Cécile Perret du Cray : “La souffrance patronale est trop souvent niée.”

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Au sein d’Impact Prévention, société spécialisée dans la prévention des risques psychosociaux (RPS) et la promotion de la Qualité de vie au travail, Cécile Perret du Cray apporte écoute et assistance à de nombreux patrons de TPE et PME déstabilisés par les conséquences de la crise sanitaire actuelle. Selon elle, pas de doute, il faut prendre au sérieux la souffrance patronale et surtout agir avant que leur désarroi conjoncturel ne débouche sur des dépressions durables.

En tant que psychologue sociale, vous suivez aussi bien des salariés que des dirigeants d’entreprise. Y a-t-il, selon vous, une spécificité de la souffrance psychologique des entrepreneurs ?

Il y a de vraies spécificités. Ainsi, le patron de TPE-PME se distingue de ses employés, mais aussi des dirigeants de grandes entreprises, par le sentiment, bien compréhensible, qu’il doit affronter seul les difficultés et qu’en dernier ressort tout dépend de lui, de son engagement, de ses décisions. Il se sent responsable de son entreprise, de ses salariés, de ses partenaires… et cela pèse très lourdement sur ses épaules. Si bien qu’en cas de difficultés, cette responsabilité peut vite se transformer en culpabilité, source d’un profond mal-être qui, s’il dure, peut littéralement le consumer.
Autre spécificité : la vie professionnelle et la vie privée des entrepreneurs sont très profondément imbriquées. Au-delà même des facteurs statutaires et financiers – comme l’absence de droit au chômage – le vocabulaire employé par les patrons témoigne de cette imbrication. Ils disent volontiers que “leur boîte, c’est leur bébé” ou “leur vie”. En cas d’échec, ils n’ont donc pas de base de repli car ils se sont investis affectivement dans leur entreprise. Il est donc tout à fait pertinent de parler d’une “souffrance patronale”, distincte de celle des salariés, et qui reste trop souvent niée, y compris par les patrons eux-mêmes.

Toutefois, n’y a-t-il pas, depuis quelques années, et davantage encore depuis la crise sanitaire, une prise de conscience ?

Les conséquences économiques de la crise sanitaire sont en effet si massives qu’elles ne peuvent plus être ignorées par la société. Et, du coup, les chefs d’entreprise sont, eux-mêmes, plus enclins à verbaliser leurs problèmes, leurs doutes et leurs angoisses. Cela dit, aujourd’hui encore, lorsqu’il est question de souffrance patronale c’est, le plus souvent, pour évoquer les cas, paroxystiques, de suicides. De façon assez symptomatique, l’une des réponses apportées est la création, au sein des tribunaux de commerce, d’un réseau de sentinelles formées à détecter les risques suicidaires chez les patrons dont l’entreprise se retrouve en dépôt de bilan.
Cette initiative venue de la base mérite bien sûr d’être saluée, mais elle correspond à une intervention très tardive qui s’apparente à de la prévention primaire : elle permet certainement de réduire l’incidence de la maladie mais pas d’empêcher son déclenchement. Mieux vaudrait agir plus en amont de façon à prévenir plutôt que guérir. C’est l’objectif que nous poursuivons en proposant aux entrepreneurs une permanence d’écoute et d’assistance à leur profit et à celui de leurs salariés : éviter que la déprime ne dégénère en dépression et l’épuisement en burn-out.

Quels conseils donneriez-vous aux patrons de TPE-PME pour prendre davantage soin de leur santé psychologique ?

Je leur conseillerais d’abord de considérer que leur obligation de veiller à la santé physique et mentale de leurs employés concerne aussi leur propre santé. Prendre soin de soi n’est pas un aveu de faiblesse mais un acte de gestion responsable car le sacrifice d’un entrepreneur qui sombre dans le burn-out ou la dépression est inutile : son entreprise ne s’en remettra pas. Je leur rappellerais aussi que l’entrepreneuriat est une course de fond et que, comme tous coureurs de fond, ils doivent apprendre à parfois se ménager pour aller plus loin.

Propos recueillis par Christophe Blanc

Pour aller plus loin : www.impactprevention.fr

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