Gérald Ploquin : “Les accidents, y compris matériels, coûtent cher à l’entreprise.”

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Ancien cadre dirigeant de sociétés d’assurances et consultant en pré­vention du risque routier en entreprise, Gérald Ploquin a contribué à la fondation de l’association PSRE (Promotion de la Sécurité Routière en Entreprise), en collaboration avec la Direction de la sécurité routière (en 1998). Son expertise l’a conduit à animer de nombreuses conférences et autres débats sur le sujet. Il a, par ailleurs, rédigé le référentiel “Système de management sécurité routière dans les entreprises”, et plusieurs guides de prévention à destination des PME-TPE.

Le risque routier est-il toujours sous-estimé dans le monde professionnel ?

Dans certains secteurs d’activité, le risque routier est directement lié à l’activité de l’en­treprise. C’est le cas du transport de mar­chandises et des services de messagerie. C’est évidemment le cas également pour le transport de voyageurs, la faible fréquence d’accidentalité étant malheureusement com­pensée par la gravité (chocs inter-véhicules, angle mort). Les secteurs des services aux entreprises (maintenance, assistance) ou aux particuliers (aide à domicile), dont les collaborateurs sont en permanence sur la route, sont également très sensibilisés. Dans d’autres secteurs, les dirigeants ont souvent plus de mal à appréhender le risque routier que ceux qui sont liés à l’activité propre de l’entreprise : ses machines, ses outils, les gestes et les postures récurrents, etc. Il peut s’agir de risques de chutes ou de coupure, par exemple, ainsi que des risques liés à des expositions délétères, comme les risques chimiques ou la pollution. Pour nombre d’entreprises, le déplacement reste un moyen pour accomplir une mission à un endroit donné.

Les patrons de TPE-PME, en particulier, sont-ils suffisamment sensibilisés ?

Depuis la création de l’association PSRE, en 1998, nous avons eu de nombreux contacts avec les entreprises. Il apparaît clairement que, si les dirigeants de grandes entreprises et des établissements en réseau ont conscience des enjeux du risque routier, ce n’est généra­lement pas le cas pour les patrons de PME et TPE. Pourtant, les accidents, y compris matériels, coûtent cher à l’entreprise. C’est d’ailleurs en mettant l’accent sur ces coûts, qu’ils soient directs (d’assurance et de fran­chises, de remise en état des véhicules loués) ou indirects (immobilisation des véhicules pour les réparer, remplacement provisoire de ces véhicules, gestion des dossiers si­nistres…), que nous pouvons sensibiliser les dirigeants sur la mise en place d’une politique de prévention du risque routier. Insidieusement, le risque routier est un fac­teur de perte de rentabilité. Il peut aussi im­pacter la compétitivité en minant la crédibili­té de l’entreprise aux yeux de ses clients.

Quels sont les principaux facteurs de risque auxquels ils sont confrontés ?

Il y a des particularités plus spécifiquement liées au contexte. Par exemple, les accidents surviennent majoritairement le matin, sur le trajet aller. Ils sont souvent liés à l’impé­ratif d’être à l’heure en cas de déplacement domicile-travail, d’embauche ou de chantier déporté chez un client. Chez les commer­ciaux, qui enchaînent rendez-vous sur ren­dez-vous, on note de nombreux accidents de parking et de manœuvres. Ceux-ci occa­sionnent surtout des dommages matériels. Mais s’agissant des facteurs de risques dans les déplacements liés au travail, ils sont si­milaires à ceux identifiés pour la population en général. Chaque entreprise, y compris les plus petites, doit faire le travail de les repé­rer et de les évaluer : vitesse, infractions au Code de la route, conduite sous l’emprise de l’alcool ou des stupéfiants, utilisation du téléphone au volant… Toutes les informa­tions relatives à l’ensemble des accidents, matériels ou corporels sont importantes : circonstances, conséquences, etc. Cette éva­luation transcrite dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) permet d’établir les priorités d’ac­tions de prévention.

À ce sujet, le document unique est-il enfin perçu dans les TPE/PME comme un outil indispensable à la mise en place d’une stra­tégie de lutte contre le risque routier ?

