Service de santé au travail défaillant : l’employeur reste responsable

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L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité, doit assurer l’effectivité des visites médicales obligatoires. Il ne peut pas invoquer la carence des services de santé au travail pour se prétendre libéré de son obligation.

La surveillance médicale des salariés, qu’il s’agisse de la visite d’information et de prévention (anciennement visite médicale d’embauche), de la visite périodique ou encore de la visite de reprise, est considérée comme un des éléments essentiels de la protection des salariés. Et donc, le moindre manquement de l’employeur concernant les visites médicales de ses salariés peut lui coûter cher même s’il résulte d’un dysfonctionnement des services de santé au travail.

En raison du contexte actuel, marqué par le déficit de médecins du travail, il arrive en effet que l’employeur n’obtienne pas de date de rendez-vous pour des visites, ce qui rend parfois matériellement impossible l’exécution de son obligation dans les délais. Pourtant le défaut d’organisation de visite médicale obligatoire dans les délais engage la responsabilité de l’employeur tant sur le plan civil que sur le plan pénal, il lui sera difficile de s’en exonérer, comme le démontrent de nombreuses situations.

Une société de transport de la Seine-et-Marne, qui employait depuis 2007 Monsieur X en qualité de chauffeur livreur pour le compte d’une enseigne de grande distribution, avait sollicité le service de la médecine du travail pour organiser la visite médicale de son salarié. Malgré plusieurs demandes formalisées par lettre recommandée avec accusé de réception envoyées au service médical, celui-ci n’avait pas été en mesure d’organiser ladite visite et ce pendant quatre ans.

Pour autant, la société de transport, n’y prêtant pas attention, continua de faire travailler le salarié pendant toute cette période jusqu’au jour où ce dernier fut pris en flagrant délit de vol par les vigiles du client pour lequel il effectuait un chargement de livraison.

L’employeur entreprit alors de se séparer du salarié et lui notifia, le 20 mai 2011, son licenciement pour faute grave. Mécontent, le salarié saisit le conseil des prud’hommes. C’est là que les difficultés commencèrent pour l’employeur.

Le préjudice dû à l’absence de visite médicale

Bien aidé de son conseil, Monsieur X ne se contenta pas de contester son licenciement, il sollicita également des dommages et intérêts au titre notamment du manquement à l’obligation de sécurité par l’employeur résultant de l’absence de visites médicales obligatoires.

Pendant longtemps la Cour de cassation a considéré qu’un tel manquement, quelle qu’en soit la raison, causait nécessairement au salarié un préjudice que l’employeur devait indemniser. Elle est revenue sur sa position en 2018 en jugeant que le salarié doit prouver que le manquement de l’employeur lui a causé un préjudice pour pouvoir obtenir des dommages-intérêts (Cass. Soc 27 juin 2018 ; n° 17-15.438). L’exemple que nous relatons est antérieur à cette jurisprudence. C’est pourquoi le salarié n’avait pas à démontrer qu’il avait subi un préjudice et pouvait se contenter de prouver l’absence de visite médicale pour obtenir des dommages-intérêts. Le montant des dommages et intérêts dépassant parfois plusieurs milliers d’euros, le risque financier était donc important pour l’employeur.

Pour cette raison notre société de transports tenta de s’exonérer de sa responsabilité en mettant en avant le fait qu’elle avait sollicité l’organisation des visites médicales auprès du service de santé. Elle avança que le défaut d’organisation de la visite médicale ne lui était pas imputable mais relevait de la carence du service de santé au travail. À l’appui de ses dires, elle présenta les courriers recommandés de ses demandes de rendez-vous de visite médicale depuis quatre ans ainsi qu’une lettre du service de santé expliquant les difficultés rencontrées pour honorer les demandes de rendez-vous.
Dommages et intérêts
Malgré ces éléments de preuve, la Cour de cassation ne retint pas l’argument de l’employeur. Cette dernière, saisie à la suite d’un pourvoi formé par le salarié, rappela que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité, devait assurer l’effectivité des visites médicales. Ainsi, le seul constat de l’absence de visite médicale obligatoire caractérisait une violation par l’employeur de son obligation de sécurité. Cette violation de l’obligation de sécurité cause nécessairement un préjudice au salarié que l’employeur est tenu d’indemniser.
L’employeur se vit donc dans l’obligation de verser, au salarié, des dommages et intérêts d’un montant de 1 500 € pour le préjudice subi à la suite de l’absence depuis quatre ans de visite médicale, alors même qu’il justifiait avoir pris l’initiative d’organiser la visite médicale.

