TRAVAIL POSTÉ, TRAVAIL DE NUIT : Des altérations avérées de la santé

Share on facebook
Share on twitter
Share on email

Les organisations du travail en horaires atypiques, travail de nuit et/ou posté sont en augmentation dans notre société, malgré le Code du travail qui exige que celles-ci restent exceptionnelles. En effet, des études scientifiques font la démonstration que ces organisations s’accompagnent de conséquences avérées, à courts ou longs termes, sur la santé des travailleurs concernés.

Les effets sanitaires liés au travail en horaires atypiques constituant un domaine d’étude complexe, du fait de l’implication de disciplines scientifiques très diverses et de la richesse de la littérature, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a créé en 2012 un groupe de travail : « Évaluation des risques sanitaires pour les professionnels exposés à des horaires atypiques, notamment le travail de nuit ».

Un vaste travail (synthèse de la littérature, analyse critique, consultations, auditions, exploitations de données terrain…), a permis de cibler prioritairement cinq effets sanitaires : l’altération de la qualité du sommeil et de sa durée, les effets cognitifs, psychomoteurs et autres effets sur la vigilance, les effets sur la santé psychique et mental, les troubles métaboliques et les pathologies cardiovasculaires et les cancers.

À l’issue, un rapport d’expertise a été publié en mars 2016. Il classe les effets du travail de nuit et autres horaires atypiques sur la santé, selon trois niveaux de mise en évidence par les connaissances scientifiques.

Après une période de travail en horaires décalés, les travailleurs de nuit affichent des difficultés à trouver le sommeil. En effet, lors d’une activité professionnelle de nuit, il se produit sur le plan physiologique, une désynchronisation entre les rythmes circadiens calés sur un horaire de jour et le nouveau cycle activité-repos et donc veille-sommeil. Cette désynchronisation est aussi favorisée par des conditions environnementales peu propices au sommeil : bruit et lumière du jour pendant le repos, température plus élevée que la nuit, rythme social et obligations familiales. Physiques ou sociologiques, tous ces facteurs contribuent à perturber les rythmes biologiques et le sommeil. Ainsi, les troubles du sommeil évoqués par les travailleurs de nuit portent aussi bien sur la qualité que sur la quantité de sommeil. Ils sont définis par des critères diagnostiqués selon quatre conditions :
– Insomnie ou somnolence diurne excessive accompagnée d’une baisse du temps de sommeil,
– Présence, depuis au moins trois mois, de symptômes liés à des horaires de travail posté ou de nuit,
– Profils de veille et de sommeil perturbés révélés pendant au moins 14 jours,
– Pathologies du sommeil et de la veille pas mieux expliqués par d’autres pathologies.

Parmi les troubles du sommeil, celui plus spécifique de la somnolence est expliqué par la désynchronisation de la journée de travail par rapport à l’horloge circadienne et par la « dette de sommeil » développée par les travailleurs postés et de nuit. Or, la somnolence et une diminution de la vigilance peuvent être à l’origine d’accidents du travail ou de trajet survenant la nuit. Ces derniers sont plus importants lors du trajet « aller », avant le poste du matin et lors du trajet « retour », après le poste de nuit. La somnolence au volant multiplie le risque d’accident de la route par 3 à 5. Quant aux accidents du travail, ils sont plus nombreux lors du travail de nuit.

Les postes longs de plus de 9 heures ont par ailleurs un risque accidentel accru. De nombreuses recherches fondamentales chez l’homme (études mécanistiques en laboratoire) retrouvent la présence de cette somnolence avérée dont l’intensité dépend du rythme de travail posté incluant la nuit mais aussi de facteurs chronobiologiques et homéostatiques de dette de sommeil, en fonction du temps de sommeil réduit et de l’intervalle de temps entre le dernier épisode de sommeil et le début de la période de travail.

Il existe plusieurs définitions du syndrome métabolique. L’une d’elles définit ce syndrome comme la présence simultanée d’au moins trois critères sur cinq paramètres biologiques et cliniques liés au tour
de taille (supérieur à 94 cm pour les hommes et à 80 cm pour les femmes), à la pression artérielle (tension trop haute), à la triglycéridémie, à la cholestérolémie (faible taux de « bon » cholestérol HDL) et à la glycémie (hyperglycémie correspondant à un excès de sucre dans le sang).

Or, il a été démontré via une étude dédiée à ce sujet que le taux d’incidence du syndrome métabolique est plus élevé pour les travailleurs postés, dont ceux en travail de nuit, par rapport aux travailleurs de jour, faisant la démonstration au final d’un effet avéré du travail de nuit sur la survenue du syndrome métabolique.

S’il peut rester longtemps asymptomatique, le syndrome métabolique se développe généralement sous la forme d’un excès de graisse au niveau du ventre. Il augmente avec le temps le risque de développer des problèmes de santé très grave.

