La dégradation des conditions de travail et les pressions imposées par l’employeur peuvent entraîner des conséquences sur l’état de santé des salariés. Lorsque par la suite un cas de dépression éclate dans l’entreprise, et même si le harcèlement moral n’est pas constaté, cette dépression peut être reconnue comme maladie professionnelle. En voici l’illustration.
Le harcèlement moral étant désormais identifié comme risque professionnel, il est logique de considérer que ses conséquences préjudiciables sur l’état de santé du salarié qui en est victime soient prises en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles. Mais qu’en est-il si l’employeur est relaxé du chef de harcèlement moral ? La décision de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de prendre en charge la maladie professionnelle peut-elle lui être inopposable ?
Un cas, en cours depuis 2008 mais dont la procédure vient de prendre fin en 2021, apporte quelques éléments de réponse (1).
Une salariée en dépression
Madame X, salariée de l’entreprise Y spécialisée dans l’activité de collecte des déchets en Île-de-France, était quotidiennement confrontée à des conditions de travail difficiles et a fini par développer une dépression réactionnelle. Considérant que cette dépression était la résultante de faits de harcèlement moral qu’elle subissait au travail, la salariée décide de déposer une plainte contre son employeur et deux de ses supérieurs hiérarchiques. Parallèlement, le 7 avril 2008 puis le 21 octobre de la même année, elle déclare sa pathologie à la Sécurité sociale afin d’obtenir la reconnaissance en maladie professionnelle de sa dépression.
Mais dans la mesure où la dépression n’est pas indiquée au tableau des maladies professionnelles, sa reconnaissance n’est pas automatique. Il faut en faire la demande à la CPAM qui va s’adresser au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), lequel statuera sur l’origine professionnelle de la maladie (conformément à l’Article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale).
C’est ainsi qu’un an plus tard, le 12 novembre 2009, après avis favorable du CRRMP, la CPAM décide de prendre en charge l’affection de Madame X, au titre de la législation des maladies professionnelles. Une petite victoire pour la salariée qui sera de courte durée. En cours parallèlement, la procédure pénale s’est en effet poursuivie et elle va démontrer que la salariée était exposée à :
- une surcharge de travail qui n’était pas contestée par l’employeur,
- un autoritarisme et des maladresses répétées, de la part de son supérieur, confirmés par des témoignages dont l’un émanant du directeur des ressources humaines,
- des pressions établies et avérées de la part de la hiérarchie.
Malgré ces constatations, le Tribunal correctionnel reconnaissant pourtant l’existence de conditions de travail difficiles va relaxer le dirigeant et les deux supérieurs hiérarchiques. En effet, de mauvaises conditions de travail, bien qu’étant à l’origine de souffrances, ne caractérisent pas de facto un harcèlement moral.
Prouver le harcèlement moral
Pour qu’il y ait harcèlement, il faut qu’il y ait “des agissements répétés qui ont pour objet, ou pour effet, une dégradation des conditions de travail d’un salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel” (Article L1152-1 du Code du travail). Il appartient aussi au salarié qui se dit victime d’établir les faits précis permettant de présumer l’existence d’un harcèlement. De son côté, l’employeur doit prouver, pour sa défense, que ces agissements sont justifiés par des éléments objectifs c’est-à-dire étrangers à tout harcèlement.
Il revient ensuite au juge de former sa conviction en appréhendant les faits dans leur ensemble de manière à déterminer s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Or, dans le cas présent, le tribunal correctionnel qui s’est livré à une analyse des faits et des témoignages a considéré que la preuve des agissements dénoncée n’était pas rapportée par la salariée.
Les juges notent que les difficultés rencontrées par Madame X “résultaient essentiellement de la charge de travail qui existait au sein du service, charge de travail reconnue par les dirigeants eux-mêmes qui pouvait justifier leur intervention compte tenu des exigences des clients, sans pour autant que cela constitue un acharnement sur les salariées affectées à ce poste”. Sur la base de ce constat, le dirigeant et les deux supérieurs sont donc relaxés.
Le recours devant le tribunal des affaires sociales
Fort de cette décision, l’employeur, va déposer un recours en inopposabilité de la décision prise par la CPAM, considérant que la maladie professionnelle ne pouvait être reconnue puisque le harcèlement moral n’a pas été retenu par le juge pénal. Le tribunal des affaires sociales (TASS) des Yvelines ne va pas suivre son argumentaire et va le débouter de ses demandes par jugement en date du 12 novembre 2009. L’employeur décide alors d’interjeter appel de cette décision devant la Cour d’appel et finira par obtenir gain de cause. Celle-ci va décider de rendre inopposable à l’employeur la décision de la CPAM de reconnaître la dépression comme étant une maladie professionnelle. Les juges de la cour d’appel ont estimé que la maladie professionnelle invoquée par Madame X ne pouvait résulter du comportement des trois personnes qui ont été relaxées.
Puisque le harcèlement moral n’a pas été reconnu par le juge pénal, la dépression réactionnelle ne peut être considérée comme une maladie professionnelle.
Cette fois-ci, c’est la CPAM qui décidera de former un pourvoi en cassation contre la décision des juges de la cour d’appel estimant que ces derniers devaient rechercher si la maladie dont était atteinte Madame X était essentiellement et directement causée par le travail habituel de la salariée et ce même si le harcèlement moral n’avait pas été retenu au pénal.
En fin de compte, dans cette affaire, toute la question était donc de savoir si la relaxe du chef de harcèlement moral au pénal pouvait rendre inopposable à l’employeur concerné la reconnaissance de la dépression comme maladie professionnelle. Il revenait aux juges de la Cour de cassation de trancher la question. Par un arrêt en date du 9 septembre 2021, la Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel. Elle estime que seule l’absence de lien direct entre la maladie et le travail habituel de la victime peut justifier la non-reconnaissance de la maladie professionnelle.
Conditions de travail : un enjeu essentiel
L’enjeu était donc, ici, de savoir si la maladie professionnelle était directement liée à son travail même en l’absence de harcèlement moral. Dans le cas présent, la Cour a jugé que la dépression devait être considérée comme une maladie professionnelle car elle était liée aux conditions de travail difficiles de la salariée. La distinction opérée par la Cour est importante car, même en l’absence de harcèlement moral, les juges vont examiner les conditions de travail pour établir un lien avec la maladie professionnelle.
En conclusion, si de mauvaises conditions de travail sont insuffisantes pour caractériser le harcèlement moral, elles peuvent néanmoins justifier la reconnaissance d’une maladie professionnelle, ce qui peut représenter un coût important pour l’entreprise :
- remplacement du salarié ou réorganisation,
- majoration du taux de cotisation,
- majoration des frais et des indemnités de licenciement etc.
Désormais averti, l’employeur devra donc s’assurer des bonnes conditions dans lesquelles travaillent ses salariés et diminuer ainsi les risques de maladies professionnelles.
Tatiana Naounou
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention
(1) Cass. 2e civ., 9 sept. 2021, n° 20-17.054.