Désignation du conducteur : l’enjeu du délai d’application

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La Cour de cassation vient de rendre une décision favorable au contrevenant quant à l’application du délai de 45 jours pour désigner un conducteur au volant d’un véhicule de société. Revirement de jurisprudence durable ou non ?

Depuis le 1er janvier 2017, le représentant légal d’une personne morale doit désigner le conducteur au volant d’un des véhicules de l’entreprise, quand il est verbalisé pour certaines infractions, dont l’excès de vitesse relevé à l’aide d’un radar automatique. À défaut, il encourt une amende d’au moins 450 € et jusqu’à 3 750 € devant un tribunal.
Si en théorie ce principe d’obligation de désignation est simple, les modalités de son application, et plus particulièrement du délai de 45 jours prévu par l’article L 121-6 du Code de la route, engendrent un important contentieux. Une récente décision de la Cour de cassation en apporte une nouvelle illustration.

La notion de délai fait débat

La décision n° 20-85.020, n° 1221 B de la Cour de cassation du 9 novembre 2021 fait suite à l’examen d’un pourvoi concernant une affaire dans laquelle un excès de vitesse avait été relevé le 2 octobre 2017 sur un véhicule d’entreprise.
Un avis d’infraction avait été émis le 7 octobre 2017 et l’amende correspondante payée dans le courant du même mois par l’entreprise qui en était propriétaire. Celle-ci avait ensuite reçu un avis de contravention pour défaut de désignation qu’elle avait contesté, notamment au motif que l’amende encourue pour l’infraction d’excès de vitesse avait été payée dans le délai imparti. Le tribunal saisi avait jugé que l’infraction de non-désignation était bien constituée, condamnant l’entreprise à 675 € d’amende. Cette dernière avait alors fait appel de la décision, qui sera néanmoins confirmée par la suite. Devant la Cour de cassation qu’elle avait ensuite saisie, la société faisait valoir le raisonnement suivant : l’avis de contravention routière édité le 7 octobre n’ayant pu être envoyé le jour même, l’omission de désigner le conducteur ne pouvait être constatée dès le 22 novembre sans violer l’obligation de respecter le délai légal de 45 jours.

La Cour de cassation a validé cette argumentation au regard des éléments suivants :

  • “il n’est pas contesté que le procès-verbal constatant l’infraction de non-transmission de l’identité du conducteur indique que l’avis de contravention routière a été édité le 7 octobre 2017 sans en préciser la date d’envoi”,
  • “la contestation de la requérante était sérieuse, l’envoi dudit avis à une date postérieure au 7 octobre impliquant qu’au 22 novembre 2017 le délai de 45 jours ne pouvait être échu”.
    Quelle peut être la portée de cet arrêt de la Cour de cassation ?

La fixation du point de départ du délai assouplie

La Cour de cassation présume, depuis la création de l’article L 121-6 du Code de la route, que la date d’émission de l’avis de contravention routière est la même que celle de l’envoi de cet avis. Le point de départ du délai de 45 jours est donc cette date mentionnée dans le procès-verbal relatif à l’infraction de non-désignation (Cass. Crim., 7 janv. 2020 ; Cass. Crim., 7 janv. 2020 ; Cass. Crim. avis, 16 juin 2020). Par ailleurs, elle contestait régulièrement le caractère sérieux des contestations qu’elle jugeait tardives lorsqu’elles n’avaient été élevées ni dans la requête en exonération relative au procès-verbal de non-désignation, ni devant le tribunal de police (Cass. crim., 10 mars 2020, n° 19-83.222 ; Cass. crim., 13 avril 2021, n° 20-85.795 ; Cass. crim., 8 juin 2021, n° 20-85.792).

Sans remettre totalement en cause sa position, la Cour de cassation l’assouplit nettement dans cette dernière décision du 9 novembre 2021 :

  • en énonçant que la date d’envoi de l’avis de contravention initial vient après sa date d’émission et à la condition que le contrevenant ait soutenu cette thèse, afin de contester le respect du délai de 45 jours par l’administration ;
  • en conférant implicitement un caractère sérieux à une telle contestation même si elle n’est pas intervenue dès la réception du procès-verbal de l’infraction de non-désignation, par la voie d’une requête en exonération ou devant le tribunal de police. On notera qu’en l’espèce, la contestation du point de départ du délai de 45 jours semble avoir été soulevée pour la première fois devant la cour d’appel.

Revirement sur la constatation du délai d’exécution

L’autre nouveauté tient à ce que la Haute Cour, pour considérer que le délai de 45 jours n’est pas échu à la date de constatation de l’infraction, s’est référée à la date butoir de la désignation du conducteur mentionnée dans l’avis de contravention pour non-désignation. Elle ne tient donc pas compte de la date d’émission de cet avis. Jusqu’à une date récente elle considérait qu’il y avait lieu de rechercher si, à la date de la poursuite (soit à la date d’émission de l’avis de contravention pour non-désignation), le délai de 45 jours s’était intégralement écoulé (Cass. crim., 8 juin 2021). Appliqué à la présente décision, le délai de 45 jours aurait été jugé respecté puisque près de trois mois s’étaient écoulés entre le paiement de l’amende initiale, le 23 octobre 2017, et l’émission de l’avis de contravention pour non-désignation du conducteur, le 18 janvier 2018.
Dès lors, et à condition que la contestation soit formulée dès la réception de l’avis de non-désignation, les entreprises constatant que la date d’infraction retenue pour l’établir est le 46e jour suivant la date d’émission de la contravention initiale peuvent s’appuyer sur cette décision pour contester ces avis de contravention pour non-désignation qu’elles reçoivent. Toutefois, il y a fort à parier que cette lacune sera bientôt comblée, sans doute par le biais d’une modification des avis de contravention pour non-désignation du conducteur rendant indiscutable la date de constatation de l’infraction mentionnée.

Hervé Brizay
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention

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