La solution serait différente aujourd’hui dans la mesure où le salarié devrait justifier d’un préjudice pour obtenir des dommages et intérêts. Pour autant elle reste d’actualité en ce qu’elle souligne que l’employeur ne doit pas négliger l’organisation des visites médicales obligatoires. Il faut comprendre à travers cette décision qu’il reste impératif pour l’employeur de tout mettre en œuvre pour que les visites médicales obligatoires soient organisées. Sinon, il peut être non seulement condamné à indemniser le salarié qui justifie d’un préjudice lié à l’absence de visite médicale mais il encourt, en outre, des sanctions pénales.

Basée en Île de France, une société exerçant une activité de marketing téléphonique et d’accueil de visiteurs pour le compte de divers clients, emploie à cet effet des salariés en CDD de courtes durées. Le 27 mai 2011, elle reçoit la visite d’un inspecteur du travail. Au cours de cette visite, l’inspecteur relève que pour le seul mois d’avril 2011, 294 salariés avaient été embauchés sans que la visite médicale d’embauche n’ait été réalisée. Il dresse un procès-verbal d’infraction qui est transmis au procureur de la république. Ce dernier décide de poursuivre devant les juridictions pénales la société ainsi que ses deux dirigeants pour l’infraction d’embauche des salariés sans avoir procédé à la visite médicale d’embauche.

L’épineuse question de la visite médicale d’embauche

Précisons que d’une manière générale, les infractions aux règles relatives à la médecine du travail sont punies de l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe, c’est-à-dire 1 500 € au maximum par salarié (article R4745-1 du Code du travail). En cas de récidive dans un délai de trois ans, l’employeur encourt une amende de 3 750 € et une peine d’emprisonnement de quatre mois. (Article L4745-1 et R4745-1 du Code du travail). Rappelons aussi que jusqu’en 2017, chaque salarié embauché devait en effet passer une visite médicale d’embauche en principe avant la fin de la période d’essai. Cette visite avait pour but de vérifier si le salarié était médicalement apte au poste pour lequel il avait été recruté.

Depuis le 1er janvier 2017, cet examen systématique a été remplacé par une simple visite d’information et de prévention, pratiquée de façon périodique par un membre de l’équipe pluridisciplinaire en santé au travail. Ainsi, seuls les salariés affectés à des postes comportant des risques particuliers bénéficient d’une visite médicale d’aptitude à l’embauche.

Toutefois, les sanctions en cas de non-respect de cette obligation restent les mêmes.

Or dans l’affaire qui nous occupe, l’employeur avait régulièrement adressé les déclarations uniques d’embauche. L’envoi à l’Urssaf de ces déclarations entraînait alors automatiquement une demande de
visite médicale d’embauche.

On peut donc légitimement penser que l’accomplissement de la formalité constituée par la déclaration unique d’embauche et emportant demande d’examen médical d’embauche était de nature à permettre à l’employeur d’apporter la justification de la correcte exécution de l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article R4624-10 du Code du travail. C’est d’ailleurs ce qu’il essaye de fait valoir en indiquant avoir respecté son obligation d’organiser les visites médicales d’embauche en procédant aux déclarations uniques d’embauche. De surcroît l’employeur met en avant le fait que le service de santé au travail auquel il était adhérent n’avait pas donné suite à sa demande en raison de la courte durée des contrats de travail. En effet, dans la plupart des cas, la relation de travail avait déjà pris fin au moment où le service était en mesure de convoquer les salariés concernés. L’employeur soutient ainsi qu’il ne peut pas être tenu responsable de l’absence de diligence du service de santé au travail, invoquant une impossibilité matérielle d’exécuter son obligation.

L’employeur reste responsable

Mais la cour d’appel de Paris rejette cette argumentation et rappelle que l’employeur est tenu, non seulement d’organiser la visite médicale mais également de s’assurer de son effectivité. Il ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant la carence du service de santé et l’impossibilité matérielle de mettre son obligation en oeuvre. Elle déclare alors la société coupable de l’infraction d’embauche de salariés sans avoir procédé à une visite médicale et la condamne à 294 amendes contraventionnelles de 100 € soit une amende de 29 400 €, au total. Les deux dirigeants sont chacun d’eux condamnés à 294 amendes de 50 € avec sursis.

Face à cette lourde condamnation, la société ainsi que les dirigeants formeront un pourvoi. Sans surprise la Cour de cassation se rangera derrière la cour d’appel et jugera que l’employeur est tenu d’organiser
la visite médicale d’embauche et également de veiller à ce que la visite médicale soit bien assurée par le service de santé au travail, même pour les salariés recrutés pour une courte durée. À défaut, il engage sa responsabilité pénale. Les condamnations sont donc confirmées.

