Que ce soit pour la pêche ou une activité de commerce, de transports de personnes et autres, les activités professionnelles maritimes répondent à une réglementation spécifique, en termes de prévention des risques. Rien de tel que les explications de Natacha Menotti, avocate du barreau de Quimper et spécialiste du droit du travail maritime, pour mieux appréhender les méandres de cette réglementation et des normes qui régissent la vie professionnelle des marins sur les mers et les océans.
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Pour les activités maritimes de pêche et de transport, de frêt ou de personnes, quelle est la réglementation qui prédomine ?
S’appliquent à la fois le code du travail et le code des transports puisque dans le second cas, une partie concerne spécifiquement les gens de mer tels que les marins. Or, le code des transports indique que le code du travail s’applique sauf dispositions spécifiques qui figureraient dans le code des transports, quelle que soit l’activité en mer : pêche, commerce ou transport de passagers.
Cela signifie que si le code des transports prévoit quelque chose de différent du code du travail, cela s’applique en priorité mais s’il ne prévoit rien, c’est dès lors le code du travail qui s’applique. Or, le code des transports est bien moins volumineux que le code du travail. Il prévoit surtout des dispositions spécifiques en matière d’embauche, d’organisation du travail, etc.
Concernant en particulier la prévention des risques, les activités en mer dépendent principalement du code du travail et de toute la réglementation internationale puisque la spécificité du travail maritime c’est d’être soumis à des conventions internationales, étant entendu que les activités ont souvent lieu dans les eaux internationales. On ne peut donc pas s’en remettre uniquement au droit français. Ainsi, le socle de normes internationales est très important dans le cadre des activités maritimes, en termes de prévention des risques, notamment. Par exemple, le Code international de gestion de la sécurité (Code ISM) (1) a pour objectif de fournir une norme pour la gestion de la sécurité à bord. C’est un point essentiel en matière de risque et de sécurité des navires, de manière générale.
Ces normes internationales prennent donc le pas sur le code du travail, concernant les activités en mer ?
En fait, les normes se combinent avec le droit du travail. Ainsi, un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est nécessaire sur un bateau. Sachant qu’il doit être mis en place dans les entreprises de 11 salariés et plus, il y aura également, si besoin, un CSE dont les membres seront formés à la SSCT (Santé, sécurité et conditions de travail) afin de gérer les aspects des risques professionnels à bord mais avec une particularité forte du poids prédominant des normes internationales liées au cadre maritime.
Embarquer parfois pour plusieurs jours, voire davantage, n’est pas un geste anodin. Comment s’assurer de la bonne santé de ses salariés ?
Le médecin des gens de mer, qu’on peut assimiler au médecin du travail pour les activités à terre, joue un rôle important en matière de prévention des risques étant chargé de déclarer l’aptitude ou l’inaptitude générale à la navigation d’un marin. Si le salarié rencontre le médecin du travail après avoir été embauché par une entreprise, le médecin des gens de mer intervient en amont. Mais dans le second cas, celui qui nous intéresse ici, c’est au marin de prendre la décision de se présenter au médecin des gens de mer. Il est responsable de sa démarche pour disposer du certificat d’aptitude qui couvrira la période d’embarquement. L’aptitude à la navigation est essentielle pour naviguer sur un bateau et elle résulte des conventions internationales. Une compagnie ne peut pas embarquer un marin qui n’aurait pas un avis favorable du médecin des gens de mer.
Qu’en est-il, à bord, de la responsabilité du chef d’entreprise ?
En termes d’obligation de sécurité des salariés, le chef d’entreprise a la même responsabilité que sur des activités terrestres. De cette obligation de sécurité, découle un certain nombre d’obligations, pour les armateurs, avec la même conséquence au pire des cas : celle de se retrouver devant un juge pénal comme dans le cadre du droit du travail dans un contexte plus classique. Il existe toutefois une grosse différence par rapport à ce que l’on connait en droit du travail classique : les marins ne dépendent pas du régime général en termes de sécurité sociale mais de l’ENIM(2).
