La réalisation et la mise à jour du document unique d’évaluation des risques dans l’entreprise sont une obligation légale que l’employeur doit respecter selon l’article L 4121-3 du Code de travail. Le fait de déroger à cette obligation expose l’employeur à des sanctions et peut, dans certains cas, avoir de lourdes conséquences financières y compris si l’employeur est de bonne foi. Voici le cas d’une association qui l’a appris à ses dépens (1).
Le 24 avril 2009, lorsque l’association X engage madame Y en qualité d’aide-ménagère, elle ne se doutait pas des difficultés qu’elle allait rencontrer douze ans plus tard.
En effet, deux ans après son embauche, la salariée est placée en arrêt de travail pour maladie professionnelle (du 11 octobre 2011 au 26 avril 2012). À l’issue de cet arrêt de travail et comme la loi le prévoit, Madame Y passe une visite médicale de reprise le 27 avril 2012. Après l’avoir examinée, le médecin du travail, la déclare apte à reprendre le travail tout en prescrivant d’éviter “le soulèvement du bras en port de charge au-delà de 60/70°” et de “mettre à disposition un chariot roulant pour éviter les contraintes de manutention”. Ces deux préconisations n’apparaissaient pas comme des contraintes insurmontables pour l’employeur qui disposait déjà de trois chariots acquis au cours des années précédentes. Il pouvait aisément en mettre un à disposition de la salariée d’autant plus qu’il en avait acquis deux autres l’année suivante.
L’employeur avait par ailleurs pris soin de ne pas confier à la salariée des tâches entraînant un port de charge excédant les limites fixées par le médecin du travail. Ainsi, l’aide-ménagère qui ne participait pas à la production des repas pouvait être sollicitée, en cuisine, pour des tâches annexes comme le nettoyage du matériel et disposait même, en l’absence des deux autres salariés du service, des préparations des repas réalisées en amont par ces derniers.
L’association s’était attachée à respecter scrupuleusement les consignes du médecin du travail. Malgré sa bonne volonté évidente, c’est dans ce contexte que ses ennuis vont commencer, lorsque madame Y est placée à nouveau l’année suivante (de 2013 à 2014), et de manière fractionnée, en arrêts de travail pour accident de travail puis pour maladie professionnelle et non-professionnelle.
L’engrenage juridique se met en marche
Le 28 mai 2014, à la grande surprise de l’association, l’aide-ménagère saisit la juridiction prud’hommale en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur pour non-respect de son obligation de sécurité. Elle reproche à l’association X de ne pas avoir établi le document unique d’évaluation des risques (DUER) qui répertorie les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs dans chaque unité de travail, l’objectif étant de prévenir ces risques. Madame Y demande la condamnation de l’association au paiement de dommages et intérêts.
S’engage alors une bataille judiciaire, qui conduira les deux protagonistes devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), cinq ans plus tard. Pour appuyer sa demande, madame Y produit deux attestations. La première, émane d’une infirmière qui évoque la préparation de repas par la salariée lors des temps de repos du chef de cuisine et de son second. L’autre provient d’une aide-soignante ayant travaillé dans l’établissement de mai 2009 à février 2013. Elle atteste l’existence d’une pénurie de chariots.
L’employeur, de son côté, produit tout naturellement les factures des chariots acquis, une attestation du second de cuisine qui confirme la mise à disposition de chariots et un constat d’huissier qui atteste que le matériel de cuisine respecte les préconisations du médecin du travail. L’objectif est de démontrer qu’il avait, en effet, respecté les préconisations du médecin et de ce fait satisfait à son obligation de sécurité.
Mais le respect par l’employeur des préconisations du médecin du travail, suffit-il à compenser l’absence de DUER et démontrer ainsi la non-violation de l’obligation de sécurité ?
La cour d’appel d’Aix en Provence semble en être convaincue car dans son arrêt en date du 1er février 2019, elle retient que :
l d’une part, “l’employeur justifie du respect des préconisations du médecin du travail par la production des factures, bons de livraison relatifs à l’achat de chariots, attestations, procès-verbal de constat dressé par un huissier mettant en évidence que le matériel était bien adapté aux préconisations médicales”,
l d’autre part, “l’examen des éléments apportés par la salariée ne permet pas de considérer que l’employeur ne justifie pas du respect de son obligation de sécurité”.
La cour d’appel ne s’est pas prononcée sur le défaut d’établissement du DUER, estimant que le respect par l’employeur des préconisations suffit à démontrer la non-violation de son obligation de sécurité.
La salariée est donc déboutée et l’association soulagée. Mais ce soulagement est de courte durée car madame Y décide de se pourvoir en cassation, estimant que la carence de l’association dans la rédaction du DUER constitue un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, lequel manquement lui cause un préjudice et justifie la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur. Cette fois-ci, sa position est suivie par la Cour de cassation. Elle sanctionne la décision de la cour d’appel qui ne se prononce pas sur le moyen invoqué par Madame Y, à savoir le défaut d’établissement du DUER.
L’absence de DUER porte tort à l’entreprise
La Cour de cassation considère en effet que le fait pour l’employeur de ne pas avoir établi son DUER constitue une violation de son obligation de sécurité, tandis que le respect des préconisations du médecin du travail ne permet pas de justifier de la non-violation de l’obligation de sécurité. La résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié s’en trouve justifiée dans ce cas.
Rappelons que la résiliation judiciaire du contrat de travail est accordée par les juges en cas de manquement grave de l’employeur et entraîne la requalification de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour la Cour de cassation, le manquement grave est nécessairement caractérisé par l’absence de rédaction du DUER par l’employeur, y compris dans le cas où il a tout mis en oeuvre, a posteriori des préconisations du médecin du travail, pour assurer la sécurité de sa salariée.
L’obligation de sécurité de l’employeur ne se justifie pas a posteriori par des actions correctives mais par la prévention et l’évaluation des risques auxquels sont exposés les salariés, consignées dans le document unique (Code du travail, art. R. 4121-1).
La Cour de cassation, dans diverses décisions précédentes avait déjà admis qu’en cas de défaut d’établissement du document unique, le salarié était fondé à réclamer à l’employeur des dommages et intérêts s’il justifie d’un préjudice conséquent. Cependant, elle estimait que le défaut d’établissement du DUER, en l’absence de préjudice en résultant, ne présentait pas un caractère de gravité suffisant à empêcher la poursuite de la relation contractuelle.
Manquement grave de l’employeur
Désormais, par cette nouvelle décision, les magistrats de la Cour de cassation valident le principe selon lequel l’absence de DUER constitue un manquement grave de l’employeur à son obligation de sécurité et, à ce titre, tout salarié est fondé à demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Dès lors si l’obligation de sécurité tend vers une obligation de moyen renforcée, la prévention et l’anticipation des risques par l’établissement d’un DUER ne sont pas optionnelles pour l’employeur et sa carence en la matière peut être lourde de conséquences.
Tatiana Naounou
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention
(1) Arrêt n° 515 du 5 mai 2021,Cour de cassation, Chambre sociale.