Dommages causés à l’occasion d’épreuves sportives : qui est responsable ?

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La faute commise par un joueur de football peut entraîner des conséquences juridiques importantes. Ces conséquences peuvent peser sur le joueur mais également sur l’association sportive responsable.

Le risque peut surgir à tout moment de la vie, pendant l’activité professionnelle, dans les transports et même dans le cadre de la vie privée. La pratique sportive n’y échappe pas. En effet, celle-ci peut s’avérer dangereuse et entraîner des dommages physiques et psychologiques parfois très graves. Ainsi, le football, sport de contacts le plus souvent, est le théâtre d’affrontements entre joueurs pour la conquête du ballon, par exemple. C’est le cas lorsqu’un joueur cherche à subtiliser la balle des pieds de l’adversaire en effectuant un tacle violent qui peut entraîner des conséquences graves sur le plan corporel mais aussi sur le plan juridique. Illustration avec le cas d’une rencontre amicale de football qui s’est mal terminée.


Blessure suite à un tacle : la victime porte plainte


Le 22 septembre 2010, à Ondes (Haute-Garonne), les habitants et supporteurs du club de la ville sont réunis au stade municipal à l’occasion d’une compétition sportive réunissant des footballeurs amateurs. Le club y reçoit l’équipe de la ville voisine.


La rencontre, qui se voulait amicale, va pourtant se terminer dans des conditions dramatiques lorsque à la 76ème minute du match, Monsieur Y joueur n°10 de l’équipe adverse est blessé à la suite d’un tacle à retardement de Monsieur X, joueur n°3 de l’équipe hôte. La rencontre est alors interrompue pendant 43 minutes pour permettre l’intervention des pompiers et la prise en charge de la victime qui, hurlant de douleur, est restée au sol. L’auteur du tacle est quant à lui exclu du match par l’arbitre, pour comportement violent et tacle dangereux à retardement, tandis que le match reprendra pour le quart d’heure restant.


Mais l’affaire va prendre une autre tournure, lorsque la victime décide d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre du joueur qui s’est rendu coupable du tacle et de l’association sportive de la ville d’Ondes dont ce dernier est membre, pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices. Il souffre, en effet, d’une fracture du tibia et du péroné de la jambe droite.


Cependant, Monsieur Y n’obtient pas gain de cause devant la Cour d’appel de Toulouse, saisie de l’affaire. Cette dernière a en effet estimé que la faute en question, requalifiée par la commission de discipline
en faute grossière, « faisait partie des risques acceptés par les joueurs » et que l’auteur du tacle n’avait aucune intention de le blesser.


L’enjeu de la faute civile


Rappelons, en effet, que le domaine du sport est gouverné par la
théorie de l’acceptation des risques qui procède de l’idée qu’en certaines
circonstances, la victime en se livrant en connaissance de
cause à une activité génératrice de risques particuliers doit être
considérée comme ayant accepté les risques inhérents à cette activité.


La mise en œuvre de cette théorie de l’acceptation des risques permet
donc à l’auteur d’un dommage de s’exonérer de sa responsabilité
civile. Néanmoins, il ne peut s’agir que des risques normalement
prévisibles au regard du sport concerné et l’auteur du dommage
ne pourra pas s’exonérer de sa responsabilité si l’acte à l’origine du
préjudice a été commis volontairement. Il y a donc une différence
entre faute sportive et faute civile. Pour que la faute sportive devienne
une faute civile susceptible d’engager la responsabilité de
son auteur, elle doit être constitutive d’un véritable manquement
aux règles de jeu ou à la loyauté sportive.


Toute la difficulté réside dans la distinction entre dommages résultant
d’un fait de jeu et ceux résultant d’une faute caractérisée par
une violation des règles du jeu.


Or, il n’échappe à personne que le football, comme tout autre activité
sportive, commande généralement de la part des joueurs
le dépassement de soi et que l’esprit de compétition peut parfois
les pousser à commettre des fautes sur le terrain du jeu. Dans ces
conditions, ne peut-on pas considérer qu’en acceptant de participer
à une compétition sportive de football, y compris amateur, le
joueur blessé a endossé en pleine connaissance de cause les risques
de contacts physiques, parfois violents, liés à la pratique de ce sport
et sanctionnables comme fautes ?

C’est semble t-il la position de la Cour d’appel de Toulouse qui après
avoir relevé le témoignage d’un entraîneur qui « avait mentionné la
violence du tacle » mais n’évoquait pas une « intention brutale »,
retient que la faute commise par Monsieur X « est une faute grossière
au sens de la circulaire 12.05 de juillet 2011 de la Fédération
Française de Football ». En somme, pour les juges de Toulouse, la
preuve de la volonté de blesser n’ayant pas été rapportée, le tacle
litigieux n’est au plus qu’une faute de jeu insuffisante pour avoir le
rang de faute civile. La responsabilité de l’auteur du tacle ne peut
donc être retenue.


