Lorsque l’employeur a conscience d’un danger auquel ses salariés sont exposés, il doit mettre en œuvre les mesures permettant de les protéger de ce danger. L’absence ou l’insuffisance de mesures pour protéger le salarié peut caractériser la faute grave de l’employeur.
Le personnel de sécurité (vigile, rondier, gardien) est de plus en plus exposé aux risques d’agressions physiques et verbales dans l’exercice de ses fonctions. Ces risques sont le reflet d’une radicalisation de comportements blâmables qui se généralisent dans notre société.
Ces agressions constituent un risque propre à la profession et concernent donc tous les agents de sécurité. Néanmoins certains postes de travail seraient plus exposés que d’autres, comme ceux qui impliquent un contact avec le public (surveillance d’immeuble ou de centres commerciaux, etc.).
Tenu d’une obligation de sécurité, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de ses salariés dès qu’il a conscience d’un risque particulier d’agression auquel sont exposés ses salariés. Toute inaction pourrait lui coûter cher, surtout lorsqu’il y a eu des précédents.
Dans les deux affaires suivantes, les juges d’appel se prononcent sur la conscience du danger de la part de l’employeur et l’efficacité des moyens de protection mis en place.
CAS N°1 L’agression d’un vigile dans un supermarché
Le 29 octobre 2016, aux alentours de 19 h 35, alors qu’il effectuait sa ronde de fermeture d’un supermarché situé à Cournon d’Auvergne, Monsieur X, agent de sécurité et salarié d’une entreprise privée de sécurité, est agressé physiquement par un groupe d’individus. Ces derniers ont été surpris par l’agent de sécurité au cours d’une tentative de vol dans la galerie marchande.
Le certificat médical, établi le lendemain de l’agression, fait état de contusions à la tête, aux poignets et aux jambes. Une fois informé, l’employeur effectue immédiatement la déclaration d’accident de travail dont le caractère professionnel est d’emblée reconnu par la Caisse primaire d’assurance maladie du Puy-de-Dôme.
La faute inexcusable pas établie
Estimant que l’agression résultait d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, le salarié saisit la juridiction de la sécurité sociale d’une action en reconnaissance d’une faute inexcusable. Le but étant d’obtenir la majoration de la rente allouée ainsi qu’une indemnisation complémentaire.
Il lui fallait pour cela prouver que les conditions de la faute inexcusable étaient réunies. En effet, hormis les cas où elle est présumée, notamment pour les accidents survenus alors que le risque avait été expressément signalé à l’employeur (article L4131-4 du Code du travail), c’est au salarié victime qu’il revient de rapporter la preuve de la faute inexcusable. Or, la Cour de cassation considère que la faute inexcusable de l’employeur est constituée par la réunion de l’inexécution de l’obligation de sécurité et le cumul de la conscience du danger et de l’inaction de l’employeur.
Ainsi, outre le manquement à l’obligation de sécurité, la victime doit démontrer d’une part que l’employeur a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle était exposée et d’autre part, qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
En l’espèce, le vigile reprochait à l’employeur un défaut de formation à la sécurité. En effet, il résulte de l’article L4141-2 du Code du travail que l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de formation destinée notamment à prévenir les risques inhérents à leur activité. Or, il s’avère que Monsieur X. n’avait bénéficié d’aucune formation aux risques professionnels. Le manquement contractuel était donc bien établi.
Mais l’absence de formation à la sécurité suffit-elle à caractériser une faute inexcusable de l’employeur ? Rappelons que l’employeur est tenu d’assurer la formation à la sécurité de ses salariés chaque fois que cela est nécessaire.
Les juges de la cour d’appel de Riom, saisie de l’affaire, ont relevé que le salarié, qui exerçait cette profession depuis plusieurs années et était par ailleurs titulaire d’une carte professionnelle d’agent de sécurité, bénéficiait des compétences et d’une expérience certaine dans ce métier pour en connaître suffisamment les risques. Par conséquent, le simple fait que l’employeur ne lui ait pas fait suivre de formation à la sécurité n’induit pas qu’il a commis une faute inexcusable.
