Dans tous les domaines, la transition écologique fait émerger de nouvelles technologies. Or, ces dernières modifient aussi les conditions de sécurité des salariés. Comme il est question d’innovations, les entreprises doivent adapter leurs pratiques de sécurité en même temps qu’évoluent ces nouveaux environnements de travail.
“Nous avons tendance à associer écologie et sécurité, mais ce qui est bon pour l’environnement ne l’est pas nécessairement pour la santé et la sécurité des travailleurs ayant un emploi vert”, met en garde l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (OSHA). Depuis une dizaine d’années, cet organisme alerte les services de santé au travail sur le fait que les anciens référentiels de compétences ne suffisent plus à sécuriser les salariés. “L’installation d’un chauffe-eau solaire, par exemple, nécessite à la fois les compétences d’un couvreur, d’un plombier et d’un électricien”, évoque l’OSHA. Une réalité que connaissent bien les entreprises spécialisées dans la pose de panneaux photovoltaïques. En Alsace, NSE Services est une PME familiale qui s’est spécialisée dans cette activité depuis une vingtaine d’années. Son premier risque professionnel est lié à la hauteur puisque les techniciens doivent accéder à des toits à près de huit mètres du sol. “Nos équipes montent systématiquement un échafaudage au-dessus des gouttières et nous sécurisons le périmètre avec des banderoles, trois ou quatre mètres autour” insiste Alex Minnig, le patron. “En cas de vent fort, un technicien qui manipule un panneau sur un échafaudage peut être déséquilibré par la prise au vent et il y a déjà eu des chutes”, confie-t-il. Les équipements de protection individuelle (EPI) et le respect des consignes ont joué leur rôle pour en atténuer l’impact. Le risque pèse sur les salariés mais également sur des tiers à proximité : “Il y a un risque de chute d’objets, comme des pattes de fixation des panneaux ou des visseuses”, identifie le patron de la PME.
Un risque d’électrocution
L’autre risque, sur ce type d’activité, est électrique puisque les panneaux produisent du courant en permanence. Certes, ils sont raccordés au dernier moment à l’onduleur, au coffret AC/DC puis au tableau électrique, mais certaines entreprises ont connu des électrocutions au moment de dérouler le câblage des panneaux vers l’installation électrique du bâtiment. Si le technicien n’a pas préalablement recouvert l’extrémité du câble d’un connecteur, il risque un contact avec ce câble (qui est déjà sous tension), au moment de le couper à la longueur voulue. “Sur une toiture de 16 panneaux de 24 volts, la tension reçue est de 384 volts”, affirme le chef d’entreprise. L’autre exposition au risque électrique concerne les interventions de maintenance car les panneaux exposés au soleil continuent à produire du courant. Il faut donc consigner l’ensemble en déconnectant l’onduleur et le coffret AC/DC mais aussi jeter une bâche opaque par-dessus le toit pour que les cellules ne captent plus le rayonnement solaire. En revanche, le risque de coupure est presque nul car, même en cas de casse, les panneaux en verre feuilleté se brisent comme une vitre de voiture, en mille morceaux, sans arêtes tranchantes.
Des travaux de très grande hauteur
Parmi les technologies vertes, la construction d’éoliennes remporte la palme de la hauteur. Ces chantiers débutent comme n’importe quel autre du secteur du BTP puis les grues cèdent la place à une flèche capable d’empiler les quatre sections jusqu’à plus de cent mètres de hauteur. “Le risque est notamment lié à la co-activité aux abords du périmètre de montage”, évoque Sandrine Eichenlaub, responsable QHSE chez Ostwind. “Chaque entreprise doit prévenir le coordinateur sécurité de son intervention pour s’assurer que l’installation électrique est bien hors tension.” Par ailleurs, les travaux en hauteur se pratiquent avec des outils munis de dragonnes et les trappes des échafaudages doivent être fermées pour éviter les chutes d’objets.
Cependant, les accidents sont surtout redoutés en phase d’exploitation, lors des opérations de maintenance nécessitant de grimper dans la nacelle de l’éolienne. “Les techniciens montent toujours à deux en étant harnachés et casqués. Ils utilisent un élévateur mais s’ils doivent grimper à l’échelle, nous limitons le nombre d’ascensions à quatre car c’est un très gros effort”, reconnaît Arnaud Couty, ingénieur environnement ICPE chez Ostwind.
Risque d’incendie à 117 mètres du sol
Au-delà du risque électrique, les professionnels de l’éolien redoutent le déclenchement d’un incendie à bord de la nacelle exiguë dans laquelle interviennent les techniciens. Si l’extincteur ne suffit pas, il faut s’échapper rapidement par une trappe d’évacuation. La procédure implique que les techniciens s’attachent l’un à l’autre puis ils accrochent leur harnais à un dispositif de descente rapide (1 m/s) qui les fait glisser jusqu’en bas. Au même titre que les habilitations électriques, ces techniciens suivent obligatoirement une formation aux premiers secours et ils s’entraînent à ces évacuations. Le dernier risque, à bord d’une nacelle, est mécanique et à coup sûr mortel : les gigantesques pales tournent en permanence lorsque les techniciens doivent intervenir dans le moyeu central. Il faut donc actionner un frein puis placer des vérins de sécurité pour s’assurer que l’éolienne ne redémarre pas au risque d’être broyés.
Mais les acteurs de l’éolien, qui se savent scrutés par une opinion souvent défavorable, prennent un luxe de précautions et les accidents sont rares : un décès en Allemagne il y a trois ans, et un autre en Espagne par brûlure. Toute la profession en a tiré des enseignements. Ainsi, Ostwind contacte systématiquement les casernes de pompiers à proximité de ses chantiers. “Nous leur communiquons les plans, nous leur faisons visiter nos éoliennes et nous proposons des exercices avec le Grimp (1)”, confie Arnaud Couty.
Les garages se métamorphosent
Dans les garages automobiles aussi, la révolution verte est à l’œuvre avec l’arrivée des véhicules électriques et ses risques spécifiques. “En 2021 et 2022, nous investissons environ 15 millions d’euros pour former les professionnels de la branche à l’arrivée de l’électrification et de la digitalisation”, explique Rachid Hanifi, directeur général adjoint de l’organisme collecteur OPCO Mobilités. Les réseaux spécialisés avancent à marche forcée, comme celui des garages AD (Autodistribution) qui a déjà formé plus de 600 professionnels. “Depuis trois ans, nous accompagnons nos clients pour les habiliter à intervenir sur ces véhicules, tant pour la réparation que pour le remorquage”, évoque Olivier Hélore, responsable de la formation chez Autodistribution. Parmi ces professionnels, Cyril Galais est le patron du garage Ugine Automobile, en Savoie. Il vient d’obtenir à l’Institut AD son habilitation véhicules électriques valable trois ans. Il y a appris à consigner systématiquement un véhicule électrique avant toute intervention. Il faut d’abord baliser une zone autour puis actionner un disjoncteur sous le capot et enfin débrancher un câble. “Une fois la voiture consignée, mes salariés, qui n’ont pas l’habilitation, peuvent intervenir, comme sur n’importe quelle autre voiture”, explique Cyril Galais. Entre la formation, les EPI (casque et gants aux normes électriques) et l’achat d’outils isolés, le patron a déboursé plus de 1 200 €. Un effort nécessaire pour pouvoir accueillir dans son garage, en toute sécurité, des véhicules “verts”.
Jean-Philippe Arrouet
(1) Le Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux est une unité de sapeurs-pompiers spécialisée.