Des affections articulaires peuvent être à l’origine d’une maladie professionnelle. Malgré des mesures lancées, certes tardivement, un employeur voit sa faute inexcusable retenue en raison de son manque de réactivité. L’entreprise ne doit pas sous-estimer l’enjeu des troubles musculo-squelettiques.
Une position trop statique, des gestes fréquents ou répétitifs sollicitant les mêmes muscles et articulations ou encore des postures contraignantes sont autant de facteurs d’apparitions de troubles musculosquelettiques (TMS), lesquels sont à l’origine de nombreuses maladies professionnelles et accidents de travail.
Dans le cadre de son obligation de sécurité, l’employeur doit tout mettre en œuvre pour préserver la santé de ses travailleurs en s’assurant notamment que l’environnement et/ou le poste de travail du salarié est adapté. En effet, victime d’une maladie professionnelle, le salarié peut se retourner contre son employeur s’il estime que ce dernier a manqué à son obligation de sécurité. Ce manquement peut conduire à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Toute défaillance ou négligence de ce dernier peut donc être lourde de conséquence en cas de survenance d’une maladie professionnelle, comme en témoigne le cas suivant.
La faute inexcusable retenue contre l’employeur
Madame D., employée au sein d’une entreprise de restauration depuis le 1er août 2009, était affectée à la cafétéria où elle y effectuait des gestes répétitifs. Souffrant d’affections articulaires dont le caractère professionnel a été reconnu le 21 octobre 2011 par l’assurance maladie de l’Isère (cf. tableau n° 57 des maladies professionnelles), la salariée a saisi une juridiction de la sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle.
Le 30 novembre 2017, la chambre sociale de la Cour d’appel de Grenoble, confirme le jugement du tribunal des affaires de la sécurité sociale (TASS) qui a estimé que la maladie professionnelle dont souffrait Madame D. était due à la faute inexcusable de son employeur, l’entreprise X étant au courant du risque que représentait le poste de travail pour la santé de la salariée. Cette reconnaissance permettra à Madame D d’obtenir une majoration de la rente versée par l’assurance maladie ainsi qu’une indemnisation provisionnelle de 2000 € de ces préjudices.
Un coup dur pour l’employeur qui décide de former un pourvoi en cassation estimant que la faute inexcusable ne peut être retenue à son encontre. En effet, la reconnaissance de la faute inexcusable suppose que certaines conditions soient réunies. Elle est, par exemple, caractérisée en cas de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, dès lors qu’il aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures de prévention ou de protection nécessaires pour l’en préserver [Cass. soc., 28 févr. 2002, n° 00-13.172].
Le principe veut que la faute inexcusable ne se présume pas. Le salarié doit donc apporter la preuve de l’existence de la conscience du danger ainsi que l’absence de mesures de prévention de la part de l’employeur.
Des alertes ignorées
Or il se trouve que l’employeur avait été alerté à plusieurs reprises par différents organes sans réagir.
L’inspecteur du travail, tout d’abord, avait signalé en février 2010 les risques professionnels que courraient les employés travaillant à la cafétéria, au même poste que Madame D., dénonçant notamment :
● un bac de réception installé latéralement, ce qui les obligeait à faire des rotations permanentes ;
● un bac à évier trop profond les obligeant à “se plier en deux” pour nettoyer les verres ;
● un mouvement de rotation incessant du poignet, des employés en poste, provoqué par le « taille-crayon » gros légumes, source à terme de TMS.
L’inspecteur préconisait dès lors d’installer le bac en face de des employés en poste et de revoir la conception des éviers, de remplacer le matériel à disposition par du matériel mû par une autre force que manuelle et de manière générale, d’éliminer tous les gestes susceptibles de provoquer chez les salariés concernés des TMS.
