Qualité de vie au travail : 4 raisons pour lesquelles les TPE-PME devraient l’adopter

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Depuis une dizaine d’années, le concept de “qualité de vie au travail” (QVT) a fait son entrée dans le monde des entreprises. Il repose sur une vérité très ancienne mais longtemps négligée : prêter attention aux besoins humains des salariés est, pour l’entreprise, un levier de performance qui ne le cède en rien aux facteurs techniques ou financiers. C’est dire s’il représente un atout naturel pour les TPE-PME.

1. La QVT est particulièrement adaptée aux entreprises à taille humaine

Selon un préjugé tenace, les démarches de QVT seraient peu ou prou réservées aux grandes entreprises qui seules auraient les moyens, financiers et humains, de les mettre en œuvre. Or, rien n’est plus faux car la QVT vise justement à mettre en valeur les atouts que possèdent les entreprises à taille humaine par rapport aux grosses structures nées dans le sillage de la révolution industrielle.
Comme le rappelle l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) dans un récent article (1), “on trouve les fondements du concept de qualité de vie au travail (QVT) dans les années cinquante, chez Eric Lansdown Trist, du Tavistock Institute de Londres, dans le cadre de ses recherches révélant les limites du taylorisme : monotonie, déqualification, sentiment d’aliénation, impacts négatifs sur la productivité…”
La QVT représente ainsi une réponse à l’épuisement des préceptes de l’organisation scientifique du travail alors en vogue dans les grandes firmes. Chercheur en psychologie sociale, Eric Lansdown Trist est en effet le co-fondateur du mouvement “Qualité de vie professionnelle”, professant que la performance des organisations dépend avant tout du libre engagement de ses membres. Les préconisations qu’il formule au milieu des années 60 forment une sorte de réquisitoire contre le travail déshumanisé qui prévaut alors dans les grandes firmes où le travail a été divisé en une infinité de tâches minuscules ne nécessitant aucune initiative ni aucun véritable savoir-faire de la part de celui qui les accomplit.
Contre cette vision mécaniciste du travail, Eric Lansdown Trist invite les entreprises à retrouver les vertus du travail tel qu’il était pratiqué par les artisans, avant l’essor du taylorisme. Il estime en effet que les travailleurs donnent le meilleur d’eux-mêmes lorsque l’entreprise fait en sorte de “leur faire connaître et comprendre la nature du travail qu’ils effectuent” ; “favoriser leur apprentissage durant le processus du travail” ; “leur autoriser un certain degré de liberté et d’initiative dans l’accomplissement des tâches” ; “les reconnaître socialement” ; “leur permettre de situer leur travail par rapport aux objectifs de l’organisation” ; “leur faire sentir que son travail est utile” (2).
Le fondement même de la QVT consiste à s’inspirer de la façon dont le travail est traditionnellement pratiqué et organisé dans les meilleures des petites et moyennes entreprises. Loin d’être inaccessibles à ces dernières, les démarches de QVT leur proposent de renforcer les traits de leur ADN fait d’esprit d’équipe, d’autonomie, de confiance, de dialogue direct, de respect mutuel, de transmission des compétences et de partage des enjeux collectifs de l’entreprise.

2. Les actions de QVT font découler le “bien-être” du “bien faire”

Création de salles de sport ou de lieux détente, séances de relaxation ou d’initiation à la méditation, installation de baby-foot ou de flippers… Telles sont les solutions adoptées par nombre d’entreprises dans l’espoir de se conformer à l’injonction qui leur est adressée de se préoccuper du bonheur de leurs salariés. Tantôt sympathiques et bien intentionnées, tantôt franchement cyniques, ces initiatives, parfois prises sous l’égide d’un chief happiness officer, passent toutefois totalement à côté du sujet de la Qualité de vie au travail (QVT)
Pour les véritables experts en QVT, ces gadgets agissent comme un écran de fumée qui empêche les entreprises et leurs membres d’identifier les authentiques gisements de progrès. Très critiques sur “l’idéologie du bonheur” qui, selon eux, envahit le monde du travail, l’économiste Nicolas Bouzou et la philosophe Julia de Funès déplorent : “Un certain nombre d’entreprises avec lesquelles nous travaillons sont bureaucratiques, rigides, organisées en silo. Leur management est perméable aux théories à la mode mais fait l’impasse sur des notions comme l’autonomie, le courage et le sens. Elles invoquent le bonheur mais oublient la convivialité qui naît de la volonté de participer à un projet qui fait sens (3).”
Ces dérives délétères ne sont hélas pas neuves. Voici quelques années, une note de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) mettait déjà en garde les entreprises en soulignant que “la notion de bien-être au travail est parfois mobilisée pour parler d’actions qui n’ont que peu d’impacts sur l’organisation concrète du travail dans les équipes. C’est le cas par exemple de la mise à disposition d’infrastructures sportives, de séances de massages ou de conseils diététiques” (4).
Il faut dès lors inlassablement le rappeler : une authentique politique de QVT a pour objet de mener une réflexion sur le travail et les conditions dans lesquelles il s’exerce. Elle porte non sur les à‑côtés du travail mais sur le travail lui-même, aussi bien dans ses aspects ergonomiques qu’organisationnels et managériaux. Dans le sillage des observations d’Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) la QVT postule que “le respect du travail bien fait est le meilleur antidote au mal-être professionnel” (5). En renforçant les liens entre “bien faire” et “bien-être”, les démarches de QVT créent ainsi un cycle vertueux dans lequel l’épanouissement des salariés et l’efficacité de l’entreprise se renforcent l’un l’autre.

