En cas de transfert de contrat, les règles protectrices des salariés, victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (notamment les règles relatives à l’inaptitude professionnelle) ne sont pas applicables aux rapports entre le nouvel employeur et un salarié victime d’un accident de travail survenu au service du précédent employeur, sauf en cas de fusion-absorption.
L’inaptitude du salarié peut, selon les circonstances, trouver son origine dans la survenance d’un risque professionnel ou être déconnectée de sa vie professionnelle. Aussi le législateur a-t-il élaboré deux régimes de licenciement distincts. Ces dernières années, les différences ont eu tendance à s’amenuiser mais il demeure des nuances et les multiples révisions des textes peuvent conduire à des erreurs, notamment en cas de succession d’employeurs. L’affaire suivante offre l’occasion de rappeler le régime de l’inaptitude consécutive à un accident de travail survenu chez un précédent employeur.
L’enjeu déterminant de l’origine de l’inaptitude
Le 22 décembre 2008, Madame H., embauchée en qualité d’agent de nettoyage au sein de la société MBS, une entreprise de nettoyage parisienne, est victime d’un accident de travail et placée en arrêt de travail. Le 13 avril 2010, comme le prévoit la convention collective nationale des entreprises de propreté, son contrat de travail est transféré à la société W à la suite de la perte d’un marché. La salariée reprend donc le travail chez son nouvel employeur, d’abord en mi-temps thérapeutique puis à temps complet à compter du 8 octobre 2010.
Deux ans plus tard, le 28 novembre 2012, une fusion-absorption intervient entre la société MBS et la société W, la seconde absorbant la première. Après une série d’arrêts, la salariée est finalement déclarée inapte à son poste et licenciée par la société W pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement. Mais la salariée décide de contester son licenciement et notamment l’origine de l’inaptitude prononcée. Considérant que l’inaptitude est d’origine professionnelle, elle serait en droit d’obtenir une indemnité plus importante.
Rappelons, en effet, que les droits du salarié licencié varient selon l’origine de l’inaptitude. Lorsque l’inaptitude est d’origine non professionnelle, le salarié bénéficie de l’indemnité légale de licenciement mais ne peut pas prétendre à une indemnité compensatrice de préavis car il est dans l’impossibilité de l’exécuter (soc.5 juillet 2023, n°21-25.797). Lorsque l’inaptitude trouve sa source dans un accident de travail ou une maladie professionnelle, l’article L 1226-14 du Code du travail accorde au salarié non seulement une indemnité spéciale de licenciement correspondant au double de l’indemnité légale mais également une indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis. C’est donc non sans intérêt que la salariée conteste l’origine de l’inaptitude.
Changement d’employeur : la protection ne s’applique pas…
La salariée va donc produire les arrêts de travail dont elle avait bénéficié et qui mentionnaient l’accident de travail du 22 décembre 2008. L’inaptitude étant consécutive à cet accident de travail, il est donc normal qu’elle puisse prétendre au doublement de son indemnité de licenciement et cela sans considération du moment où l’inaptitude a été prononcée.
À ce sujet, la Cour de cassation considère que « les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement ».
L’employeur n’est pas de cet avis et rappelle que si l’indemnité de licenciement est effectivement doublée lorsque l’inaptitude fait suite à un accident de travail, encore faut-il que l’accident ait eu lieu dans son entreprise, ce qui n’était pas le cas en l’espèce l’accident étant intervenu alors que Mme H. était encore salariée de la société MBS. L’accident étant intervenu chez un autre employeur, la salariée ne peut donc pas prétendre aux indemnités spéciales prévues en cas d’inaptitude professionnelle, selon lui. Il s’appuie notamment sur une disposition législative qui écarte expressément l’application de la protection lorsque l’accident est survenu chez un autre employeur.
Leur désaccord sur cette question va conduire les intéressés devant la cour d’appel de Paris. Cette dernière s’interroge à cette occasion sur l’application de l’exclusion de la protection liée à l’accident de travail en cas de fusion-absorption. Le changement d’employeur lié à la fusion ou à l’absorption d’une société par une autre fait-il perdre au salarié le statut protecteur des accidentés du travail ?
… sauf en cas de fusion-absorption
Par principe, l’article 1226-6 du Code du travail prévoit que les dispositions protectrices encadrant les salariés victimes d’un accident du travail chez un employeur ne sont pas transférées au nouvel employeur si le salarié change d’entreprise. À s’en tenir à ces dispositions, l’employeur n’était effectivement pas tenu d’appliquer le régime protecteur de l’inaptitude professionnelle. Pour autant, par exception, les tribunaux considèrent qu’en cas de transfert légal du contrat de travail faisant suite au transfert d’une entité économique autonome, le salarié victime d’un accident du travail chez son précédent employeur continue de bénéficier des règles protectrices chez le nouvel employeur. C’est le cas précisément dans le cadre d’une opération de fusion ou d’absorption d’entreprise.
C’est la position qu’a soutenu la cour d’appel de Paris, qui relève, qu’à la suite de la dissolution de la société MBS et de la transmission universelle de son patrimoine à la société W à compter du 28 novembre 2012, seule cette dernière subsistait en ayant absorbé la société MBS. La cour d’appel en a déduit que l’inaptitude de la salariée avait, ne serait-ce que partiellement, un lien avec son accident du travail du 22 décembre 2008 et a condamné l’employeur au paiement des indemnités spéciales dues en cas d’inaptitude professionnelle.
Pour les juges du fond, les dispositions de l’article L. 1226-6 du Code du travail ne peuvent être opposées par la société W à la salariée, celle-ci ayant subi son accident du travail au sein de la société MBS absorbée par la société W. Cette dernière ne peut donc pas soutenir avoir la qualité d’autre employeur à l’égard de la salariée et est donc condamnée à verser la somme de 7255,14 € au titre d’indemnité de licenciement et 4632 € au titre de l’indemnité de préavis.
Transfert volontaire du contrat de travail : l’inaptitude est non professionnelle.
Elle décide alors de former un pourvoi en cassation. A raison puisque le jeu des dates va amener la Cour de cassation à infirmer l’avis de la cour d’appel. Elle soutient et établit que le contrat de travail avec la société MBS a pris fin le 13 avril 2010 lors du transfert du contrat à la société W, si bien qu’à la date de la fusion absorption de la société MBS par la société W, le 28 novembre 2012, la société MBS n’était plus tenue par l’obligation énoncée à l’article L. 1226-14 du Code du travail.
Par conséquent, la transmission universelle du patrimoine ne pouvait pas faire échec à l’application de l’article L. 1226-6 du Code du travail qui écarte les dispositions protectrices prévues en cas d’accident de travail. L’inaptitude est donc régie par le régime de l’inaptitude non professionnelle. La Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel de Paris. Le nouvel employeur ne devra donc pas verser d’indemnités supplémentaires à madame H.
Par cette décision, la Cour de cassation fait une application stricte de l’exclusion des dispositions protectrices de l’article 1226-6 du Code du travail et sanctionne la cour d’appel qui n’a pas tenu compte de la date de transfert de contrat. La particularité dans cette affaire est que le contrat de la salariée avait fait l’objet d’un premier transfert à la suite d’une perte de marché. Ce transfert était ainsi régi par les dispositions de la convention collective nationale de propreté et non par l’article L 1224-1 du Code du travail. Dans cette hypothèse, il n’y a pas de transmission du patrimoine et sauf dispositions conventionnelles, le salarié ne peut bénéficier des garanties acquises chez le précédent employeur.
La qualification du transfert du contrat : un enjeu essentiel
L’intérêt de cette décision est d’opérer une distinction entre le transfert conventionnel du contrat de travail et le transfert à la suite de la modification de la structure juridique de l’employeur. En cas de modification de la situation juridique de l’employeur notamment par fusion, les contrats de travail en cours subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. Partant de là, le second employeur endosse totalement les obligations du prédécesseur comme s’il avait lui-même fait encourir le risque professionnel à l’intéressé. Dans cette hypothèse, l’inaptitude consécutive à un accident de travail survenu chez le précédent employeur conserve son origine professionnelle. Cette exception ne vaut pas en cas de transfert volontaire ou conventionnel des contrats de travail organisé par certaines conventions collectives en cas de perte de marché et de succession de prestataires, sauf si le texte conventionnel a expressément prévu le maintien de la protection.
Cela se retrouve aussi dans les situations plus complexes où le salarié exerce plusieurs emplois simultanément, dans ce cas l’accident du travail survenu dans une des sociétés ne générera aucune protection renforcée de la part des autres.
Tatiana Naounou
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention