ACCIDENT DU TRAVAIL ET FAUTE INEXCUSABLE : L’employeur doit avoir eu conscience du danger

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Lorsqu’un accident de travail survient à l’occasion d’un événement organisé par l’entreprise, la faute inexcusable de l’employeur ne peut être reconnue que s’il est prouvé qu’il avait la conscience d’un risque auquel son salarié était exposé mais qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Organiser des fêtes ou des séminaires au sein de l’entreprise peut s’avérer un bon moyen de rassembler le personnel et renforcer les liens entre eux. Toutefois, ces événements peuvent avoir de lourdes conséquences et constituer des situations à risques pour l’employeur. En effet, en cas d’accident et qu’un salarié est blessé, l’employeur doit organiser les secours en mettant en place des moyens efficaces destinés à prendre en charge le plus rapidement possible la victime, s’il ne veut pas voir sa faute inexcusable recherchée par le salarié, comme dans l’affaire suivante.

Un jeu qui tourne mal

Tout commence le 30 mai 2013, lors d’une “journée plage” organisée au sein des locaux d’une entreprise de programmation informatique. Au cours de l’événement, certains salariés décident de réaliser une danse “x-shake” en s’empilant les uns sur les autres au sol. Chargée d’administration réseau dans l’entreprise, Madame D. se retrouve malheureusement écrasée par ses collègues et est victime de plusieurs fractures des vertèbres cervicales.
L’accident étant survenu au cours d’un événement organisé par l’employeur, il est d’emblée pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), au titre de la législation professionnelle de l’accident de travail.
C’est insuffisant pour la salariée qui décide de saisir le tribunal des affaires sociales de Créteil, le 5 novembre 2015, en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et en réparation de l’intégralité de son préjudice.
Elle est néanmoins déboutée de l’ensemble de ses demandes par le tribunal qui estime qu’elle n’a pas rapporté la preuve d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. En conséquence, Madame D. est condamnée à verser à son employeur la somme de 400 € au titre des frais irrépétibles (frais liés au procès). Mécontente, la salariée interjette appel du jugement, déterminée à faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur dans la survenance de l’accident dont elle a été victime.
À ce stade, rappelons que la faute inexcusable ne se présume pas. En effet, ce n’est pas parce qu’un accident du travail survient dans l’entreprise qu’il est nécessairement dû à une faute inexcusable de l’employeur. Il appartient au salarié de prouver : d’une part que l’employeur avait conscience du danger auquel était exposé le salarié et, d’autre part, qu’il n’a pas pris les mesures de prévention ou de protection nécessaires pour l’en préserver. [Cass. Soc., 28 févr. 2002, n° 00-13.172]. C’est ce que Madame D. va tenter de démontrer devant la cour d’appel de Paris qu’elle a saisie.

Des éléments à décharge de l’entreprise

En premier lieu, la salariée argue du caractère dangereux de la danse. Elle insiste sur le fait qu’elle avait eu lieu dans un espace réduit inadapté et propice aux accidents, favorisant ainsi la survenance de l’accident dont elle avait été victime.
Elle reproche à l’employeur, qui aurait dû avoir conscience du danger, d’avoir autorisé la pratique de cette danse alors même qu’elle n’avait aucun lien avec le thème “journée plage”. À l’appui de ses propos, Madame D. produit des vidéos démontrant le caractère dangereux de la danse et le témoignage d’un autre salarié indiquant que les protagonistes ayant dansé avaient demandé l’autorisation à un cadre de l’entreprise. Cependant, loin de servir sa cause les pièces produites par la salariée vont au contraire amoindrir son argumentation.
• En visionnant la vidéo, rapportée par la plaignante, il apparaît que le “x-shake”, danse au rythme particulièrement frénétique et syncopé, n’est pas nécessairement lié à l’action de personnes se jetant les unes sur les autres. Si les vidéos montrent effectivement des personnes en train de danser de manière désordonnée, il n’est nullement question de personnes sautant les unes sur les autres sauf à la fin du film et pour ainsi dire hors du cours de la danse elle-même.
• Décrivant la situation, lors de l’accident, le témoin précise que “dans l’euphorie générale, une personne, puis une autre, ont sauté sur un collègue de travail qui imitait une personne atteinte de crise d’épilepsie sur le sol du plateau”. Il ressort de ce témoignage que ce sont les salariés eux-mêmes qui ont été à l’initiative de l’empilement de personnes ayant conduit à l’accident. La vidéo de l’incident confirme ces propos puisqu’elle montre des salariés dansant et soudain onze d’entre eux sautent spontanément les uns sur les autres. Dansant elle aussi au début de la séquence, une cadre de l’entreprise ne participe pas à l’empilement des personnes les unes sur les autres et de toute évidence ne l’autorise pas non plus. Il était donc à l’initiative de salariés dont Madame D. faisait partie.
Une aubaine pour l’employeur. S’appuyant sur les propres éléments de preuve apportés par la salariée, il réplique en faisant valoir que le “x-shake” avait été organisé par les salariés eux-mêmes et qu’il n’était pas tenu d’anticiper un danger qui n’était pas “normalement” prévisible et sur lequel son attention n’avait pas pu être attirée antérieurement.