3. La QVT est gage d’agilité et de créativité dans un monde instable et imprévisible

Comme la crise sanitaire l’a démontré de façon paroxystique, la survie des entreprises dépend grandement de leur capacité à faire face à l’imprévu. Ce n’est pas neuf : depuis une vingtaine d’années, de nombreux experts caractérisent l’environnement dans lequel évoluent les entreprises par l’acronyme “VICA” signifiant “volatil, incertain, complexe et ambigu” (6). Dans un tel contexte la capacité à répondre avec agilité à des changements de toutes natures – technologiques, juridiques, sociaux, etc. – devient critique.
Comme le souligne l’Anact, “liés aux évolutions des exigences des clients, à la concurrence marchande et aux mutations technologiques, les enjeux du marché poussent les entreprises à accroître les rythmes d’innovation (produits, services, process, organisations…). Cette tendance incite à agir en matière de formation des salariés, d’évolutions professionnelles, d’accompagnement des changements, elle incite également à soutenir l’engagement des salariés, perçu comme un levier pour relancer l’innovation interne et gagner en compétitivité” (7).
Pour répondre au défi que représente l’émergence d’un tel environnement, les entreprises ont été amenées à changer de paradigmes organisationnels et managériaux. En effet, tandis que, dans l’ancien environnement stable et prévisible, elles pouvaient parfaitement s’accommoder d’un fonctionnement “command and control” visant à la seule l’obéissance des salariés, dans un monde imprévisible, leur performance repose sur leur esprit d’initiative et leur réactivité face à des demandes toujours nouvelles. En d’autres termes, alors que la valeur cardinale du management taylorien était la conformité, le management contemporain recherche la créativité individuelle et collective.
Or les démarches de QVT visent très clairement à soutenir le déploiement d’un tel management. Il est ainsi significatif qu’au-delà de la promotion des conditions de travail, l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la QVT ait mis en avant des notions telles que “le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation” et même “un droit à l’erreur accordé à chacun”. Loin de représenter un nouveau bouquet de normes rigides, la QVT constitue une réponse opérationnelle au défi d’un monde en perpétuelle évolution.

4. La QVT répond à la quête de sens exacerbée par la crise sanitaire

Pour nombre de travailleurs, la crise sanitaire a été une période propice à l’introspection. Dans le temps suspendu du confinement, chacun a été conduit à faire le point sur sa vie mais aussi sur sa carrière et son travail. Comme l’a déclaré la sociologue du travail Dominique Méda, avec cette expérience “nous allons apprendre énormément de choses sur la place du travail dans nos vies (8)”.
Toutes les configurations ont été vécues. Certains ont expérimenté que leur activité professionnelle et leurs collègues leur manquaient plus qu’ils ne l’avaient imaginé. D’autres, au contraire, ayant redécouvert les joies de la vie de famille, estimeront que leur emploi n’est pas assez gratifiant et ne répond pas à leurs attentes. “Ceux qui ont eu moins de travail ont disposé de davantage de temps pour repenser aux rêves qu’ils n’ont pas réalisés”, constate Timothé Ameline, responsable des études d’un site d’aide à la réalisation de CV en ligne (9).
On aurait donc tort de croire qu’à l’issue du confinement les attentes des travailleurs se résumeront à une aspiration renforcée au télétravail ou à la quête d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle ou vie privée. Plus profondément, nos contemporains veulent se sentir utiles au travail et souhaitent fuir les fameux “jobs à la con”, ainsi qualifiés par le sociologue américain David Graeber parce que, “même ceux qui les exercent les trouvent inutiles” (10).
Or cette légitime quête de sens figure au cœur de la qualité de vie au travail (QVT) car, pour être bien dans son travail, il faut en être fier. Inutile toutefois de sombrer dans la grandiloquence, bien au contraire ! “Un garagiste qui explique à ses employés qu’ils contribuent, par leur travail, à quelque chose d’aussi essentiel pour leurs clients que de se déplacer pour travailler ou aller chercher leurs enfants à l’école, répond davantage à leur quête de sens que le PDG de Danone qui prétend vouloir sauver la planète”, précise Philippe Schleiter, directeur du cabinet de conseil en management Delta Lead. Une nouvelle preuve que les TPE-PME ne devraient pas se laisser intimider par des démarches de QVT ne visant, finalement, qu’à valoriser, sur un mode volontariste, ce qu’elles sont et font naturellement.

Christophe Blanc

(1) “QVT : brève histoire d’un concept”, www.anact.fr, 25/11/13. (2) Notice du site www.wikiberal.org. (3) La comédie (in)humaine. Comment les entreprises font fuir les meilleurs, par Julia de Funès et Nicolas Bouzou, Éditions de l’Observatoire, 2018, 176 p. (4) www.inrs.fr. (5) Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, par Yves Clot, La Découverte, 2010, 200 p. (6) “What VUCA Really Means for You”, par Nathan Bennett and G. James Lemoine, Harvard Business Review, janvier 2014. (7) Cité in “La QVT au cœur des enjeux contemporains de l’entreprise”, www.impactprevention.fr, 18/05/19. (8) Entretien accordé à Pour l’Eco, 23/04/20. (9) “Le confinement, cause d’introspection, de doutes, de regrets ?” Les Échos, 07/05/20. (10) Bullshit Jobs, par David Graeber, Éditions Les liens qui Libèrent, 2018, 416 p.

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