Dans nombre d’activités professionnelles, le travail nocturne s’est développé de sorte que travailler selon des horaires atypiques est devenu une situation courante, qu’elle soit ponctuelle, temporaire ou habituelle. Pourtant, entre les risques sur la santé et la sécurité et les conséquences sociales et familiales, un tel choix de vie pour le salarié ou choix d’organisation pour le chef d’entreprise ne doit pas être pris à la légère, ni par l’un ni par l’autre, et le Code du travail encadre rigoureusement le travail de nuit.
Le monde du travail évolue constamment et voit se diversifier les formes d’organisation du travail. Dès lors, de plus en plus de travailleurs sont concernés par des rythmes et des horaires de travail dits atypiques, dont le travail de nuit ou le travail posté.
Cette augmentation de travailleurs en horaires atypiques, se serait même accélérée ces dernières années. La Direction de l’animation de la recherche, des études et statistiques (Dares), révélait en 2014, que le nombre de travailleurs de nuit avait alors doublé sur les deux dernières décennies. Deux ans auparavant, elle chiffrait même à 3,5 millions le nombre de personnes travaillant habituellement ou occasionnellement de nuit. Ce qui représentait 15,4 % des salariés, soit plus d’un français sur sept. Mais lorsqu’on évoque le travail de nuit, de quoi parle-t-on exactement ?
Travail et travailleur de nuit
Le Code du travail précise que « Tout travail effectué au cours d’une période d’au moins 9 heures consécutives comprenant l’intervalle entre minuit et 5 heures est considéré comme du travail de nuit. La période de travail de nuit commence au plus tôt à 21 heures et s’achève au plus tard à 7 heures » (article L.3122-2). À défaut de convention ou d’accord collectif, tout travail ayant lieu entre 21 heures et 6 heures est considéré comme un travail de nuit (article L. 3122-20). Cependant, pour les activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, radio, cinéma, etc., la période de travail de nuit est fixée entre minuit et 7 heures du matin. Enfin, une autre période de référence peut être fixée par convention ou accord collectif de travail étendu ou par accord d’entreprise ou d’établissement (article L.3122-15).
Outre le travail de nuit, le travailleur de nuit a également sa propre définition. Le Code du travail le défini selon deux critères :
– soit il « accomplit, au moins deux fois par semaine, selon son horaire de travail habituel, au moins trois heures de travail de nuit quotidiennes » (art. L.3122-5),
– soit il accomplit un nombre minimal d’heures de travail de nuit au cours d’une période de référence (art.L.3122-5) fixée par une convention ou un accord collectif de travail étendu (art.L.3122-16). En l’absence de convention ou d’accord, le travailleur de nuit est défini réglementairement comme celui qui accomplit 270 heures sur une période de douze mois consécutifs (L 3122-23).
Fonction publique, secteur privé… Tous concernés !
Pourtant, le Code du travail précise aussi que le recours au travail de nuit doit rester exceptionnel. Il doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale, comme les services de santé en particulier.
Ainsi, le travail de nuit est particulièrement répandu dans le secteur tertiaire. 30 % des salariés de la fonction publique sont concernés par le travail de nuit et 42 % dans les entreprises du secteur privé.
Conducteurs de véhicules, militaires, policiers, pompiers, aides-soignantes, infirmières et sages-femmes sont ainsi parmi les professions les plus exposées au travail de nuit, ainsi que les ouvriers qualifiés,
des industries de process en particulier, comme dans l’industrie agroalimentaire. Les travailleurs de nuit sont en majorité des hommes trentenaires, mais de plus en plus de femmes sont concernées, en particulier celles de moins de trente ans, d’autant plus depuis 2001 et l’adoption de la proposition de loi sur l’égalité professionnelle hommes-femmes qui a levé l’interdiction légale faite aux femmes de travailler la nuit (conformément au droit européen et à la Directive 93/104/CE, en particulier).
Toujours selon la Dares, les salariés travaillant la nuit ont une rémunération plus élevée mais les conditions de travail sont beaucoup plus difficiles que pour les autres salariés. Ils sont principalement titulaires d’un CDI ou d’un CDD. Les stagiaires, apprentis et autres contrats aidés sont peu concernés par le travail de nuit.
Avec l’âge, le chiffre des travailleurs de nuit diminue : de 23 % pour les trentenaires, il passe à 16 % pour les sexagénaires. Il diminue même fortement dès 50 ans dans le secteur de l’industrie.
Des risques avérés et diversifiés
Outre son caractère exceptionnel, le recours au travail de nuit doit prendre en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Or, les travailleurs de nuit sont soumis à des conditions de travail plus difficiles : des facteurs de pénibilité physique plus nombreux, une pression temporelle plus forte du fait des horaires, des contraintes de rythmes ou des délais, des perturbations des rythmes biologiques… Les travailleurs de nuit sont ainsi plus exposés aux risques d’accidents du travail et autres accidents de trajet. Les tensions avec les collègues de travail ou le public sont aussi considérées
comme étant plus fréquentes. Plus globalement, l’impact social du travail de nuit peut déborder du cadre du travail, avec des répercussions possibles au quotidien, à l’extérieur de l’entreprise. Cela peut se traduire par des difficultés à organiser ou participer à des rencontres amicales de vie en société ou à participer à des activités culturelles, sportives ou associatives. Des déséquilibres dans le fonctionnement familial, voire l’altération des relations conjugales sont aussi des conséquences possibles d’une activité professionnelle
nocturne ou selon des horaires atypiques. Dès lors, travailler de nuit n’est pas un choix anodin, ou une contrainte, pour le travailleur. Ainsi, quand l’employeur envisage de faire travailler un salarié la nuit, il doit avoir obligatoirement l’accord dudit salarié (par lettre recommandée avec accusé de réception). Ce dernier dispose d’un délai d’un mois pour prendre sa décision, mais un refus de sa part ne pourrait être un motif de licenciement.
Des contreparties possibles
La mise en place du travail de nuit s’accompagne de contreparties applicables, sous forme de repos compensateur, intégralement rémunéré et, éventuellement, d’une compensation salariale. Aucune autre contrepartie financière ou prime ne pourra être admise.
Les contreparties applicables sont fixées via un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, dans le cadre de l’accord collectif de branche, notamment la convention.
Le Code du travail prévoit aussi de faciliter le retour à un poste de jour pour le travailleur de nuit. La priorité doit lui être accordée pour l’attribution d’un emploi équivalent ou correspondant à sa catégorie
professionnelle. Il peut aussi demander son affectation sur un poste de jour quand le travail de nuit est incompatible avec des obligations familiales impérieuses (garde d’un enfant, prise en charge d’une personne dépendante…).
Des raisons de santé, et l’avis du médecin du travail, peuvent motiver temporairement
ou définitivement une demande de transfert du travailleur de nuit à un poste de jour correspondant à sa qualification et aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé. Dans ce cas également, l’employeur ne peut pas procéder à une rupture de contrat du salarié du fait de l’inaptitude au poste de nuit, sauf exceptions : lorsqu’il est dans l’impossibilité de proposer un poste de jour répondant aux caractéristiques mentionnées précédemment ou quand le salarié refuse le poste proposé dans les mêmes conditions.
Stéphane Chabrier