CDD saisonniers successifs en hôtellerie-restauration… GARE À LA REQUALIFICATION !

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Si la succession de contrats saisonniers pour un même salarié ne peut suffire à requalifier la relation de travail en relation à durée indéterminée, la situation est différente lorsque le salarié est employé chaque année, pendant toute la durée d’ouverture de l’établissement. La Cour de cassation s’est ainsi prononcée à deux reprises sur la requalification des CDD saisonniers dans des établissements qui n’ouvraient qu’une partie de l’année.

À l’approche des fêtes de fin d’années, des vacances scolaires ou encore de l’été, certains secteurs doivent composer avec une hausse de leur activité. C’est le cas notamment des hôtels, cafés et restaurants (HCR) qui, souvent pris d’assaut pas les clients, ont besoin de personnel supplémentaire pour y faire face. Pour répondre à ces périodes de forte activité, les employeurs de ce secteur ont la possibilité de conclure des contrats de travail à durée déterminée dits saisonniers.
Ce type de CDD saisonniers offre davantage de souplesse qu’un CDD classique dans la mesure où il permet à l’employeur de proposer successivement, plusieurs CDD à un même salarié afin de lui confier des missions, qu’elles soient similaires ou différentes. Il n’est donc pas rare de voir des hôtels faire appel, année après année, au même salarié. Mais cette souplesse accordée aux employeurs en matière de successivité de CDD saisonniers ne doit pas dériver en abus sous peine de requalification de ces contrats en CDI.
Ainsi, la Cour de cassation tend de plus en plus à sanctionner le recours aux CDD successifs, dans les hôtels en particulier lorsque ceux-ci ne sont ouverts qu’à certaines périodes de l’année. Voici deux cas emblématiques de cette évolution jurisprudentielle.

CAS N° 1 : L’EMPLOYÉ D’UN HÔTEL D’ANTIBES

Entre 1989 et 2010, Monsieur X a été embauché dans un hôtel situé à Antibes (Alpes-Maritimes), en contrat saisonnier et pour divers postes : d’abord en qualité d’assistant-concierge puis de voiturier, jusqu’au jour où son employeur décide de ne plus faire appel à lui. Mécontent, le salarié tente alors de faire reconnaître qu’une relation à durée indéterminée s’est créée par la reconduction à répétition de son contrat saisonnier.
Monsieur X saisit donc la juridiction prud’homale et demande la requalification de ses CDD saisonniers en CDI ainsi que le versement d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en plus de l’indemnité de requalification.

Pas de limites à la succession de CDD saisonniers

Devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) saisie de l’affaire, l’employeur qui naturellement s’oppose à la requalification, précise que même si le salarié avait été amené à travailler de manière quasi continue à l’hôtel, en l’absence de clause de reconduction le renouvellement systématique des contrats saisonniers pendant de nombreuses années n’est pas en lui-même de nature à créer une relation globale à durée indéterminée. En effet, la Cour de cassation avait elle-même rappelé auparavant le régime juridique des successions de contrats à durée déterminée saisonniers (Cass soc., 16 novembre 2004, 02-46.777). Elle avait ainsi jugé que la faculté pour un employeur de conclure des CDD successifs avec le même salarié, afin de pourvoir un emploi saisonnier, n’est assortie d’aucune limite au-delà de laquelle s’instaurerait entre les parties une relation de travail globale à durée indéterminée.
Ainsi, en principe, et sauf clause de reconduction, le contrat conclu pour une durée déterminée d’une saison reste à durée déterminée y compris s’il est renouvelé pour les saisons suivantes. L’employeur avait donc totalement raison de rappeler à la Cour, sa propre jurisprudence en la matière.

