Les salariés travaillant hors de portée de vue ou de voix d’autres personnes, sont plus vulnérables en cas d’accident ou d’agression. Le chef d’entreprise a une obligation de protection renforcée à leur égard. Des équipements individuels permettent d’alerter les secours même lorsque la victime n’est plus en situation de le faire.
La maintenance, l’entretien, la sécurité, l’accueil, le bâtiment, les transports, le médical, la propreté… Tous ces secteurs d’activité partagent un point commun : une partie de leurs personnels travaillent seuls. En cas d’incident, nul ne leur portera secours. Le Code du travail prend acte de cette situation en imposant aux entreprises des mesures de protections supplémentaires. “Un travailleur isolé doit pouvoir signaler toute situation de détresse et être secouru dans les meilleurs délais” (article R4543-19). Cette obligation vaut aussi bien sur le site de l’entreprise qu’à l’extérieur, sur un chantier par exemple : “Lorsque l’opération est réalisée de nuit ou dans un lieu isolé ou à un moment où l’activité de l’entreprise utilisatrice est interrompue, le chef de l’entreprise extérieure
Dans cette affaire, le président d’une société de maintenance a été condamné à trois mois de prison avec sursis et 3 750 € d’amende après qu’un de ses employés se soit retrouvé mortellement piégé dans une chambre froide sans pouvoir donner l’alerte. S’il avait été pourvu d’un DATI, ce salarié aurait pu
intéressé prend les mesures nécessaires pour qu’aucun travailleur ne travaille isolément en un point où il ne pourrait être secouru à bref délai en cas d’accident”, précise l’article R4512-3. Parmi ces mesures figure le port d’équipements individuels destinés à donner l’alerte : les dispositifs d’alarme du travailleur isolé (DATI). Même si le Code du travail ne les prescrit pas explicitement, ils apparaissent incontournables pour remplir l’obligation de résultat qui s’impose aux employeurs en matière de sécurité.
Les DATI gagnent du terrain
La jurisprudence de la Cour de cassation l’a d’ailleurs confirmé dans une décision du 25 novembre 2008 (pourvoi n° 08-81-995) engageant la responsabilité pénale d’un chef d’entreprise pour homicide involontaire.
Dans cette affaire, le président d’une société de maintenance a été condamné à trois mois de prison avec sursis et 3 750 € d’amende après qu’un de ses employés se soit retrouvé mortellement piégé dans une chambre froide sans pouvoir donner l’alerte. S’il avait été pourvu d’un DATI, ce salarié aurait pu activer une alarme pour être secouru. Et même en ayant perdu connaissance sous l’effet du froid, son DATI aurait déclenché automatiquement une alerte. L’appareil est en effet capable de détecter deux situations suspectes : l’immobilité (signe d’un malaise) et la “perte de verticalité”, autrement dit la conséquence d’une chute. Cette double capacité d’alerter, manuellement ou automatiquement, assure aujourd’hui aux fabricants de DATI un marché porteur. “Nos clients s’équipent pour deux motifs : la protection des travailleurs isolés en cas d’accident ou de problème médical mais aussi le risque d’incivilité voire d’agression à leur égard”, explique Philippe Lima, dirigeant et cofondateur de WaryMe. Cette start-up rennaise équipe notamment les agents d’accueil du conseil régional de Bretagne dont les conditions de sécurité se sont dégradées depuis la Covid 19. La pandémie a également contribué à développer le télétravail et donc les ventes de DATI, témoigne Nicolas Morel, PDG de Magneta, un des acteurs historiques de ce marché : “Le télétravail est sous la responsabilité du chef d’entreprise. En cas d’accident, il doit avoir mis en œuvre des moyens de secours.” Pourtant cette prise de conscience des employeurs, face à la nécessité d’élargir les populations équipées de DATI, ne va pas toujours sans heurt. Elle suscite parfois, et paradoxalement, une hostilité des syndicats qui lui préfèrent une organisation du travail en binôme. Celle-ci est toutefois plus onéreuse pour les entreprises..
Le “couteau suisse” de la protection
L’essor des DATI s’explique également par les progrès des nouvelles technologies de communication. “Où doit se trouver le collaborateur ? Peut-on utiliser le réseau GSM pour le localiser à l’intérieur d’un bâtiment ou pas ? En cas d’alarme et d’impossibilité de parler avec la victime, comment savoir où elle se trouve ?”, énumère Nicolas Morel. Selon les contextes de travail, sa société propose des DATI qui recourent à des protocoles de télécommunication différents : le GSM par défaut, mais aussi le réseau Wifi lorsqu’il est déployé à l’intérieur d’un bâtiment. A défaut, et lorsqu’il ne s’agit pas du site d’un client, l’entreprise peut équiper ses propres locaux de balises bluetooth qui serviront de relais au signal d’alarme. Dans les cas les plus extrêmes, des ondes radios PMR (professional mobile radio, le protocole utilisé pour les talkies-walkies) prennent le relais pour ne laisser aucune “zone blanche”.
Par ailleurs, le DATI prend désormais des formes diverses pour s’adapter à des contextes de travail variés. Historiquement, il s’agissait d’un petit boîtier à porter sur soi or celui-ci est aujourd’hui concurrencé par le smartphone, un bracelet voire une montre connectée. “Nous vendons plus de dispositifs dédiés tels que le bracelet-montre mais cette solution n’est pas toujours adaptée notamment dans les entreprises qui interdisent de porter quoi que ce soit au poignet”, reconnaît le PDG de Magneta.
Avec le smartphone, le DATI à la portée des TPE
Les smartphones, équipant de plus en plus de salariés, deviennent un des moyens les plus efficaces de diffusion du DATI dans les entreprises (au besoin, en choisissant des modèles “durcis”). Tel est le créneau de WaryMe qui a tiré parti des capteurs (gyroscope et accéléromètre) déjà présents dans ces appareils pour développer une application. “Cette solution coûte moins cher que des boîtiers et elle offre des possibilités de développement pour faire évoluer les fonctionnalités. En outre, il y a plus de chance qu’un salarié ait son smartphone sur lui qu’un boîtier”, argumente Philippe Lima. Certes, WaryMe a dû répondre à une crainte initiale des entreprises : comment un simple smartphone donnera-t-il l’alerte dans un lieu où les ondes GSM ne passent pas ? La réponse a été apportée en deux temps. D’abord la possibilité de se connecter au réseau Wifi dans le cas d’un bâtiment. Ensuite, si aucun type de signal ne passe, la possibilité de programmer une alarme à l’avance : “Si le salarié n’a pas annulé cette alarme avant le laps de temps programmé, l’alerte sera donnée automatiquement”, explique le directeur général. Une procédure qui ne nécessite plus aucune télécommunication et peut donc fonctionner n’importe où. Par ailleurs, cette start-up a développé un “bouton SOS” : en déclenchant une alarme il enregistre le contexte sonore, à l’instar de la “boîte noire” d’un avion. Ces informations sont à la fois stockées dans le smartphone et transmises en temps réel dès que le réseau GSM est à portée. Ainsi le DATI fournit des renseignements utiles aux services de secours pour intervenir mais aussi à la compréhension de l’évènement. Un gain de temps et d’efficacité également pour établir d’éventuelles responsabilités et permettre ensuite à l’entreprise de faire évoluer ses protocoles de sécurité et son document unique, en connaissance de cause.
Jean-Philippe Arrouet