Cette décision démontre que l’employeur doit faire preuve de vigilance accrue pour ne pas voir sa responsabilité pénale (et civile) engagée. En effet, ni la défaillance du service de santé, ni la courte durée des contrats de travail n’ont pour effet de l’exonérer de sa responsabilité. Cette situation est indéniablement préjudiciable à l’employeur qui doit atteindre un résultat dont la réalisation ne dépend
pas uniquement de lui.

Il est injuste pour les employeurs de répondre des retards de la médecine du travail qui surviennent dans la pratique assez régulièrement, c’est pourquoi la possibilité est donnée à l’employeur d’engager la responsabilité civile du service médical défaillant.

Une société de menuiserie mayennaise décide de suspendre pour l’année 2010 le paiement de ses cotisations au service de santé au travail inter-entreprises auquel elle avait adhéré. En cause, les dysfonctionnements récurrents du service dans la mise en œuvre des examens médicaux obligatoires. Ce dernier n’avait en effet procédé qu’à un seul des examens périodiques sur les cinq demandés par la société en 2009 et n’avait pas respecté le délai de visite annuelle pour quatre salariés soumis à une surveillance médicale renforcée. En représailles, le service de santé transmet à la société une injonction de payer ses cotisations, ce qu’elle refuse de faire. L’entreprise mise en cause réplique en demandant à son tour des dommages et intérêts d’un montant égal à la cotisation réclamée et en invoquant ainsi une compensation de créances. S’engage alors une bataille judiciaire qui les conduit devant la haute juridiction civile.

Le service de santé au travail mis en cause

Devant les juges de la Cour de cassation, la société de menuiserie, pour se défendre, explique que le suivi des salariés dans le cadre des différentes visites médicales précitées avait pour finalité de lui transmettre des informations essentielles sur l’aptitude médicale de ses salariés ou sur la nécessité d’adapter certains postes, en d’autres termes, de lui permettre de respecter son obligation de prévention des risques vis-à-vis de la santé et la sécurité de ses travailleurs.

Par conséquent, si le suivi par le service de santé au travail est insuffisant au regard des exigences légales, non seulement cette situation constitue une infraction pénale commise par l’employeur (article L 4741-1 du Code du travail) mais elle l’empêche, également, de respecter son obligation de sécurité en ce qu’elle n’aura pas reçu l’information nécessaire à sa mise en oeuvre. Un raisonnement tout à fait logique quand on sait que l’employeur, qui ne s’assure pas que les salariés bénéficient du suivi médical auquel ils ont droit, est considéré comme ayant manqué à son obligation de sécurité et encoure non seulement des sanctions civiles (indemnisation du préjudice du salarié) mais aussi des sanctions pénales (amende contraventionnelle de 5e classe).

La Cour de cassation valide l’argumentaire de l’employeur et condamne le service de santé à lui verser le montant des dommages et intérêts réclamés, soit la somme de 692,48 € correspondant au montant des cotisations dues par l’employeur. Les juges de la haute juridiction, ont ainsi considéré que les défaillances d’un service de santé dans l’exécution de sa mission constituent une infraction pénale commise par l’employeur, qui se trouve également confronté à un déficit d’informations déterminantes pour l’accomplissement des actions de prévention et le respect des obligations lui incombant en matière de santé et sécurité au travail. Par conséquent, l’employeur peut obtenir la condamnation du service de santé à lui verser une somme égale au montant de sa cotisation annuelle.

Effet en cascade du préjudice subi

Le service médical défaillant, qui ne défère pas aux demandes d’organisation de visites par l’employeur, est donc susceptible de voir sa responsabilité civile engagée vis-à-vis de l’employeur.

En résumé, même si la responsabilité de l’employeur n’est pas écartée du fait de la carence des services de santé au travail, il conserve la possibilité de se retourner contre le service de santé au travail défaillant pour demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi, notamment le remboursement de l’indemnisation versée aux salariées ou encore le montant des amendes payées.

Bien entendu, cette condamnation du service de santé ne résout pas le problème de l’impossibilité matérielle de l’employeur de respecter son obligation d’organiser les visites médicales, et laisse sans réponse la question de ce que doit faire l’employeur pour éviter de voir sa responsabilité engagée dans de pareilles circonstances.

Tatiana Naounou
Juriste TUTOR
Groupe Pôle Prévention

Sources :

• Cour de Cassation sociale, 9 décembre 2015, n° 14-20.377 – Éditions Tissot (www.editions-tissot.fr), pour le cas n° 1.

• Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2016, 14-87.695, Publié au bulletin – Légifrance (www.legifrance.gouv.fr), pour le cas n° 2.

• Cour de Cassation civile 1re, 19 décembre 2013, n° 12-25.056 – Éditions Tissot (www.editions-tissot.fr), pour le cas n° 3.

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