Sous l’influence de facteurs génétiques et environnementaux, le syndrome métabolique provoque des anomalies dans l’utilisation et le stockage du sucre et des lipides, ainsi que des phénomènes inflammatoires délétères pour notre organisme.
Des études démontrent que le protocole de désynchronisation forcée, associé à une désynchronisation de l’horloge circadienne et à une restriction de sommeil, entraîne une hyperglycémie consécutive à une compensation pancréatique inadéquate, chez les hommes et les femmes quel que soit leur âge. Ce processus permet de mettre en exergue une association significative entre le travail posté incluant la nuit et la prise de poids.

Le diabète correspond à un excès durable de la concentration de glucose dans le sang (hyperglycémie). Dans le cas du diabète de type 2, ce phénomène est provoqué par une perturbation du métabolisme glucidique. Or, les effets de la perturbation circadienne et/ou de la restriction de sommeil sur l’insulino-résistance sont plausibles. Ainsi, dans la plupart des études expérimentant l’effet d’une perturbation circadienne chez l’Homme ou l’animal, une altération du métabolisme du glucose, ainsi que de la sensibilité à l’insuline a été observée.
Une relation dose-réponse significative entre la durée de travail posté incluant la nuit et le risque de diabète de type 2 a pu être mise en évidence. Dans les différentes études retenues, il est montré que le travail posté est associé à un risque significativement augmenté de diabète de type 2, notamment chez les travailleurs postés en horaires alternants.

Sur la base des facteurs de risque examinés, l’association entre le travail posté, dont le travail de nuit, et les troubles cardiovasculaires est vraisemblable, selon les études sur le sujet. Les résultats peuvent toutefois différer sous divers aspects, tels que : la définition et la quantification imprécises de l’exposition, la classification erronée des cas et des témoins, le type d’étude (transversale, longitudinale), les groupes et autres secteurs examinés, les critères de diagnostic, les méthodes de déclaration, les facteurs de confusion et de risque considérés, et l’« effet du travailleur en bonne santé » (vieillissement, recrutement, surveillance médicale périodique).
L’effet du travail de nuit sur les maladies coronariennes est dès lors jugé probable en particulier pour l’ischémie coronaire et l’infarctus du myocarde.

Une analyse critique des études épidémiologiques sur le risque de cancer en lien avec le travail posté incluant la nuit permet de considérer qu’il existe des éléments en faveur d’un excès de risque de certains cancers associé au travail de nuit, sur la base de l’existence de mécanismes physiopathologiques qui peuvent expliquer les effets cancérogènes des perturbations du rythme circadien. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) avait classé dès 2007 le travail de nuit dans le groupe des cancérogènes probables pour l’homme. Il a confirmé cette classification en 2019, mettant en évidence des associations significatives entre le travail de nuit et le développement des cancers du sein, de la prostate, du colon et du rectum. Inévitablement, une des études démontre que les salariés les plus à risque sont ceux qui travaillent dans les secteurs où le travail de nuit est le plus courant : commerce, industrie, santé, services et transports.
Le résultat d’études expérimentant les liens entre les perturbations induites du rythme circadien et l’apparition de cancer démontre l’existence de mécanismes physiopathologiques qui peuvent expliquer les effets cancérogènes des perturbations du rythme circadien. Les études épidémiologiques disponibles ne permettent toutefois pas de conclure à une relation de cause à effets du travail de nuit sur les autres types de cancer.

Si la plupart des études utilisent la mesure objective du temps de réaction dite du PVT (pour Psychomotor Vigilance Test), quelques-unes proposent d’autres méthodes d’évaluation intéressantes.
Sur la base de plus d’une dizaine d’études, la majorité montre d’entre elles que le travail posté incluant la nuit est associé à une baisse des performances cognitives (langage, mémoire). Cependant, la diminution de performance psychomotrice serait plus affectée par la privation de sommeil précédant la prise de poste que par l’horaire du poste.
Les études fondamentales réalisées chez l’Homme avec des horaires postés simulés en laboratoire confirment les effets de ces horaires décalés sur les performances cognitives, en particulier ceux évalués par le PVT.

Troubles de l’humeur, dépression, irritabilité, anxiété, troubles de la personnalité, etc., les travailleurs de nuit rapportent régulièrement des atteintes à leur santé psychique. Longtemps considérées comme une conséquence des affections psychiques, les altérations du système circadien, et donc potentiellement le travail de nuit, pourraient être impliquées dans la genèse de ces troubles. Le travail de nuit influerait sur les facteurs de risques psychosociaux (RPS) et les troubles du sommeil, qui à leur tour pourraient augmenter les risques de troubles mentaux.
Travailleurs de nuit ou non, tous les salariés sont confrontés aux RPS mais les travailleurs postés et travailleurs de nuit ont davantage de difficultés que les travailleurs diurnes dans leur vie sociale et familiale.


