Charles-Étienne Dupont : “L’accident peut survenir à tout moment quand vous travaillez dans la forêt.”

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La forêt est la source d’approvisionnement de la filière bois. Sa gestion est essentielle pas uniquement dans le cadre de la préoccupation sociétale environnementale mais aussi pour les professionnels de la sylviculture qui assurent sa régénération physique, et dont dépend en aval toute une économie. Gestionnaire forestier établi dans le Puy-de-Dôme, Charles-Étienne Dupont accompagne depuis 25 ans, avec sa société CaGeFor (pour Cabinet de gestion des forêts), les propriétaires privés dans la gestion de leur patrimoine forestier, une centaine de clients récurrents qui représentent 2 500 hectares de forêt entre l’Auvergne, le Limousin et le Centre Val de Loire.

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Quelles sont les perspectives d’avenir pour les activités de gestion des forêts et du bois ?

En France, 75 % des forêts sont des domaines privés. Les propriétaires forestiers sont susceptibles d’y investir de l’argent à condition que cet investissement ne soit pas à perte. Et c’est d’autant plus difficile à garantir que le retour sur investissement dans une forêt s’effectue sur du long terme et parfois du très long terme. Une autre option consiste à laisser la nature faire son œuvre. Cela ne coûte rien et ce n’est alors pas grave que cela rapporte peu dans la mesure où les propriétaires n’ont rien dépensé.

Aujourd’hui, des propriétaires restent plutôt tentés par la seconde option et ils investissent peu. Dès lors, quand j’entreprends la planification de la gestion d’un domaine forestier, il faut que je m’assure que la forêt équilibre au minimum les rentrées d’argent en comparaison aux coûts. C’est un préalable dont il faut tenir compte. Toutefois, la question environnementale étant de plus en plus prégnante, il y a une pression sociétale pour que les forêts soient pérennes. Du fait de cette pression, des entreprises font des démarches, qu’elles soient contraintes, stratégiques ou volontaires et sincères, pour contribuer à la sauvegarde et à la régénération des forêts. Il y a donc aujourd’hui un apport relativement nouveau d’aides financières mais aussi de subventions pour soutenir la gestion donc les opérations forestières.

Concernant les perspectives d’avenir, nous allons vers une période de soutien aux chantiers de la forêt visant sa gestion pérenne, son reboisement, etc., grâce aux externalités. Il y a donc d’énormes potentialités de travail qui se présentent à nous.

Mais la filière ne manque-t-elle pas de main-d’œuvre ?

En effet, la filière n’est pas prête à assurer un surplus d’activité car, à l’évidence, le renouvellement de sa main-d’œuvre n’est pas assuré. Il y a très peu d’écoles délivrant une formation aux travaux sylvicoles : plantation, débroussaillage, tronçonnage, etc. Pour apprendre à planter, aujourd’hui, il faut avoir fait une formation en apprentissage et c’est sur le terrain que cela se passe.
Nous ne pourrons trouver un équilibre avec des personnes motivées et sûres de leur choix de remettre en cause une autre carrière, pour donner du sens à leur vie professionnelle, que si la filière bénéficie d’une revalorisation financière. Il ne faut pas se cacher que le métier est difficile et pour convaincre les plus jeunes, sans même envisager de les former pour s’installer à leur compte en microentreprise ou avec un statut d’autoentrepreneur, il faudrait envisager au préalable de leur délivrer une vraie formation qualifiante et professionnelle et leur proposer des grilles de revenus suffisamment convaincantes.

L’amélioration des conditions de travail peut-elle contribuer à l’attractivité des métiers de la sylviculture ?

Honnêtement, j’aimerais vous répondre par l’affirmative, mais une pioche sera toujours une pioche et la terre mouillée ça fera toujours de la boue. Au printemps, donc actuellement, il fait beau et nous avons de nombreuses candidatures. Mais nous en avons beaucoup moins au mois de novembre. En contact avec un chauffeur routier d’une cinquantaine d’années qui envisageait de changer de métier, il y a quelques jours, j’ai été au regret de lui dire que se reconvertir dans les travaux sylvicoles n’était pas souhaitable au vu de la condition physique nécessaire. Nous sommes dans un environnement naturel qui est rude, les conditions de travail y sont difficiles et les travaux sont physiques.

Cela signifie-t-il que la pénibilité reste trop importante malgré la mécanisation des outils et les innovations dans ce domaine ?

Il y a certes des innovations dans le secteur. Au Canada, les drones sont utilisés pour échantillonner les forêts. De plus gros modèles, avec une imposante capacité de charge, sont expérimentés pour emporter des milliers de graines enrobées dans des billes d’engrais qui sont plantées à distance, via un dispositif pneumatique, en se positionnant grâce à un système GPS tous les m2. Il existe aussi des exosquelettes qui permettent de soulager le port de charges lourdes, des brouettes motorisées pour déplacer les plants, des robots faucheurs, etc.

Les innovations se multiplient mais sont-elles applicables à tous les terrains, pas toujours faciles d’accès ? Est-il pertinent pour la grande majorité des petites structures du secteur, d’envisager ce type d’investissement ? Un jour, peut-être, mais en attendant, dans la très grande majorité des travaux forestiers, aujourd’hui, on ne fait pas mieux que l’humain pour intervenir sur les travaux forestiers. La débroussailleuse ou la tronçonneuse restent également les outils les mieux adaptés à nos besoins et même si l’ergonomie de ceux-ci peut être améliorée avec l’avènement des modèles électriques, par exemple. Je continue donc de penser que l’attractivité des métiers de la sylviculture passera par leur valorisation financière. C’est à ce prix que les plus jeunes se tourneront vers la filière.

Quel est le rapport de la profession avec le risque ?

Le risque d’accidents du travail reste élevé dans la sylviculture, avec les chutes, de hauteur ou de plain-pied, la manipulation des outils mécanisés, etc. Les sources de risque sont multiples et l’accident peut survenir de partout quand vous travaillez dans la forêt. L’attention doit être extrême. Or, les entreprises intervenantes étant dans la majeure partie des cas des TPE avec un, deux ou trois salariés au maximum, ce sont donc des équipes réduites, en binôme le plus souvent, qui sont envoyées sur le terrain. Cela signifie qu’il y a peu de mesures préventives collectives. La prévention des risques passe essentiellement par des mesures individuelles d’information, de formation interne et l’usage des EPI, les équipements de protection individuelles. Ce besoin est rentré dans les mœurs.

Tous les risques doivent faire l’objet d’un référencement et d’une évaluation dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), obligatoire pour les entreprises dès le premier salarié. En raison de la multitude de risques rencontrés dans la profession, sa rédaction ou sa mise à jour ne sont pas des tâches aisées pour les entrepreneurs du secteur qui auraient bien besoin d’être accompagnés dans cette démarche malgré tout indispensable.


Propos recueillis
par Stéphane Chabrier

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