La victime avait également engagé la responsabilité de l’association
sportive de la ville en qualité de commettant du joueur, auteur du
tacle (article 1242, al.5 du Code civil). L’enjeu étant d’obtenir une
meilleure indemnisation.


Précisons que lorsqu’un joueur ne se conforme pas aux règles du
jeu et les viole, l’association ou le club dont il est membre peut voir
sa responsabilité engagée (voir encadré, page 17). La faute sportive
ayant entraîné la blessure doit toutefois être regardée comme une
violation caractérisée des règles du jeu. Dans le cas inverse, l’association
ne peut voir sa responsabilité engagée. Or, en l’espèce les juges
de la Cour d’appel de Toulouse ont exclu l’existence d’une intention
fautive malveillante de Monsieur X. C’est donc en toute logique
qu’ils ont écarté la responsabilité de l’association sportive.


Un coup dur pour le joueur victime du tacle qui se voit débouté de
l’ensemble de ses demandes et voit ses chances d’obtenir une indemnisation
s’amenuiser. Toutefois, il décide de ne pas en rester là et forme un pourvoi en cassation, déterminé à obtenir réparation de ses préjudices. Il estime en effet que l’auteur du tacle a fait preuve d’un comportement brutal et excessif, ce qui explique la gravité de ses blessures. Cette faute étant contraire à l’esprit sportif devrait emporter la responsabilité de l’auteur.


Arbitrage de la Cour de cassation


Il revenait donc à la Cour de cassation la difficile tâche de déterminer si le geste incriminé résultait d’une simple maladresse (faute de jeu) ou d’une violation délibérée des règles du jeu (faute intentionnelle et donc civile).


Mais pour les juges de la Haute juridiction, la question n’était pas de savoir si l’auteur a ou non recherché le résultat dommageable, s’il a ou non voulu l’acte sans le résultat, mais de s’assurer que les faits incriminés caractérisaient bien des brutalités ou un engagement excessif, en d’autres termes une violation des règles du jeu. A cet égard, ils vont s’appuyer sur le rapport de l’arbitre établi après l’incident qui mentionnait la « violence du tacle ». La preuve d’un geste excessif se trouvait donc rapportée par ce témoignage, même si la commission de discipline a minoré la portée de la faute en la qualifiant de faute grossière.


Ainsi, dès lors qu’elle a constaté l’existence d’une faute grossière au sens de la circulaire 12.05 de la Fédération Française de Football, laquelle représentait une violation des règles de jeu dans la mesure où l’engagement ou la brutalité caractérisait un excès des risques normaux du football, la Cour d’appel de Toulouse aurait dû retenir la responsabilité de l’auteur du tacle mais également celle de l’association sportive dont il est membre.


Par un arrêt en date du 29 aout 2019, La Haute juridiction casse et annule la décision des juges de la Cour d’appel de Toulouse. Le joueur victime du tacle obtient donc gain de cause. Il devra être indemnisé à la fois par le joueur adverse en tant qu’auteur de la faute lui ayant causé un préjudice corporel mais aussi par l’association en sa qualité de commettant du joueur.


Le cadre précis de la théorie de l’acceptation des risques


Cette décision met en avant la question de l’acceptation des risques par le sportif dans la pratique régulière du sport. Elle permet de rappeler que si la pratique d’une activité sportive implique l’acceptation de certains risques, des limites existent.


La faute brutale et grossière, qui caractérise un excès des risques normaux de l’activité, est de nature à engager tant la responsabilité du sportif auteur du dommage que celle de l’association, organisatrice de la manifestation sportive.


A noter toutefois que la théorie de l’acceptation des risques ne joue que dans le cadre de compétitions sportives, sauf celles au cours desquelles l’un des participants est victime de dommages corporels causés par une chose (moto, side-car, automobile). Par exemple, si un des participants à un rallye automobile fait une sortie de route et percute le véhicule d’un de ses concurrents, il sera responsable de plein droit des blessures causées par son véhicule à l’autre pilote (art. 1242 du Code civil) sans pouvoir se prévaloir de cette théorie. Il ne sera en revanche pas responsable des dégâts causés au véhicule percuté, en vertu de l’article L.321-3-1 du Code du Sport.


De la même manière, la théorie de l’acceptation des risques ne s’applique pas aux accidents survenant lors d’entraînements ou d’activités sportives pratiquées à titre récréatif. Ainsi, un sportif maladroit qui blesse un de ses collègues au cours d’un entraînement, ne pourra pas lui opposer son acceptation des risques pour s’exonérer de sa responsabilité. De même, un enfant qui blesse, même involontairement, l’un de ses camarades au cours d’une partie de foot improvisée, rendra ses parents civilement responsables des blessures causées par son fait à l’égard de son camarade sur le fondement de l’article 1242 du Code civil.


Tatiana Naounou
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention

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