Activité normale et permanente : le salarié change de statut

Certes, la succession de CDD saisonniers même nombreux, pour un seul salarié, ne suffit pas à créer une relation de travail globale à durée indéterminée, admet la cour d’appel, mais encore faut-il que cette succession ne caractérise pas une relation de travail à durée indéterminée, lorsque le salarié est engagé chaque année pendant toute la période d’ouverture ou de fonctionnement de l’entreprise. Pour elle, cette jurisprudence propre aux contrats saisonniers ne doit pas faire oublier le principe général selon lequel un CDD “ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise”. Or, en l’espèce, l’hôtel était ouvert uniquement à certaines périodes de l’année et le salarié était engagé à chaque reprise, pendant toute la durée d’ouverture de l’établissement au public et ce pendant plus de vingt ans. Les juges d’Aix-en-Provence en ont déduit que le salarié occupait un emploi relevant de l’activité normale et permanente de l’hôtel, justifiant de fait la requalification des CDD successifs en CDI.
Déçu, l’employeur forme un pourvoi en cassation mais n’obtiendra pas gain de cause, la Cour de cassation ayant validé le raisonnement des juges de la cour d’appel. Il devra donc payer au salarié la somme de 35 000 € au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’une indemnité de requalification de près de 4 000 €. (Cour de cassation, Chambre sociale, 18 janvier 2018, 16-23.836)

CAS N° 2 : LE BARMAN D’UN CAMPING DU LANGUEDOC

Dans le Languedoc-Roussillon, un camping a engagé Monsieur Y en qualité de serveur au bar, en lui faisant signer de 2007 à 2009 divers contrats saisonniers. Lorsque l’employeur met fin à la relation de travail (comme dans la situation précédente), le salarié mécontent décide de saisir la juridiction prud’homale afin notamment de faire reconnaître l’existence d’une relation de travail globale à durée indéterminée.
Toutefois à la différence de Monsieur X, le salarié va tenter de faire reconnaître l’existence d’une clause de reconduction automatique de son contrat saisonnier en invoquant devant la cour d’appel de Montpellier (Hérault), les dispositions de la convention nationale de l’hôtellerie de plein air.
Rappelons que deux hypothèses permettent la requalification de plusieurs contrats successifs en une relation globale à durée indéterminée :
– lorsque le salarié est employé chaque année pendant toute la période de fonctionnement de l’entreprise, comme dans la première affaire ;
– lorsque les contrats saisonniers sont assortis d’une clause de reconduction pour la saison suivante.

Absence de clause de reconduction automatique

En l’espèce, l’idée du salarié était de démontrer que la clause de la convention collective rédigée comme suit : “À la fin de la période de travail du salarié, et à la demande écrite de celui-ci, l’employeur indique par écrit au salarié saisonnier son intention soit de le reprendre la saison suivante et à quelle date, soit de ne pas le reprendre en motivant sa décision”, était en réalité une clause de reconduction automatique de son CDD de nature à transformer la relation de travail à durée déterminée en une relation à durée indéterminée. Un argument balayé par la cour d’appel qui a jugé que la clause avait seulement pour effet d’imposer à l’employeur, sur requête du salarié, une information sur son intention future. Elle ne peut être assimilée à la clause contractuelle prévoyant la reconduction automatique pour la saison suivante.
Toutefois, il ne s’agissait pas du seul argument de Monsieur Y. Ce dernier va en effet faire valoir que les dates d’ouverture du camping coïncidaient avec celle du début et de la fin des contrats conclus en 2007, 2008, et 2009. En effet, le salarié était embauché chaque année de mars à fin septembre ce qui correspondait exactement à la durée d’ouverture du camping. Il ajoute que la période de travail excédait même la période d’ouverture du camping dans la mesure où il a commencé à travailler avant et après l’ouverture du camping.
La cour d’appel va également rejeter cet argument en rappelant qu’il est de l’usage de la profession de faire coïncider les dates des contrats saisonniers avec les dates d’ouverture des établissements, en application de l’article 5-6 dernier alinéa de l’accord national du 23 mai 2000 de l’hôtellerie de plein air (étendu par arrêté du 3 janvier 2001). De surcroît, le fait que l’embauche ait pu précéder de quelques jours la date d’ouverture et que la fin de la relation contractuelle ait pu également dépasser de quelques jours la date de fermeture du camping ne saurait retirer le caractère saisonnier de la relation contractuelle.

Année après année, sur une même période : le CDD n’est plus justifié

Saisie du pourvoi formé par le salarié tenace, la Cour de cassation va néanmoins censurer le raisonnement de la cour d’appel de Montpellier. Pour la Cour de cassation, il fallait rechercher (comme dans la première affaire), si la durée des contrats de travail du salarié ne correspondait pas, chaque année, à toute la période d’activité de l’employeur de sorte que le salarié occupait un emploi correspondant à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Or, c’était le cas dans cette situation.
Ainsi, le fait que l’entreprise emploie chaque année un salarié pour occuper le même poste, pendant toute la période d’activité de l’entreprise et même si celle-ci est discontinue, indique que l’emploi occupé est lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Il ne s’agit donc pas d’un emploi temporaire. Par conséquent, le recours à un CDD n’est pas justifié. Sanctionnant le recours pluriannuel à des emplois saisonniers pendant toute la période d’ouverture d’une entreprise partiellement active sur l’ensemble de l’année civile, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel qui avait refusé de requalifier les contrats saisonniers successifs en CDI.
L’affaire sera donc rejugée ultérieurement par une nouvelle cour d’appel qui devrait en toute logique suivre la position de la Cour de cassation. Nul doute (à l’instar de l’hôtel, dans la première situation) que le camping sera condamné au paiement de diverses indemnités. (Cour de cassation, Chambre sociale, 10 mars 2021, 19-19.371)

Conclusion : le CDD saisonnier valable dans un contexte bien précis

Nous devons retenir que le contrat à durée déterminée ne peut en aucun cas couvrir toute la durée d’ouverture de l’établissement. Un CDD qui couvrirait la totalité de la période d’activité de l’établissement, même saisonnière, serait en réalité lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise et serait donc requalifié en CDI.
Malgré la souplesse qu’offre le CDD saisonnier, l’employeur doit donc rester vigilant s’il veut recourir à ce type de contrats plusieurs années consécutives avec le même salarié. Il peut en principe employer le même salarié durant plusieurs saisons successives, dès lors que l’activité est bien saisonnière, sans avoir à respecter un délai de carence. Mais attention, si le salarié est employé chaque année, pendant toute la durée d’ouverture ou de fonctionnement de l’entreprise (notamment dans le cas d’une entreprise ne fonctionnant qu’une partie de l’année, cas des stations de ski, etc.) son contrat pourra être requalifié en relation globale à durée indéterminée.


Tatiana Naounou
Juriste TUTOR
Groupe Pôle Prévention

La clause de reconduction dans le contrat saisonnier

(Art. L. 1244-2-1 et L. 1244-2 du Code du travail)

Le CDD peut être reconduit pour le même emploi d’une année sur l’autre.
Dans le secteur des hôtels, cafés et autres restaurants, l’article 14 de la convention collective prévoit que les contrats de travail à caractère saisonnier peuvent comporter une clause prévoyant la reconduction du contrat d’une saison sur l’autre. S’ils la comportent, une ou les deux parties devront confirmer par lettre recommandée avec accusé de réception leur volonté de renouveler le contrat au moins deux mois à l’avance. En cas de non-confirmation, la clause de reconduction devient caduque.

Toutefois, il convient d’être vigilant quant à la rédaction d’une telle clause. Si celle-ci doit prévoir une priorité d’emploi en faveur du salarié pour la saison suivante, elle ne doit pas avoir pour effet, d’imposer la reconduction automatique du CDD saisonnier.

Lorsque la clause de reconduction mentionnée dans le contrat de travail prévoit la reconduction automatique du contrat pour la saison suivante, elle a pour effet de transformer la relation de travail à durée déterminée en une relation à durée indéterminée.

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