Selon une étude publiée par PSRE en 2015, 56 % des PME-TPE avaient réalisé une éva­luation des risques professionnels auxquels sont exposés leurs salariés. Parmi ceux-ci, 84 % avaient transcrit cette évaluation dans le document unique. Ainsi, considérant l’en­semble des TPE/PME, près d’une entreprise sur deux (47 %) disposait du DUERP, répon­dant ainsi à l’obligation instituée par le dé­cret du 5 novembre 2001. À la lecture d’une étude récente sur le sujet (1), les résultats n’ont pas beaucoup évolué dans les petites entreprises et c’est aussi le cas pour le défi­cit d’actions de prévention du risque routier. Pourtant, le DUERP doit permettre de pas­ser de l’identification des risques à la mise en œuvre des actions visant à les réduire. En effet, la mise en place d’un véritable plan de prévention structuré et réactualisable sur le long terme, ne peut trouver un sens pra­tique et prouver son efficacité que sur une analyse préalable du risque propre à chaque entreprise.

Pourquoi existe-t-il un tel déficit de prise de conscience des chefs d’entreprise de TPE/PME ?

Il faut distinguer, pour rester simple, les enjeux humains et les enjeux juridiques et financiers. Les décès liés aux déplacements professionnels, au nombre d’une centaine par an pour les déplacements en mission et de trois à quatre fois plus pour les trajets domicile-travail, restent suffisamment rares au niveau d’une petite ou moyenne entre­prise pour que les dirigeants et les salariés qui la composent n’aient pas à “vivre” un tel drame. Ils en rejettent donc, plus ou moins consciemment, l’éventualité. L’étude MMA le confirme : 6 % seulement des chefs d’en­treprise de moins de 50 salariés déclarent avoir été confrontés à un accident, au moins, de trajet professionnel d’un salarié au cours des douze derniers mois. La prise de conscience des dirigeants en est affec­tée et cela impacte leur adhésion à la cause d’une stratégie de prévention des risques routiers qui s’effectue encore trop souvent par contrainte davantage que par convic­tion.

Intègrent-ils leur responsabilité, en cas d’accident de la route ?

En matière de risque routier, les dirigeants intègrent plus facilement leur responsabili­té dans le cadre de l’activité professionnelle que sur le trajet domicile-travail. Pourtant, l’accident de la circulation au cours du trajet domicile-travail est aussi, sous cer­taines conditions, un accident de travail. Horaires modifiés précipitamment, lien de subordination à travers les communica­tions téléphoniques, stress au départ, pots alcoolisés, etc, sont autant de situations qui peuvent peser sur la sécurité des trajets : les cas de responsabilité de l’employeur sont rares mais ne sont pas exclus. Il est peu connu que l’employeur, coresponsable avec son salarié d’un accident mortel, encourt une amende maximale de 45 000 € et une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans. Il y a quelques années, une étude Ifop pour PSRE révélait que si une forte majori­té d’employeurs (81 %) pensait être passible d’une amende, seulement 56 % imaginaient encourir une peine de prison. Dans les cas de négligence grave, le chef d’entreprise peut voir sa faute inexcusable recherchée, ce qui peut entraîner des sanctions plus impor­tantes.

Quels sont les progrès à faire en matière de prévention et sensibilisation ?

Nous constatons que les actions préven­tives sont le plus souvent orientées sur un plan technique : signalisation routière, frei­nage… et réglementaire : contrôle des véhi­cules et des permis de conduire, interdiction du téléphone. Il y a moins d’actions de prise de conscience des facteurs d’accidents et de sensibilisation aux comportements moins accidentogènes. C’est pourtant grâce à une bonne connaissance des causes d’accidents, propres à chaque secteur d’activité, qu’il est possible de mener des actions de sensibilisa­tion des conducteurs visant à améliorer leur comportement en déplacement. Les entre­prises qui ont érigé l’analyse d’accidents en saine pratique sont souvent récompensées de cette initiative par des résultats concrets. Les risques juridiques et financiers doivent être connus. Le chef d’entreprise doit savoir, en cas d’accident de la route d’un salarié, que sa responsabilité civile et sa responsa­bilité pénale peuvent être potentiellement engagées si les mesures de prévention né­cessaires n’ont pas été mises en œuvre.

Propos recueillis par Stéphane Chabrier

(1) Étude Ifop pour MMA, publiée en avril 2022

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