Un accident imprévisible

En l’état, il serait donc anormal de reprocher à l’employeur un manquement à son obligation de sécurité quand il ne pouvait pas avoir conscience du danger ni éviter ce type d’accident imprévisible, eu égard à la rapidité de l’action, d’autant que la salariée victime de l’accident avait décidé de son propre chef de participer à l’action au mépris de sa propre sécurité.
Rappelons également que la protection de la santé et de la sécurité au sein de l’entreprise est souvent considérée, à tort, comme une obligation mise à la seule charge de l’employeur. S’il est vrai que l’employeur, débiteur d’une obligation générale de prévention, doit mettre en œuvre un certain nombre de mesures visant à assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, il n’en demeure pas moins que “tout salarié doit veiller à sa sécurité et à sa santé ainsi qu’à celle de tout autre individu concerné par ses actes ou ses omissions au travail”. L’article L 4121-2 met donc aussi à la charge du salarié une obligation de sécurité.
Ainsi, l’organisation générale de la sécurité de l’entreprise pèse sur le chef d’établissement mais le salarié doit aussi adopter un comportement ne mettant nullement en cause sa propre sécurité ou celle des autres personnes. La jurisprudence en la matière est constante et sanctionne le salarié, dès lors qu’il apparaît que son comportement n’est pas totalement sécurisant, qu’il n’agit pas de façon suffisamment préventive et/ou qu’il n’anticipe aucunement la réalisation des risques professionnels, tant à son endroit qu’à celui des tiers.
Or, en l’espèce, il apparaît que le type de danse pratiquée, les locaux et même les déguisements anodins des salariés ne présentaient par eux-mêmes aucune dangerosité particulière. C’est le comportement des salariés lors de la danse qui est à l’origine de l’accident. La salariée était donc malvenue de reprocher à l’employeur le non-respect de son obligation de sécurité quand elle-même n’avait pas eu un comportement sécurisant.

Le SST intervient promptement

Mais ce n’est pas tout : outre la dangerosité de la danse, la salariée reproche aussi à l’employeur l’absence de secours. Elle signale que l’employeur n’est pas intervenu ni pour empêcher, ni pour faire cesser
l’incident. Elle précise enfin qu’elle a été contrainte de se dégager toute seule de la pile humaine, un argument aisément contredit
par l’employeur. Il s’avère en effet que fort heureusement, l’entreprise avait au sein de son entreprise un salarié sauveteur secouriste du travail (SST) formé aux gestes de premiers secours. Ce dernier, informé par l’employeur, est rapidement intervenu et a contacté immédiatement les pompiers grâce aux consignes de sécurités affichées sur les lieux de l’accident et comportant les coordonnées utiles.
Ainsi, l’employeur établit bien qu’il a porté secours à la salariée. Madame D. confirme d’ailleurs que les pompiers ont été appelés en urgence et qu’elle a été conduite rapidement à l’hôpital le plus proche.
La cour d’appel de Paris se range alors aux côtés l’employeur. Les juges retiennent que la salariée ne prouve pas l’existence d’un risque auquel elle aurait été exposée, ni que l’employeur ait eu une conscience pleine et entière de ce risque. Elle n’établit pas non plus un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité contribuant à la survenance de l’accident de travail. Par conséquent, ils concluent que l’accident de la salariée n’est pas dû à la faute inexcusable de son employeur et confirment le jugement rendu par le tribunal des affaires sociales de Créteil. Madame D. n’aura pas droit à une indemnisation complémentaire. Elle est par ailleurs condamnée, pour la seconde fois, à verser à l’employeur une somme de 1 000 €, au titre des frais de procédure. Résignée, la salariée ne formera pas de pourvoi en cassation.

Le salarié doit être un acteur de la sécurité

Outre le rappel des conditions de la faute inexcusable, l’intérêt de cette affaire est de nous rappeler qu’en matière de prévention le salarié n’est pas qu’un simple spectateur. Il est aussi acteur de la prévention des risques en entreprise et doit à ce titre contribuer à l’effectivité des règles d’hygiène et de sécurité, en s’abstenant par exemple d’adopter un comportement susceptible de mettre en danger sa sécurité et celle de ses collègues. Notons que la mise en œuvre de l’obligation de sécurité à la charge du salarié ne diminue en rien la responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail. Ce dernier reste tenu, au titre de son obligation de sécurité, d’organiser les secours (article R4224-16 du Code du travail). Cette organisation des secours passe par la mise en place sur les lieux de travail, d’un dispositif d’alerte en cas d’accident ou de malaise, la mise à disposition d’un matériel de premier secours et surtout la présence d’un SST, véritable garant en matière de prévention des risques en entreprise.
En l’espèce, nul doute que la présence d’un SST sur les lieux de l’accident et son intervention rapide ont été déterminantes pour les juges dans l’appréciation du respect par l’employeur de son obligation de sécurité.

Tatiana Naounou
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention

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