Charles-Henri Besseyre des Horts : “Les TPE et les PME disposent d’un grand nombre d’atouts en matière de qualité de vie au travail.”

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Président de l’Association francophone de gestion des ressources humaines (AGRH) et professeur émérite de management à HEC Paris, Charles-Henri Besseyre des Horts s’est très tôt intéressé aux questions de bien-être professionnel et de qualité de vie au travail (QVT). Co-auteur, d’un récent ouvrage consacré au “management par la confiance” (Éditions Eyrolles, 2020) il estime que lesTPE-PME ont intérêt à valoriser les nombreux atouts dont elles disposent en la matière.

Les TPE et PME ont parfois l’impression qu’elles ne sont pas concernées par les questions de qualité de vie au travail (QVT) ? Comment l’expliquez-vous ?
Je comprends leur méfiance, voire leur agacement, parce que, dans les médias, la QVT a été souvent associée à des gadgets comme les salles de repos design, l’installation de baby-foot ou de fauteuils poufs colorés dans des salles de détente, etc. Mais, en réalité, il s’agit d’un malentendu, car la QVT ce n’est pas cela. La véritable QVT pose des questions beaucoup plus fondamentales. Elle s’intéresse au travail, à la façon dont il est organisé et accompli par les membres de l’entreprise. Elle cherche à créer les conditions optimales pour susciter l’épanouissement et l’engagement des salariés dans leur travail. La QVT s’affirme ainsi comme une lointaine déclinaison pratique des travaux du psychologue américain Frederick Irving Herzberg qui, dans les années 60, a travaillé sur les véritables ressorts de la motivation et du bonheur au travail. Ce chercheur novateur en distinguait deux sortes. Il y a d’abord ceux qui relèvent de l’environnement et des conditions de travail : l’hygiène, la santé, la sécurité. Ces facteurs ne sont évidemment pas à négliger parce que, s’ils ne sont pas pris en compte, cela crée une profonde démotivation. Mais il estime que, pour créer une authentique motivation, la satisfaction de ces premiers besoins doit être complétée par la prise en compte d’autres besoins, plus subtils et tout aussi profonds. En effet, pour Herzberg, les hommes sont réellement heureux et investis dans leur travail lorsqu’ils peuvent s’y accomplir en disposant notamment d’une certaine autonomie, en ayant la possibilité de prendre des initiatives, d’apprendre des choses nouvelles, de progresser et d’exercer des responsabilités, en un mot d’ être acteurs de leur travail. Ce sont là des enjeux d’une autre importance que la décoration des locaux et qui concernent les entreprises de toutes les tailles et de tous les secteurs.

Justement, les petites entreprises ne sont-elles pas mieux armées pour faire face à ces enjeux ?
Il est vrai que les TPE et les PME disposent d’un grand nombre d’atouts pour réaliser pleinement les objectifs assignés aux démarches de QVT. Généralement, leurs collaborateurs y sont en effet moins écrasés par le poids des structures, des normes et des process qui, comme on le sait, ankylosent les grandes firmes. Les rapports humains y sont souvent plus vrais, spontanés et directs. Tout cela peut laisser croire que, dans une certaine mesure, les petites entreprises font de la QVT comme M. Jourdain faisait de la prose : sans le savoir ! Toutefois, il faudrait être naïf pour penser que, du coup, les TPE et les PME ne disposeraient d’aucune marge de progrès en la matière. Pour ne prendre qu’un exemple, j’ai ainsi remarqué que, dans de nombreuses entreprises, la légèreté des normes et des process formels est hélas souvent compensée par une forte emprise de la routine, par une certaine propension à vouloir “faire comme on a toujours fait”. C’est regrettable parce que de la sorte, elles découragent l’initiative et contribuent à désengager leurs collaborateurs. On l’oublie trop souvent, la véritable QVT ne consiste pas à adopter une posture maternante ou compassionnelle. Au contraire, elle exige d’envisager ses collaborateurs comme des adultes responsables et capables. Il ne s’agit pas de les consoler ou de les cajoler mais de les écouter et de prendre au sérieux les idées qu’ils avancent.

Du coup, la clef de la QVT, telle que vous la concevez, n’est-elle pas tout simplement la confiance ?
En effet, la QVT n’est pas sans rappeler le management par la confiance. Elle repose sur l’idée simple et vraie que l’immense majorité des salariés souhaitent réaliser leur travail du mieux qu’ils le peuvent et qu’en leur laissant davantage de latitudes pour mener à bien leurs missions, ils seront enclins à donner le meilleur d’eux-mêmes.

Certains experts en management avan­cent l’idée que le télétravail serait un formidable vecteur de QVT. Partagez-vous cet avis ?
Je crois qu’il faut se garder de voir dans le télétravail une solution quasi magique aux problèmes de bien-être professionnel. Je sais que de nombreux salariés espèrent que le télétravail leur permettra de mieux articuler leur vie privée avec leur vie professionnelle, de se réinvestir dans une vie de famille trop longtemps délaissée, de mieux utiliser le temps gâché dans les transports et les réunions, de retrouver des marges de manœuvre dans leur travail, etc. Rien de tout cela n’est faux bien sûr, mais cela ne se réalisera effectivement que si, parallèlement, des facteurs managériaux, culturels et humains favorisent cette mutation. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, dans une entreprise caractérisée par un management très hiérarchique et bureaucratique, les craintes suscitées par l’éloignement des salariés risquent fort de se traduire, au contraire, par un surcroît de contrôle, de reporting, de réunions à distance, etc. Alors que, dans une entreprise déjà animée par l’autonomie et la délégation de pouvoir, le télétravail viendra certainement renforcer encore la qualité de vie au travail. Sur ce sujet du travail à distance, je crois qu’il faut aussi insister sur le péril mortel que représente un recours exagéré au télétravail pour la cohésion des équipes et de l’entreprise tout entière. À trop haute dose, le télétravail risque en effet de transformer l’entreprise en un simple agrégat instable de salariés prestataires se positionnant sur leur marché avec un esprit mercenaire. Cela serait totalement contradictoire avec une véritable politique de qualité de vie au travail. En effet, de façon plus profonde, la QVT remet au goût du jour l’idée selon laquelle l’entreprise est une authentique communauté humaine dont les membres ne sont pas seulement liés par des intérêts mais aussi par des liens fraternels et des objectifs partagés. Ici encore, les “entreprises à taille humaine” que sont les TPE et les PME, ont évidemment de magnifiques atouts à faire valoir ! Et je fais pleinement confiance à leur intelligence et à leur bon sens pour résister aux versions dévoyées de la QVT ou du télétravail.

Propos recueillis par Christophe Blanc

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