La conscience d’un danger particulier en question
L’agent de sécurité devait démontrer, de surcroît, que l’employeur avait conscience d’un danger particulier auquel il était exposé et qu’il n’avait pas pris les mesures suffisantes pour l’en préserver. Néanmoins, la conscience du danger par l’employeur est sans doute la condition la plus difficile à établir. En effet, elle s’apprécie in abstracto par rapport à ce que doit savoir dans son secteur d’activité, un employeur, conscient de ses devoirs et obligations. En d’autres termes, le risque doit avoir été raisonnablement prévisible.
En l’espèce, le salarié soutenait que le risque d’agression inhérent aux fonctions même d’agent de sécurité ne pouvait être sérieusement ignoré de son employeur. Par ailleurs, il indique avoir signalé à l’employeur le dysfonctionnement des caméras de surveillance du site et des radios reliant les vigiles. Il produit à ce titre des mains courantes internes à l’entreprise établissant que plusieurs caméras de surveillance du magasin ainsi que les radios dont les vigiles sont en principe équipés, étaient hors service et que le dysfonctionnement de ces matériels avait été porté à la connaissance de l’employeur.
Pour autant, les juges de la cour d’appel ont estimé que le salarié ne démontrait, ni n’alléguait que le site à surveiller auquel il était affecté présentait des risques d’agressions supérieurs à ceux raisonnablement prévisibles pour une activité de gardiennage et qui auraient donc nécessité la mise en place de mesures spécifiques. Aucun fait de violence similaire n’avait en effet été à déplorer dans le centre commercial auparavant.
Par ailleurs, rien ne permet de penser que le bon fonctionnement des équipements de sécurité (caméras et radio) aurait permis d’empêcher l’agression fortuite et soudaine du salarié. La présence de caméras, dont le dysfonctionnement ne pouvait être connu des auteurs, ne les ayant manifestement aucunement dissuadés d’agir.
Au vu de ces éléments, la cour d’appel considère que la connaissance par l’employeur d’un danger particulier auquel était exposé le salarié n’était pas établie. Il ne pouvait donc lui être sérieusement reproché de ne pas avoir pris les mesures propres à éviter l’agression du salarié commise par des tiers.
Les éléments constitutifs de la faute inexcusable n’étant pas réunis, le salarié est débouté de l’intégralité de ses demandes. Il ne formera pas de pourvoi en cassation. Un soulagement pour l’employeur qui ne devra pas verser d’indemnité supplémentaire au salarié.
Dans cette affaire, la conscience par l’employeur d’un danger a été déterminante pour la qualification de la faute inexcusable. Cette notion qui renvoie à l’exigence de prévision raisonnable des risques, peut résulter de la survenance précédemment de ce danger. En l’espèce l’employeur pouvait de manière légitime affirmer ne pas avoir eu conscience d’un risque qui ne s’était jamais réalisé. En revanche, il doit avoir conscience qu’un risque déjà réalisé peut se reproduire. Il lui sera dans cette hypothèse difficile d’invoquer une quelconque ignorance du danger, comme dans l’affaire suivante.
CAS N°2 L’agression d’une gardienne d’immeuble
Dans le Val de Marne, le 30 mars 2012, Madame B, salariée d’un office de HLM en qualité de gardienne d’immeuble, est agressée verbalement et menacée de mort par deux locataires. Choquée par la violence de l’agression, la gardienne tombe de son fauteuil et se blesse. Elle se retrouve en arrêt pour accident du travail en raison du traumatisme qu’elle a subi à la main et pour un syndrome d’anxiété dû au choc psychologique. Il s’agissait de la quatrième agression qu’elle subissait sur son lieu de travail.
La conscience du danger par l’employeur est établie
Excédée, la salariée veut faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Elle intente une action à cet effet contre son employeur, estimant que celui-ci connaissait le risque d’agression auquel elle était exposée et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Devant la cour d’appel de Paris saisie de l’affaire, il revenait à la salariée de démontrer à la fois la conscience par l’employeur du danger et son inaction. En l’espèce, la conscience du danger n’était pas discutable dans ce dossier. En effet, l’employeur était parfaitement informé des conditions de travail de la salariée et ne s’en cachait d’ailleurs pas. Il se défend même en soutenant que le risque d’agression était inhérent à la profession de gardien et qu’il l’avait identifié et retranscrit comme risque important dans son document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP).
Cependant, loin de le servir, cet argument va conduire les juges à retenir que le danger ne pouvait être ignoré par l’employeur. Ainsi, compte tenu du fait que ce risque apparaît dans le DUERP avec une cotation correspondant à une « exposition importante », les juges d’appel de Paris, ont considéré que l’employeur était parfaitement conscient du risque d’agression, d’autant plus que la salariée avait déjà été agressée plusieurs fois sur son lieu de travail par le passé.
La conscience du danger par l’employeur étant établie, il restait la question des mesures prises par celui-ci pour en préserver ses salariés. En effet, la conscience du danger impose que l’employeur prenne les mesures nécessaires pour préserver ses salariés dudit danger. Il ne suffit pas de mentionner le risque dans le DUERP, l’employeur doit mettre en œuvre les actions de prévention permettant de contenir les risques et garantir la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs (article L 4121-3 du Code du travail).
Des mesures préventives du risque insuffisantes
Dans ce cadre, l’employeur fait valoir qu’il a pris de nombreuses mesures pour prévenir le risque, mais qu’un employeur dispose de peu de moyens d’action.
Il avait ainsi fait suivre à la salariée des formations et avait équipé la loge d’une gâche électrique permettant de vérifier l’identité des personnes souhaitant entrer dans le bâtiment.
Cependant, les mesures mises en place, si elles n’étaient pas totalement inexistantes, ont été jugées insuffisantes notamment sur le plan technique et matériel par les juges de la cour d’appel.
Ces derniers ont en effet relevé que la loge n’était pas équipée d’un dispositif suffisant pour en contrôler l’accès, faute de système de visiophone permettant de s’assurer de l’identité de la ou des personnes souhaitant avoir accès à la loge. De plus, la loge était dépourvue de moyen spécifique d’alarme permettant d’appeler tout secours utile en cas de danger. Enfin, dans le cadre d’une visite de
reprise post-accident, le médecin du travail avait indiqué que la salariée devait « reprendre sur un poste différent et éloigné du poste précédent où avait eu lieu l’accident du travail ». Or, si la gardienne a bien été mutée sur un nouveau lieu de travail, la fonction était la même.
Les juges d’appel en déduisent que, si l’employeur a pris quelques mesures pour éviter les risques d’agression, il n’a pas pris les mesures « concrètes, nécessaires et suffisantes » pour préserver la santé et la sécurité de la salariée. En conséquence, la faute inexcusable de l’employeur est caractérisée. Les conséquences financières de cette décision sont importantes pour l’employeur puisqu’il devra indemniser chacun des préjudices subis par la salariée.
Une évaluation des risques déterminante
Cet arrêt illustre le fait qu’à partir du moment où un danger est identifié, il ne peut être ignoré. L’évaluation des risques par l’employeur constitue donc une donnée déterminante dans la constatation de sa conscience du danger. Lorsqu’un risque particulier ne figure pas dans un DUERP correctement établi, il peut être légitimement soutenu que l’employeur n’avait pas conscience de ce risque. Il est en revanche établi que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience d’un danger si ce dernier est répertorié dans ce document. A contrario, l’absence de mention au DUERP d’un risque ne fait pas obstacle à ce qu’il soit reconnu que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience de ce danger, lorsque le risque s’est déjà produit auparavant.
L’employeur devra donc être particulièrement vigilant, notamment dans des contextes de tension ou lorsque des agressions se sont déjà produites, à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la sécurité des salariés soit effectivement assurée. Si les mesures mises en place par l’employeur s’avèrent insuffisantes ou inefficaces, celui-ci s’expose dès lors à la reconnaissance de sa faute inexcusable.
Pour conclure, nous pouvons rajouter que les solutions dégagées dans ces deux affaires sont transposables dans d’autres secteurs, ceux dans lesquels le personnel est « en première ligne », et de surcroît souvent en situation de travail isolé.
Tatiana Naounou
Juriste TUTOR
Groupe Pôle Prévention