Face à des faits présumés ou avérés de harcèlement moral et/ou sexuel, l’employeur doit réagir rapidement s’il ne veut pas voir sa responsabilité engagée au titre du non-respect de l’obligation de sécurité et de prévention. La Cour de cassation considère que l’employeur respecte cette obligation quand, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral ou sexuel, il a pris des mesures immédiates propres à le faire cesser, en écartant notamment l’auteur présumé des faits et en diligentant une enquête interne.
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Si les faits de harcèlement se rencontrent de plus en plus dans le milieu du travail, rapporter la preuve d’un harcèlement est souvent très difficile voire impossible sans témoin ou sans preuve. En revanche, il est plus aisé pour le salarié d’invoquer un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
En effet, la jurisprudence admet qu’à défaut pour le salarié de démontrer l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel, celui-ci peut engager la responsabilité de l’employeur au titre de l’obligation de sécurité qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Une situation de harcèlement au travail représente donc une source de risque maximal pour l’employeur. Ce dernier, peut toutefois se dégager de sa responsabilité en justifiant avoir pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir et faire cesser les agissements fautifs. C’est difficile, mais pas impossible !
Voici, par exemple, deux cas dans lesquels la Cour de cassation a donné raison à l’employeur qui avait pleinement satisfait à son obligation de sécurité.
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CAS N° 1 : UNE AMBULANCIÈRE VICTIME DE HARCÈLEMENT SEXUEL DE LA PART DE SON COLLÈGUE DE TRAVAIL
La première histoire concerne Madame X, employée depuis 2013, en qualité d’ambulancière au sein d’une société d’ambulances située dans le département de la Seine-et-Marne. Cette salariée a subi pendant plusieurs mois un harcèlement sexuel avéré de la part de son collègue de travail avec qui elle effectuait des tournées en binôme. Ce harcèlement prenait la forme d’envoi de SMS contenant des propos à connotation sexuelle et des pressions répétées pour obtenir un acte de nature sexuelle. À la suite de plusieurs arrêts de travail successifs, à l’occasion desquels elle a informé son employeur des agissements de son collègue, Madame X finira par être licenciée le 7 janvier 2017 pour inaptitude et en raison de l’impossibilité de reclassement.
En jeu : la nullité du licenciement
Estimant que son inaptitude est la résultante des faits de harcèlement sexuel dont elle a été victime et au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, Madame X saisit la juridiction prud’homale dans le but d’obtenir la nullité du licenciement et le paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts.
À ce stade, rappelons que le harcèlement sexuel, comme le harcèlement moral, fait partie des motifs pour lesquels une rupture de contrat est considérée comme nulle, impliquant des conséquences financières non négligeables pour l’employeur. En effet, en cas de nullité du licenciement et lorsque la réintégration du salarié s’avère impossible, le juge peut octroyer au salarié, en plus de l’indemnité compensatrice de préavis, une indemnité supplémentaire destinée à réparer le préjudice né du caractère illicite du licenciement. Elle est au moins égale à six mois de salaire, quelles que soient l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise. Cette indemnité pour licenciement nulle n’est pas plafonnée, contrairement à l’indemnité prévue en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et son montant est souverainement apprécié par le juge (Soc. 18 décembre 2000, n° 98-41.608). Dans le cas présent, le risque financier était donc élevé pour l’employeur.
Par un jugement du 26 novembre 2018, le conseil des prud’hommes déboute Madame X de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation par l’entreprise de son obligation de sécurité et de la nullité du licenciement. Les juges ont toutefois considéré le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse, l’employeur n’ayant pas respecté la procédure. La société est donc, malgré tout, condamnée à verser à son ancienne collaboratrice la somme de 1 668 € de dommages et intérêts, à ce titre. En comparaison des sommes encourues en cas de nullité du licenciement retenue, le coût était minime pour l’employeur qui pouvait donc se satisfaire de cette décision.
Mesures concrètes de l’employeur
C’était sans compter sur la ténacité de la salariée qui, mécontente de ne pas avoir obtenu la nullité du licenciement, décide d’interjeter appel en renouvelant l’ensemble de ses demandes.
De son côté, l’employeur fait le choix surprenant de ne pas se présenter devant la cour d’appel, une décision malheureuse car la cour d’appel de Paris va faire droit à l’ensemble des demandes de la salariée, retenant que l’employeur, qui ne s’est pas présenté, n’apporte ainsi aucun élément pour justifier qu’il a pris une quelconque mesure nécessaire pour mettre un terme à la situation de harcèlement avérée, subie par la salariée, alors qu’il en avait connaissance et que cette situation est à l’origine de la dégradation de l’état de santé de la salariée.
Dans un arrêt du 30 juin 2021, la cour d’appel de Paris, déclare donc le licenciement nul et condamne la société d’ambulances à payer à Madame X les sommes de : 5 000 € au titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, 10 000 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, ainsi que 3 336,74 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et 337 € au titre de congés payés. Au total, l’entreprise condamnée doit verser à son ancienne salariée, la somme de 18 670,41 €, s’ajoutant à la somme de 1 668 € à laquelle elle avait été condamnée en première instance.
La société d’ambulances décide de former un pourvoi en cassation. Elle a eu raison d’insister car la Cour de cassation, saisie du pourvoi, censure la décision des juges du fond. Elle considère que malgré l’absence de la société, la cour d’appel aurait dû examiner les motifs ayant permis aux juges de la première instance de rendre leur décision. Autrement dit, elle devait estimer la pertinence des arguments de l’employeur retenus par le conseil de prud’hommes.
Mais quels étaient donc les arguments invoqués par l’employeur en première instance et qui lui ont valu d’échapper à une sanction plus lourde ? Il ressort des pièces apportées par la société d’ambulances, qu’elle a cessé de faire circuler dans la même voiture la salariée et son collègue dès qu’elle a été mise au courant de la situation de harcèlement sexuel alléguée et qu’elle a également pris soin d’avertir rapidement l’inspecteur du travail.
La Cour de cassation a estimé que ces éléments suffisaient à démontrer que la société avait effectué tout ce qui était en son pouvoir, et pris les mesures nécessaires, pour satisfaire à son obligation de sécurité. Elle annule donc la décision de la cour d’appel de Paris, concernant le licenciement nul et la condamnation de l’employeur au paiement de diverses sommes qui en découlent.
Finalement, la réactivité de l’employeur a été récompensée par la Cour de cassation. Celui-ci a seulement dû s’acquitter du versement de la somme de 1 668 €, en raison du non-respect de la procédure de licenciement.
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CAS N° 2 : UNE CONSEILLÈRE DE VENTE HARCELÉE MORALEMENT PAR SA SUPÉRIEURE HIÉRARCHIQUE
Conseillère de vente depuis 2005 et déléguée du personnel au sein d’une société girondine spécialisée dans le commerce de détail de livres, Madame H reprochait à sa supérieure hiérarchique les critiques et les dénigrements qu’elle lui adressait, y compris en présence de tiers, ainsi qu’une mise à l’écart cautionnée par la directrice du magasin. Comme dans le cas précédent, après avoir été placée en arrêt de travail, la salariée a été déclarée inapte et licenciée le 28 février 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Licenciement légitimé en appel
Invoquant une situation de harcèlement moral et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, Madame H saisit le conseil des prud’hommes d’une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail, tendant à la nullité du licenciement pour inaptitude, en sus de diverses demandes, notamment des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’autres, du fait de la méconnaissance par l’employeur de son obligation de sécurité.
Les demandes de l’ancienne collaboratrice sont néanmoins toutes écartées en appel, la cour considérant que le harcèlement moral n’était pas imputable directement à l’employeur qui n’avait pas été totalement inactif face aux souffrances de la salariée et n’avait pas tardé à la préserver du comportement fautif de sa supérieure hiérarchique. Le licenciement pour inaptitude n’était donc pas nul et reposait sur une cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, il n’y avait pas lieu pour la cour d’appel de procéder à la résiliation judiciaire du contrat de travail. Mais Madame H forme un pourvoi en cassation, à l’appui duquel elle relève que “manque à son obligation de sécurité l’employeur qui n’a pas pris toutes les mesures utiles pour prévenir les atteintes à la santé des salariés, en particulier les agissements de harcèlement moral”. Elle souligne l’absence totale de prévention des risques au sein de l’entreprise avec :
– le refus de l’employeur de produire le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP),
– le refus de l’employeur de justifier de la consultation du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT),
– l’absence de formation appropriée des cadres.
En somme, la salariée reproche à l’employeur de ne pas avoir tout fait pour prévenir la survenance de faits de harcèlement dans l’entreprise. La Cour de cassation va conforter partiellement la position des juges du fond. Elle rappelle ainsi le principe selon lequel l’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral ou sexuel. Autrement dit, une situation de harcèlement moral avérée et subie par un salarié, ne constitue pas intrinsèquement une violation par l’employeur de l’obligation de sécurité. Il convient d’apprécier si l’employeur a bien pris toutes les mesures générales de prévention nécessaires et suffisantes pour l’éviter.
Cassation : obligation de sécurité de l’employeur respectée mais prévention incomplète…
Dans ce cadre, la Cour de cassation relève qu’une réunion avait été organisée le jour même de la connaissance des faits de harcèlement par la directrice du magasin, en présence de cette dernière, de la salariée et d’un délégué du personnel, pour évoquer les faits dénoncés. Au cours de celle-ci, une proposition de changement de secteur avait été formulée à la salariée. Par ailleurs, à l’issue d’un entretien entre la salariée et le responsable des ressources humaines, une enquête avait été menée par le CHSCT. La Cour de cassation en déduit que l’employeur a bien respecté son obligation de sécurité à l’égard de la salariée. Encore une fois, la réactivité immédiate de l’employeur est récompensée.
Mais contrairement au cas précédent, si l’employeur avait pris quelques mesures destinées à faire cesser le harcèlement, il ne justifiait pas avoir pris préalablement toutes les mesures de prévention visées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail et, notamment, avoir mis en oeuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance des faits de harcèlement.
C’est pourquoi, la Cour de cassation qui reconnaît l’existence du harcèlement moral de la part du supérieur hiérarchique, retient la responsabilité de l’employeur dans la mesure où ce dernier doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés. Elle casse donc partiellement la décision de la cour d’appel en ce qu’elle a refusé de déclarer la nullité du licenciement. L’affaire, toujours en cours, sera renvoyée devant une nouvelle cour d’appel.
Conclusion : face au harcèlement, des mesures rapides et de la prévention !
En matière de harcèlement au travail, il est important pour l’employeur de réagir à tous les signaux qui lui parviennent. Dès l’instant qu’il est informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement, l’employeur doit impérativement prendre les mesures immédiates propres à le faire cesser. Mais au-delà, ces deux arrêts illustrent l’importance non seulement d’une réaction très rapide en cas de harcèlements mais aussi de leur prévention.
D’où la nécessité pour les chefs d’entreprise de se faire accompagner par un tiers – IPRP, salarié désigné compétent ou SPST – rompu à l’exercice de l’anticipation des risques et expositions en matière de santé au travail, y compris psychologiques, et apte à définir les actions de prévention les mieux adaptées. C’est leur unique moyen de se mettre en mesure de justifier qu’ils ont respecté une vraie logique de prévention et mis en place toutes les mesures figurant à l’article L 4121-2 du Code du travail.
Tatiana Naounou
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention