La pénurie de main-d’œuvre à laquelle doit faire le secteur de l’hôtellerie-restauration est une conséquence de conditions de travail jugées aujourd’hui inadéquates par les jeunes qui font leur entrée sur le marché du travail. Mais le secteur réagit souligne Vincent Sitz, président de la Commission Emploi Formation QVT au GNI-HCR, le groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration qui représente aussi les patrons de bar, brasseries, discothèques ainsi que les traiteurs. Parmi les 11 000 établissements adhérents, une majorité est située en Île-de-France. De type TPE et PME, ils comptent en moyenne 25 salariés.
Pourquoi le secteur a-t-il autant de mal à attirer de la main-d’œuvre ?
Je n’aime pas les clichés mais auparavant le secteur tournait convenablement. Toutefois, il était contraignant. Les employeurs imposaient et les salariés s’adaptaient : travail sur une large plage horaire en journée, le soir, les week-ends, les jours fériés et pendant les vacances… Mais aujourd’hui, quand vous tentez d’imposer les mêmes contraintes à vos salariés ou à d’éventuels futurs salariés, je ne dirais pas qu’ils vont partir en courant mais on n’en est pas loin. Si vous vous adressez de cette manière aux plus jeunes, en particulier, ce n’est pas motivant.
La remise en cause des conditions de travail explique-t-elle le désamour vis-à-vis du secteur ?
Il y a énormément de secteurs qui souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre, tel le BTP ou le secteur artisanal de manière générale. Je crois qu’il y a aussi un problème générationnel. Par rapport aux générations précédentes, on est aujourd’hui face à un public qui privilégie son bien-être, ses loisirs ou sa vie de famille par rapport à son travail. Cela nécessite pour notre secteur de s’adapter, mais on ne peut pas non plus aller beaucoup plus loin que ce que l’on fait déjà. Il faut aussi tenir compte de la clientèle, des touristes qui ont des besoins et des attentes et qui sont en droit d’attendre de notre part un service. Pour l’hôtellerie, par exemple, il faut bien comprendre qu’on travaillera toujours 7 jours sur 7 et pratiquement 24 heures sur 24.
Dès lors, ne faut-il pas travailler sur les conditions de travail ?
Il faut travailler sur l’attractivité de notre secteur sur de nombreux points. Nous avons commencé par revoir la grille des salaires, la grille de classification. L’apprentissage est enfin reconnu par le gouvernement comme une voie d’excellence. Les entreprises, des grands groupes du secteur aux petits indépendants, ont aussi adhéré à l’idée que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) s’imposait et les salariés eux-mêmes, soucieux des enjeux environnementaux, y sont favorables. Par conséquent, les entrepreneurs du secteur l’intègrent désormais, certes chacun à sa façon et avec ses moyens : tri des déchets, etc. Ces mesures se répandent dans le secteur.
Quand vous évoquez la large plage horaire de travail, n’est-ce pas inévitable pour les professionnels du secteur de devoir composer avec cette contrainte ?
Je ne connais pas de secteur d’activité ou de métier qui n’ait pas ses propres contraintes. Nous connaissons les nôtres, elles sont inhérentes à notre activité. Nous aurons toujours l’obligation de travailler le week-end et en période estivale, à être ouvert le soir voire la nuit pour les discothèques et les traiteurs auront toujours une forte activité le week-end. Mais l’attractivité du secteur passe par l’amélioration de la qualité de vie au travail. Attention, il ne s’agit pas de mettre un baby-foot ou une console de jeux dans la salle de pause de l’établissement. Il faut être davantage à l’écoute du salarié et de ses besoins et de la planification de ses périodes de travail. Il faut qu’un dialogue s’installe autour de celle-ci. L’employeur ne peut plus passer en force.
Quelles sont les mesures à adopter pour améliorer la qualité de vie au travail (QVT) ?
Concernant l’organisation du travail, des entrepreneurs innovent sur les plannings en proposant des semaines partagées en 4 jours de travail et 3 jours de repos. Une autre solution consiste à proposer aux employés des plannings hebdomadaires glissés qui permettent de libérer chaque employé un ou deux week-ends par mois. D’autres employeurs favorisent un aménagement de la plage horaire travaillée de leurs salariés de manière, dans les restaurants en particulier, à éviter une trop longue amplitude horaire de travail incluant les deux services de la journée. Ce sont des adaptations qui se répandent aujourd’hui et qui expriment bien la flexibilité dont doit faire preuve l’employeur.
Outre l’organisation du travail, sur quels autres aspects la QVT peut-elle être améliorée ?
Quand on parle de qualité de vie au travail, c’est aussi prendre des mesures pour réduire la pénibilité au travail. Sur ce point, on dit souvent que nos métiers sont pénibles. Malgré cette image, ils ne le sont pas tant que ça. D’ailleurs, ils ne rentrent pas dans les critères de la pénibilité. Toutefois, des mesures ou des dispositifs sont possibles pour réduire la difficulté de certaines tâches ou les rendre moins désagréables. Dans les restaurants par exemple, les cuisinières à induction se généralisent. Les fours sont connectés au wi-fi et permettent de faire de la traçabilité parce que c’est désormais obligatoire. Les systèmes informatiques permettent de gérer le Plan de maîtrise sanitaire (1), c’est-à-dire tout ce qui relève de l’hygiène alimentaire dans un établissement.
Où en est-on en matière de santé et sécurité ?
Fortement réglementé, sur le plan de l’hygiène en particulier, le secteur de l’hôtellerie-restauration est l’un des secteurs les mieux préparés et les mieux équipés. La prévention des risques est inévitable. Sous la coordination du service de prévention et de santé au travail et du médecin du travail, une équipe pluridisciplinaire de l’entreprise élabore une fiche d’entreprise qui recense les facteurs de risques professionnels et le nombre de salariés qui y sont exposés, les mesures de prévention collectives et individuelles mises en place, ainsi que toute autre action visant à réduire les risques et plus globalement les préconisations émises par l’équipe pluridisciplinaire pour améliorer les conditions de travail.
L’élaboration de cette fiche constitue une source d’informations utiles dans le cadre de la rédaction du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) ou de son plan d’action. Il y a toujours des accidents de travail (AT) et des maladies professionnelles (MP) mais on est un des secteurs qui, avec toutes les actions menées avec les Carsat et la Cramif, a réduit de façon significative son taux de AT/MP avec des actions telles que : l’adaptation des postes de travail et le déplacement d’ergonomes dans les entreprises.
En quoi ces organismes ont-ils été un soutien aux entreprises du secteur ?
Pour réduire les AT/MP, ces organismes : les Carsat en province et la Cramif en Île-de-France, recensent les accidents et les maladies déclarées dans chaque branche professionnelle. Sont ainsi identifiés tous les dangers et les risques les plus courants comme les coupures ou les brûlures dans la restauration. Sont alors mises en place, par secteur, des conventions nationales d’objectifs (CNO) qui vont permettre à des chefs d’entreprise d’avoir des subventions pour changer de matériel dont le coût peut être important pour le plateau technique, en cuisine. Ils peuvent ainsi passer d’une installation au gaz à l’induction. Les CNO existent depuis de nombreuses années, mais les dossiers administratifs restent assez complexes à mettre en œuvre et peuvent rebuter les professionnels qui y ont droit.
Existe-t-il d’autres dispositifs, plus souples ?
Le dispositif des CNO a été complété par des aides “éphémères”, de l’Assurance Maladie – Risques professionnels (AM-RP) sur des risques identifiés, comme “stop essuyage”, un dispositif visant à réduire les coupures liées à l’essuyage des verres (cf. encadré page 16). Ces aides, via les Carsat, peuvent aussi prendre la forme d’un dispositif englobant une formation, comme dans le cas de PréventiCoupe. Intégrée à la démarche de prévention des TMS, cette démarche se focalise uniquement sur le couteau, outil indispensable dans les métiers de boucherie. Or, un couteau qui ne coupe plus ou mal peut favoriser l’apparition de TMS car l’utilisateur force, modifie le geste idoine et s’énerve, il peut donc détériorer sa santé et sa productivité. Le dispositif prévoit donc une phase de diagnostic et la création d’un plan d’actions parmi lesquelles des formations affûtage/affilage.
