport du salarié
blessé, il n’en demeure pas moins que l’employeur a une obligation
de sécurité et doit tout mettre en œuvre pour que tout salarié blessé,
victime d’un accident de travail ou en urgence médicale, puisse
être pris en charge très rapidement ou orienté vers une consultation
médicale adaptée.

Or, pouvait-on considérer l’obligation d’organisation des secours
remplie dès l’instant où l’employeur, informé d’un accident de travail
s’était immédiatement mis en relation avec les services de secours
d’urgence ?

Pour l’employeur, on imagine aisément dans les circonstances telles
que décrites ici que la réponse serait affirmative. Il pourrait plaider
devant les juges le fait qu’il avait non seulement mis en place tous
les moyens pour prévenir l’accident de travail mais qu’il avait aussi
contacté rapidement les services de secours d’urgence qui avaient
refusé d’intervenir, de telle sorte qu’aucune faute inexcusable ne
pouvait lui être reprochée. Son argumentation sera vraisemblablement
rejetée par les juges. Ces derniers iront très probablement
dans le sens du salarié, en rappelant à l’employeur l’article R4224-
16 précité, au terme duquel l’employeur doit organiser, dans son
entreprise, les soins d’urgence à donner aux salariés accidentés et
aux malades, en liaison avec les services de secours extérieurs. Il
appartient donc au chef d’entreprise, après avis du médecin du travail,
de définir à l’avance l’organisation de ses secours internes et de
ses moyens d’alerte, en cas d’accident ou d’urgence médicale.
Ainsi le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité
constitutif d’une faute inexcusable peut résulter d’une défaillance
de l’employeur dans la prévention d’un accident mais également,
d’une défaillance dans l’organisation des secours lorsqu’un accident
est survenu.

En l’espèce, il appartenait à l’employeur s’étant heurté au refus
d’intervention des services de secours d’urgence, d’organiser ces
premiers secours et le cas échéant le transport du salarié vers un
établissement public ou privé de soins.

Il ne pouvait considérer que la faute inexcusable de l’employeur ne
résulte que d’un manquement dans les mesures destinées à éviter
la survenance de l’accident pour en déduire que le salarié ne pouvait
se prévaloir des graves défaillances dans la mise en œuvre du
dispositif de secours pour rechercher sa faute inexcusable. Un tel
raisonnement serait une violation de l’article R4224-16 visé.

En conséquence, la faute inexcusable de l’employeur sera retenue et
il devra en toute logique indemniser le salarié de l’ensemble de ses
préjudices en résultant.

Cette démonstration, créée sur la base d’un cas réel, nous enseigne que dans le cadre de l’organisation des secours en entreprise, la question du transport du blessé léger vers un lieu de soins ou son domicile doit faire l’objet d’une réflexion en interne.

L’organisation des secours et la prise en charge des accidentés du travail ou des salariés malades doit reposer sur des personnes spécialement formées ou compétentes (infirmiers du travail, sauveteurs secouristes du travail…), sur la mise à disposition d’un matériel de premiers secours adapté et accessible et sur la rédaction d’un protocole interne rappelant la conduite à tenir dans ces situations (administration des soins d’urgence en articulation avec l’appel des services extérieurs de secours).


Il est vrai que l’appel systématique aux services d’aide médicale urgente est une procédure qui permet l’appréciation la plus fiable du niveau d’urgence et l’envoi éventuel du moyen médical le plus adapté mais le Samu, contacté par téléphone, peut également estimer que l’état de la victime ne nécessite pas une prise en charge urgente et ne pas intervenir. Dans ce cas, le chef d’entreprise doit également prévoir, dans le protocole écrit, la procédure de prise en charge des salariés malades ou victimes d’un malaise dont l’état ne nécessite pas un transport à l’hôpital mais un retour à domicile, une consultation médicale ou encore des soins sans caractère d’urgence. Ce document doit être tenu à la disposition de l’inspecteur du travail (article R.4224-16 du Code du travail). À défaut, sa responsabilité peut être engagée en cas d’aggravation de l’état de santé de la victime.


Tatiana Naounou
Juriste TUTOR
Groupe Pôle Prévention

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