Les conditions de travail, facteur clé du maintien en emploi des seniors

Share on facebook
Share on twitter
Share on email

Selon une étude réalisée par un collectif d’agents du Ministère du Travail, quelque 35 % des salariés devenus inactifs avant d’avoir atteint l’âge légal de la retraite indiquent que leur situation s’explique par “des problèmes de santé rendant le travail difficile”. Cette donnée souligne que le défi représenté par le vieillissement de la population active ne pourra pas être relevé sans une amélioration drastique des conditions de travail visant notamment à lutter contre l’usure professionnelle.

Il est illusoire de croire que repousser l’âge légal de la retraite suffira à résoudre le problème de main-d’œuvre que va entraîner l’inéluctable avancée en âge des générations nombreuses issues du baby-boom. C’est l’avertissement lancé par un collectif d’agents de la Dares qui souligne que l’âge légal de la retraite – le fameux “âge pivot” -, n’est qu’un âge théorique : en effet si, comme aujourd’hui, nombre de travailleurs qui n’ont pas atteint cet âge quittent leur emploi pour des raisons de santé alors, en pratique, rien n’aura changé (1).

Vers une explosion sans précédent du nombre de travailleurs âgés


Lors d’une vaste campagne de sensibilisation lancée en 2016, l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) faisait déjà la même analyse (2). “D’ici à 2030, observait-elle, les travailleurs âgés de 55 à 64 ans devraient constituer 30 % ou plus de la main-d’œuvre dans de nombreux pays européens. L’âge de départ à la retraite augmentant dans de nombreux États membres, nombre de travailleurs sont susceptibles de connaître un allongement de leur vie professionnelle.” Mais elle prenait bien soin de préciser que ce défi impliquait de “consentir des efforts afin de garantir des conditions de travail sûres et saines tout au long de la vie professionnelle.”


Réduire la pénibilité tout au long de la vie professionnelle


Le terme important est ici “tout au long de la vie professionnelle”. En effet, une erreur fréquente consiste à croire que la réponse passe avant tout par des mesures d’aménagement spécialement dédiées aux seniors, par exemple en termes d’horaires ou de postes de travail. Or, si cela est bien sûr crucial, il ne faut pas pour autant négliger les politiques globales de santé et de sécurité au travail, seules à même de réduire les facteurs de pénibilité pour tous les salariés, y compris les plus jeunes.
En effet, comme le précise l’étude “Les seniors, l’emploi et la retraite” réalisée par France Stratégie, “les personnes de 50 à 59 ans qui ont été durablement exposées à des pénibilités physiques sont moins souvent en bonne santé et également moins souvent en emploi après 50 ans, notamment quand elles ont cumulé plusieurs facteurs de pénibilité” (3). Pour le dire de façon plus directe : les travailleurs en état de travailler à un âge avancé sont ceux qui ont bénéficié de bonnes conditions de travail dans la force de l’âge. C’est en améliorant les conditions de travail des salariés aujourd’hui âgés de 30 ou 40 ans qu’une entreprise peut espérer de les compter encore dans ses effectifs dans une dizaine ou une quinzaine d’années.


Les trois paramètres du maintien dans l’emploi des séniors


Une étude réalisée auprès d’entreprises bretonnes par Gwénaëlle Poilpot-Rocaboy, professeur à l’Université de Bretagne Sud,
Natacha Pijoan, maître de conférences à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et Alain Chevance, chargé de mission à l’Aract de Bretagne, a démontré que l’amélioration des conditions de travail avait même un effet plus positif qu’escompté sur le maintien en emploi des seniors (4).
Ces chercheurs ont d’abord mis en évidence que le maintien des seniors dans l’emploi dépendait avant tout de trois paramètres sur lesquels peuvent agir les entreprises.
• Il faut d’abord affirmer le “vouloir garder les seniors”. En effet, pour que les seniors restent en activité, encore faut-il que leur hiérarchie et leurs collègues le souhaitent. Cela suppose notamment de lutter contre les stéréotypes négatifs souvent associés aux travailleurs âgés et de lutter contre les discriminations dont ils peuvent être victimes. Mais cela ne suffit pas.
• Il faut aussi favoriser le “vouloir rester des seniors”. Car si les principaux intéressés ne souhaitent pas poursuivre leur carrière mais profiter au plus vite de leur retraite, toute action sera vaine… On ne peut pas maintenir quelqu’un au travail contre son gré.
• Enfin, il faut agir en faveur du “pouvoir rester en emploi des seniors”. En effet, de nombreuses études ont mis en évidence que le cumul de pénibilités aboutissait, chez les salariés, à une usure professionnelle précoce se traduisant par une sortie plus rapide de l’emploi.


Le double effet positif de l’amélioration des conditions de travail


Les effets positifs de l’amélioration des conditions de travail sur le “pouvoir rester en emploi des seniors” sont bien connus. Ils se déploient aussi bien à court terme qu’à long terme, mais selon des modalités différentes. Les résultats à court terme s’obtiennent en prenant des mesures spécifiques spécialement dédiées aux seniors : aménagement des postes et des horaires de travail, adaptation des tâches demandées, etc. En revanche, les résultats à long terme passent par des mesures visant à une amélioration globale des conditions de travail pour tous les salariés sans considération d’âge. Cette volonté se traduit par une attention redoublée aux risques professionnels, via la réalisation d’un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et de plans de prévention visant à la réduction des facteurs de pénibilités.
Mais, de façon plus surprenante, l’étude menée en Bretagne a mis en évidence que l’amélioration des conditions de travail avait également un impact important sur le “vouloir rester en emploi” des seniors. Jusqu’ici, on estimait en effet que cette dimension dépendait, de manière prépondérante, de facteurs managériaux en lien avec l’engagement et la motivation. C’est la raison pour laquelle, afin d’inciter les seniors à poursuivre leur activité, les entreprises recouraient essentiellement à des leviers tels que les perspectives de carrière, la prise en compte des désirs exprimés en matière de conciliation entre vie privée et vie professionnelle, le maintien du droit à la formation, etc.
Or, si ces aspects sont bien sûr très importants, il apparaît que les mesures prises en matière de préservation de la santé et de lutte contre les pénibilités ont également un fort impact sur la réduction des départs volontaires des salariés seniors.


L’amélioration des conditions de travail, pivot d’une politique de RH responsable


“Notre étude montre que les actions liées aux conditions de travail conduisent au maintien des seniors en emploi en agissant tant sur le ‘pouvoir rester’ en emploi que sur le ‘vouloir rester en emploi’ ”, écrivent les auteurs. Ces travaux viennent donc souligner une nouvelle fois que les initiatives prises pour prévenir les accidents du travail, conjurer les maladies professionnelles et réduire l’exposition aux facteurs de pénibilités constituent bien des piliers d’une politique de ressources humaines responsable et efficace.


Christophe Blanc

(1) Voir Santé & Travail (www.sante-et-travail.fr).

(2) www.healthy-workplaces.eu.

(3) “Les seniors, l’emploi et la retraite”, par Emmanuelle Prouet Julien Rousselon, France Stratégie, octobre 2018.

(4) “Garantir le maintien des seniors en emploi : influence des conditions de travail sur le ‘pouvoir rester’ et le ‘vouloir maintenir’ les seniors en emploi”, Association de Gestion des Ressources Humaines, 2013.

Maintenant abonnement au départ
seulement 4,90 EUR

Inscrivez-vous à notre newsletter