La génération de salariés qui arrive actuellement sur le marché du travail est-elle davantage sensible à la question de la prévention des risques ?
Oui. Autant auparavant pour une livraison de colis lourds ou nombreux, un collaborateur pouvait prendre en charge la livraison sans réticence, autant, désormais si vous n’avez pas le matériel adéquat, comme un chariot manuel et plus généralement un équipement et des mesures de prévention appropriées pour prévenir les risques d’accident ou de santé, comme les troubles musculo-squelettiques (TMS), le travail sera vite vécu comme une contrainte avec mécontentement voire refus de l’employé de traiter la livraison.
Lorsqu’ils ouvrent un établissement, les chefs d’entreprise du secteur sont-ils suffisamment informés de leurs obligations en termes de sécurité ?
Il est vrai que pour ouvrir un restaurant, par exemple, vous n’êtes pas dans l’obligation d’avoir un CAP cuisine mais vous avez celle de passer un permis d’exploitation qui passe justement en revue toutes les obligations et les conséquences des éventuels manquements. J’ai, par exemple, toujours connu l’obligation du contrôle des installations électriques ou gaz dans les établissements. Si vous ne le faites pas périodiquement, chaque année, vous n’êtes pas dans la légalité et en cas d’accident, explosion due au gaz ou incendie électrique, n’ayant pas eu la conformité délivrée par un organisme accrédité, vous n’êtes plus couvert par votre assurance puisque vous n’avez pas rempli vos obligations.
Les entrepreneurs du secteur, majoritairement de petites structures, sont-ils aussi bien sensibilisés que dans les grandes structures ?
Il serait en effet peu raisonnable de croire que l’entrepreneur qui fait fonctionner un petit établissement soit plus averti que le patron d’un important ou de plusieurs établissements. Quoi qu’il en soit, c’est aussi
à l’entrepreneur de s’informer et de s’assurer qu’il répond favorablement à toutes ses obligations administratives et techniques, en tant que chef d’entreprise et employeur.
Propos recueillis par Stéphane Chabrier
(1) Ensemble de mesures préventives et d’autocontrôle qui ont pour objectif de maintenir l’hygiène alimentaire dans le cadre de leur chaîne de production, afin de garantir la sécurité des produits. Il est obligatoire pour tous les établissements détenant, préparant et distribuant des denrées alimentaires.
TPE : des aides financières pour réduire les risques
Des aides financières simplifiées sont susceptibles d’être octroyées (temporairement selon
les budgets prévus à cet effet) par l’Assurance Maladie – Risques Professionnels (AM-RP) en
fonction de risques identifiés. Auquel cas, plus un dispositif est populaire auprès des chefs d’entreprise
plus il est possible qu’il soit interrompu rapidement, quelques mois après sa mise en
place. Dans les deux exemples suivants, concernant le secteur hôtellerie/restauration, les aides
sont accordées aux entreprises de moins de 50 salariés :
“Stop essuyage” permet d’aider financièrement les entreprises de s’équiper de lave-verres
adaptés munis d’osmoseur permettant de ne plus essuyer les verres à la main, à hauteur de
50 % de l’investissement hors taxe, dans la limite d’un plafond de 25 000 €.
“Hôtel +” est une aide, accordée dans les mêmes conditions que la précédente, permettant de
financer du matériel (lève-lits à énergie autonome ou électrique, dispositifs de houssage et déhoussage
des couettes, nettoyeurs vapeur… et autres matériels optionnels) et la formation à leur utilisation,
afin de réduire le mal de dos, les troubles musculosquelettiques et les risques chimiques.