Une étude ergonomique des postes, réalisée le 18 avril 2010 par le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), avait également mis en évidence la nécessité pour l’employeur d’effectuer des modifications impératives afin d’éviter des troubles musculosquelettiques. Cinq mois plus tard, le 22 septembre 2010, l’inspecteur du travail qui effectuait sa contre-visite, a relevé que les aménagements préconisés n’avaient pas été réalisés. Quelques mois plus tard, le 16 février 2011, la salariée elle-même va adresser une lettre à l’employeur l’alertant sur l’inconfort de son poste de travail, lettre que l’employeur aurait ignorée. Puis, c’est au tour du médecin du travail. Au cours d’une contre-visite, le 21 juin 2011, il va insister sur les aménagements nécessaires, dont la validation a été actée en février 2010 et rappelée en septembre de la même année, mais qui ne sont toujours pas réalisés.
Enfin, les juges de la Cour d’appel vont s’appuyer sur le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) élaboré par l’employeur, qui pointe l’existence de risques notamment liés à des situations de travail exigeant des gestes répétitifs, des efforts importants des membres, des cadences élevées ou des postes mal aménagés. Il est inscrit dans le DUERP le besoin de procéder à une analyse des postes de travail, un réaménagement et une étude de l’ergonomie des postes.
Forte de tous ces constats, la Cour d’appel de Grenoble a estimé que la salariée avait apporté suffisamment de preuves sur la conscience du danger par l’employeur et que ce dernier ne pouvait soutenir qu’il n’avait pas été alerté du risque pour la santé de ses salariés.
Des efforts tardifs et inachevés
Il apparaissait difficile pour l’employeur d’échapper à la mise en œuvre de sa responsabilité. En se basant sur la définition de la faute inexcusable, comme citée précédemment, la seule possibilité qui lui restait était d’établir qu’il avait pris les dispositions nécessaires pour préserver la santé des salariés. Et c’est ce qu’il va tenter de faire en soutenant d’abord qu’il a bien répondu à la lettre d’alerte de la salariée, en changeant le positionnement du réceptacle à café et des plans de travail pour qu’ils soient à la hauteur souhaitée. Il avait également indiqué à la salariée qu’elle ne devait pas utiliser les étages supérieurs des échelles de rangement et des meubles de présentation.
En outre, l’entreprise souligne qu’elle a fait intervenir un expert en ergonomie. Le rapport du CHSCT en date du 12 janvier 2011, relevait d’ailleurs les efforts et les investissements mis en place par l’employeur en vue de favoriser les conditions de travail et l’ergonomie, afin d’éviter de reproduire des incidents de type TMS. Le témoignage de certains salariés, sur la prise de conscience de l’employeur de la nécessité d’améliorer les conditions de travail, confirmait ces efforts.
Face aux arguments de l’entreprise, il revenait donc à la Cour de cassation de déterminer si l’employeur alerté du danger avait bien pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés. Même si elle souligne les efforts et la prise de conscience de l’employeur, la Cour de cassation relève que le matériel adapté, bien que commandé, n’était pas encore en service. Elle note ainsi que l’employeur a tardé à réaliser l’aménagement des postes malgré les constats et préconisations de l’inspecteur du travail, du CHSCT, du médecin du travail et en dépit du DUERP qu’il a pourtant lui-même établi. Ce faisant, l’employeur a exposé sa salariée à des dangers à l’origine de sa maladie professionnelle. C’est donc à juste titre que la Cour de cassation sanctionne cette négligence en reconnaissant la faute inexcusable de celui-ci.
La condamnation de l’employeur en première instance est donc confirmée. Il doit non seulement indemniser Madame D. de l’ensemble des préjudices découlant de sa faute inexcusable, mais s’expose également au risque de majoration de ses cotisations sociales, au titre du supplément de rente pour incapacité que la CPAM devra verser à la salariée.
Cette histoire illustre à quel point il est important pour l’employeur d’être proactif et d’aménager l’environnement et le poste de travail, notamment en investissant dans des matériels et équipements ergonomiques, afin de permettre aux salariés de travailler en toute sécurité. Cela concerne non seulement le travail dans tous les secteurs d’activité qui nécessitent la manutention de charges, mais aussi le travail de bureau également générateur de TMS.
En l’espèce, il y a fort à parier que si l’employeur avait suivi les recommandations de l’expert en ergonomie, lesquels auraient permis de réduire considérablement les risques identifiés dans son DUERP, il aurait pu éviter la mise en jeu de sa responsabilité au titre de la faute inexcusable.
Tatiana Naounou
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention