Creuser des tranchées pour dégager des réseaux enterrés n’est pas sans risque pour les
opérateurs de Tapir comme pour les riverains des chantiers. Grâce à un matériel spécifique
et à des procédures millimétrées, l’entreprise est aujourd’hui capable de sécuriser des
situations de travail délicates.
Un coup de pelle mal placé et tout explose. Ce scénario catastrophe relève de la fiction mais il reste tout de même présent à l’esprit des équipes de l’entreprise Tapir. Les 68 salariés de cette PME auvergnate, basée à Cournon-d’Auvergne, savent qu’ils font un métier dangereux. C’est à eux que font appel les maîtres d’ouvrage pour mettre au jour les réseaux sensibles qui sont dissimulés sous la voirie : eau, gaz, électricité, télécommunication… Tous les grands groupes français du BTP font partie de ses clients. En tant que “locatier”, Tapir trouve sa place sur des chantiers qui requièrent un matériel et un savoir-faire particuliers. Pas question en effet de creuser avec des engins courants tels que les pelles mécaniques. Leur godet en métal risquerait de taper dans les tuyaux et de les éventrer. “Pour les chantiers à proximité des réseaux, le terrassement avec une pelle est interdit depuis 1975 et c’est devenu une infraction pénale en 2018. Nous devons travailler avec des techniques douces”, appuie Jérôme Hennequin, directeur de l’entreprise. Cette réglementation, dite “anti-endommagement”, est à l’origine de la création de Tapir, en avril 2008. À l’époque, la PME est une des rares à pouvoir creuser “à l’aveugle” ou presque (la réglementation impose que l’emplacement supposé des réseaux soit préalablement marqué en surface).
Aspiration par couches
Pour excaver sans dommage, les techniciens utilisent une “aspiratrice-excavatrice”. Un mastodonte qui peut mesurer jusqu’à 12 mètres de long pour 32 tonnes et qui s’apparente à un croisement entre un poids lourd et un gigantesque aspirateur. “Grâce à trois turbines qui tournent à 3 200 tr/mn, nous avons une puissance d’aspiration de 42 000 m³ d’air par heure, ce qui nous permet d’aspirer jusqu’à 200 mètres de distance”, explique Jérôme Hennequin. Mais la sécurité des chantiers se joue souvent en amont du camion, au bord de la tranchée, où un opérateur doit manœuvrer deux outils mobiles. D’abord une lance qui insuffle de l’air sous huit bars de pression pour décompacter la terre. Ensuite, un bras articulé qui guide le tuyau d’aspiration et son embout en caoutchouc jusque dans la tranchée. L’ouvrier dispose d’une console portable de radiocommande pour diriger le tuyau et retirer la terre, couche par couche, afin de ne pas risquer d’impact avec une canalisation. La même console sert également à déplacer le camion à distance, sans chauffeur. “Les opérateurs sont formés au fonctionnement du bras, du poste de conduite et à la vidange de la machine”, précise le directeur.
Tapir possède deux formateurs internes qui transmettent les méthodes de travail et tiennent à jour un livret de formation. “Nous nous obligeons également à suivre des formations réglementaires pour pouvoir travailler dans des atmosphères explosives, en hauteur ou dans des environnements avec un risque chimique car nous ne savons pas où notre locataire va envoyer nos camions”, ajoute-t-il. Pas question en effet de mettre à disposition une aspiratrice-excavatrice sans son personnel dûment formé et capable de s’adapter.
Adapter le document unique
En prenant les rênes de l’entreprise, en 2009, Jérôme Hennequin s’est attelé à la rédaction d’un premier document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER) qui n’a cessé d’évoluer depuis. La dernière version, qui date de 2020, se veut facilement modifiable pour intégrer des risques propres au métier de Tapir. Ce travail a permis de mettre en exergue dans le DUER une dizaine de risques d’importance majeure. Le premier d’entre eux étant acoustique car les aspiratrices-excavatrices en action génèrent 95 décibels soit la même gêne qu’aux abords d’un aéroport. “Nous avons équipé nos personnels de protections auditives moulées”, souligne le patron. Le deuxième risque est routier car les chantiers se déroulent sur la voie publique. “Nous arrivons sur des chantiers que nous ne maîtrisons pas donc nous avons formé nos techniciens à vérifier que le balisage est correct. Dans le cas contraire, ils peuvent exercer leur droit de retrait”, précise Jérôme Hennequin. Autre point sensible, les tranchées instables : pas question de descendre à plus de 1,30 mètre si elles n’ont pas été blindées par un caisson. Le danger peut également provenir de la co-activité : “D’autant plus que nous changeons de client tous les jours”, affirme le directeur. Viennent ensuite les risques liés au terrassement : accrocher une canalisation (la prévention impliquant de travailler par petites passes successives avec le tuyau), aspirer un bras ou une jambe ou encore être heurté par le bras articulé… L’entreprise impose au technicien de travailler en respectant un éloignement d’un demi-mètre.
Remise en question
Ce ciblage des risques est le fruit d’un travail réalisé avec un opérateur privé, spécialisé dans la prévention des risques, comme le rappelle Jérôme Hennequin : “Nous sommes partis des différents risques existants pour regarder si chaque métier y était confronté ou pas. Quand certains risques n’existaient pas dans la base de données, ils ont été créés, tels que le percement d’un réseau de gaz ou d’électricité.”
Depuis 2017, la PME structure également sa sécurité au travail grâce à une démarche MASE (Manuel d’amélioration sécurité des entreprises) consacrée par une certification obtenue en février 2019. “MASE nous aide à nous poser les bonnes questions en analysant les accidents et les presque accidents puis à intégrer des remontées dans le DUER sans attendre sa mise à jour annuelle”, affirme le directeur. Parmi les progrès qui en ont découlé, citons la définition d’une procédure d’accueil des nouveaux embauchés ou encore un suivi des compétences des salariés. Les améliorations sont continues puisque l’entreprise Tapir teste actuellement plusieurs modèles de harnais anti-chutes. Leur généralisation permettra de renforcer la prévention du risque de chute, notamment lorsque les opérateurs lorsque les opérateurs devront grimper sur le réservoir d’une aspiratrice-excavatrice, à 3,80 mètres du sol.
Jean-Philippe Arrouet