Les dyslipidémies (troubles métaboliques qui se définissent par une concentration très élevée de lipides ou un taux de cholestérol HDL bas, dans le sang), l’hypertension artérielle (élévation de la pression sanguine dans les artères qui peut être liée à : un mode de vie sédentarisé, un excès de consommation d’alcool ou de tabac. Stress et obésité peuvent aussi contribuer à la survenue de cette hypertension artérielle) et les accidents vasculaires cérébraux ischémiques (obstruction d’une artère) sont également des effets possibles du travail de nuit. Mais il existe de nombreuses imprécisions et limites méthodologiques concernant les études scientifiques à leur sujet. Dès lors, elles ne permettent pas de conclure de façon plus affirmative à l’existence d’un lien entre le travail de nuit et ces effets néanmoins possibles.
Outre les effets sur la santé, le travail en horaires atypiques, dont le travail posté et le travail de nuit, est un facteur d’augmentation des risques d’accidents du travail et autres accidents de trajet, en raison du manque d’attention ou de sommeil, des troubles de la concentration et du stress, davantage présents chez les travailleurs concernés.
Par ailleurs, comme abordé dans les risques psychosociaux, les travailleurs de nuit doivent faire face à plus d’effets sur la vie sociale et familiale, avec des difficultés à : organiser ou participer à des rencontres amicales, accéder à des activités culturelles sportives…). Le temps et la qualité accordés aux relations et autres interactions familiales et conjugales sont aussi très souvent diminués pouvant créer des dysfonctionnements potentiellement graves. Les cas de divorce sont ainsi plus fréquents chez les travailleurs de nuit.

Synthèse réalisée
par Stéphane Chabrier

.

Déficit de main-d’œuvre et dégradation des conditions de travail : gare au cercle vicieux !

Le recours au travail de nuit doit prendre en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Plusieurs leviers sont à la disposition des chefs d’entreprise pour prévenir les risques spécifiques rencontrés par les travailleurs postés, la nuit ou selon des horaires atypiques.

Organiser le travail

La première action concerne l’organisation du travail, les horaires et les rythmes, en particulier. Parmi les rythmes de rotation, en cas de travail posté, certains sont plus pathogènes que d’autres. Exemple, faire les 3×8 oblige à une alternance extrêmement délétère entre rythmes du matin, de l’après-midi et de la nuit. Le changement de rythme, tous les 5 à 7 jours, est particulièrement préjudiciable au fonctionnement de l’horloge biologique. Il est donc nécessaire d’optimiser les horaires et les rythmes de travail. En cas d’activité non continue le week-end, il est conseillé de basculer sur un rythme en 2×8 et de préférer dans tous les cas les rotations qui minimisent le nombre de nuits consécutives, à 3 au maximum. Pour une journée commençant tôt le matin, il est également préférable de repousser l’heure de prise de poste après 6 heures.

Agir sur le contenu et l’environnement du travail

Le contenu du travail lui-même peut faire l’objet d’une réflexion pour être adapté au travail de nuit, afin que le port de charge par exemple soit moins lourd et moins récurent qu’en journée. Il est également possible d’adapter l’environnement du travail, en prévoyant notamment un éclairage spécifique ni trop faible ni trop agressif, voire le rendre adaptatif : d’une exposition plus intense en début de poste puis limitée en fin de poste.

Outre la salle de pause classique permettant de prendre un repas, une salle de repos permettant de faire, au calme et confortablement, une micro sieste. Certaines entreprises mettent à disposition de leurs salariés en activité nocturne, des temps de pauses supplémentaires pour favoriser les micro-siestes. Se reposer, c’est réparer les niveaux de vigilance pendant plusieurs heures. Une micro-sieste de 15 à 20 minutes permet ainsi de restaurer les niveaux de vigilance pendant les 3 à 4 heures qui suivent.

Informer et consulter les salariés

Dans tous les cas, l’accord des salariés est indispensable pour envisager un changement d’organisation et pour choisir un travailleur de nuit. Il faut prendre le temps de l’informer sur les changements induits dans le cadre de son activité mais aussi sur les conséquences possibles hors de ce cadre. La sensibilisation doit porter sur l’importance de la qualité et de la quantité des périodes de repos, à ne pas négliger, ainsi que sur l’équilibre des prises alimentaires.

Faire appel à des experts

Pour en savoir plus, les services de santé au travail et les Carsat sont source d’information sur le sujet. De son côté, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) a publié 4 fiches pratiques concernant les solutions de prévention liées au travail de nuit et le travail posté. Elles sont intitulées : « Optimisez les horaires et les rythmes de travail », « Adaptez le contenu et l’environnement de travail », « Formez et informez les équipes » et « Adaptez la micro-sieste au travail ». Enfin, il ne faut pas hésiter à consulter les préventeurs privés qui vous épaulent à l’année dans la prévention des risques.

Maintenant abonnement au départ
seulement 4,90 EUR

Inscrivez-vous à notre newsletter