Dans le régime général, lorsque vous avez une forte sinistralité dans votre entreprise, votre taux AT/MP augmente et peut vous pénaliser. Ce taux n’existe pas dans le milieu maritime. A bord, on parlera d’un accident cours navigation qui s’assimile à l’accident du travail professionnel. Il existe des procédures de reconnaissance des accidents. En revanche, l’absence de taux AT/MP implique que l’employeur ne sera pas financièrement impacté au niveau de ses cotisations sociales du fait d’un accident. Cela étant dit, en cas d’accident à bord, l’employeur reste soumis à la possibilité d’une enquête de l’inspection du travail qui peut déboucher sur un procès-verbal d’infraction ou sur des procédures pénales.
Tous les risques doivent faire l’objet d’un référencement et d’une évaluation dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), obligatoire pour les entreprises dès le premier salarié. En raison de la multitude de risques rencontrés dans la profession, sa rédaction ou sa mise à jour ne sont pas des tâches aisées pour les entrepreneurs du secteur qui auraient bien besoin d’être accompagnés dans cette démarche malgré tout indispensable.
Comment jugez-vous, aujourd’hui, l’implication des armateurs et autres chefs d’entreprise sur la question de la prévention des risques en mer ?
Certains armateurs ont simplement pris conscience, peut-être face à une sinistralité importante, de la nécessité d’améliorer la situation et donc de la nécessité de mettre en place des dispositifs de prévention des risques. Mais il est vrai aussi qu’on est entré dans une époque où la sécurité est devenue primordiale, notamment dans le milieu professionnel. Sur les bateaux on trouve des responsables HSE voire des Commissions SSCT extrêmement bien sensibilisés au sujet de la sécurité.
Certes, des activités sont plus accidentogènes que d’autres. La pêche est par exemple plus accidentogène que l’activité de commerce mais c’est essentiellement lié à la nature de l’activité et non pas à un manque de sensibilisation des patrons du secteur. Si on évoque la pêche, je travaille couramment avec des armateurs qui ont entre 40 et 300 marins et mon sentiment et qu’ils sont déjà fortement imprégnés de la nécessité de mettre en place des dispositifs de sécurité pour prévenir les risques et nous observons sans cesse des améliorations.
Concrètement, dans quel sens s’inscrivent ces améliorations ?
Par le passé, mais cela arrive encore aujourd’hui, on était souvent à la suite d’un accident confronté à un employeur qui nous indiquait que la procédure préventive existait mais qu’elle n’avait été transmise que verbalement. Idem pour une formation. Dès lors, nous n’avions pas de preuve écrite de son existence, ce qui peut être un réel problème en cas de contentieux dû à un accident. De plus en plus, les armateurs prennent le soin de rédiger de véritables procédures rendues ensuite accessibles aux salariés. Les salariés sont eux-mêmes mieux sensibilisés aux risques professionnels et ne sont plus prêts à tolérer de mauvaises conditions de travail, quelle que soit leur activité.
Comment fait l’armateur pour s’assurer que les mesures de prévention sont effectivement appliquées sur les bateaux en mer ?
Il est vrai qu’il faut encore travailler sur la transmission des informations et des procédures. A bord, il y a un patron ou un capitaine dans l’activité de commerce. Ils sont censés se préoccuper de la sécurité et vérifier que les mesures de prévention sont appliquées ou que les EPI sont portés selon les règles définies. Ils ont la responsabilité que l’activité s’effectue conformément aux normes de sécurité mises en place par l’armateur. Il n’en demeure pas moins, notamment dans le secteur de la pêche, qu’on est en présence d’une activité à risque. Les armateurs doivent composer avec ce risque tout en adoptant au mieux des mesures préventives.
Propos recueillis
par Stéphane Chabrier
(1) Adopté en 1993 et obligatoire depuis 1998, le Code ISM a pour objet d’établir une norme internationale pour garantir la sécurité de la gestion et de l’exploitation des navires et la prévention de la pollution.
(2) Établissement public administratif gérant le régime spécial de sécurité sociale des marins à la pêche, la conchyliculture, la plaisance professionnelle et au commerce.