Depuis 2017, la Mutualité Française a lancé, avec le concours de Toluna Harris Interactive, un Observatoire destiné à réaliser régulièrement un état des lieux des représentations des Français à l’égard de leur système de santé.Cette année, cette enquête portait plus spécifiquement sur les questions de santé au travail. Les résultats recueillis soulignent notamment que les actifs français ont en la matière de très fortes attentes et qu’ils plébiscitent l’engagement des entreprises.
Consciente que le jugement des travailleurs sur la santé au travail est tributaire du jugement sur la santé en général, la Mutualité Française a eu la bonne idée de commencer son enquête en interrogeant les Français sur leur perception du système de santé.
Inquiétude sur l’avenir du système de santé
Sans surprise, l’inquiétude domine. Nos compatriotes ont de plus en plus le sentiment que le système se dégrade. Ainsi, Français sur deux considère aujourd’hui que le système de santé fonctionne mal (49 %). C’est le taux de défiance le plus haut enregistré depuis le début du baromètre en 2017. Et, preuve que le pessimisme est de mise : 61 % estiment que le système va encore se dégrader à l’avenir !
Parmi les motifs qui nourrissent l’inquiétude, l’Observatoire pointe la question du “reste à charge” (RAC) : “Alors que le reste à charge 0 était une ambition du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, les Français considèrent majoritairement que cette promesse n’a pas été tenue : 56 % des Français (+ 6 points) ont le sentiment que leur RAC est aujourd’hui en augmentation, notamment en ce qui concerne les soins dentaires (62 %), l’optique (59 %) ou les consultations chez des médecins spécialistes (58 %).”
Un regard très polarisé sur l’effet du travail sur la santé
Si les Français font part d’avis plutôt négatifs au sujet du système de santé, ils se montrent nettement plus positifs lorsqu’il s’agit d’évaluer leur propre santé : 83 % d’entre eux déclarent “se sentir en bonne santé”, même si seuls 14 % d’entre eux affirment se sentir “en très bonne santé”.
En revanche, les actifs se montrent beaucoup plus partagés au sujet de l’effet de leur travail sur la santé, 25 % estimant que le travail contribue à améliorer leur santé tandis que 39 % pensent qu’il la détériore. Pour les auteurs, cette divergence de perception reflète probablement des divergences de situation tant l’exposition aux risques professionnels diffère selon les métiers.
Près de la moitié des actifs disent toutefois avoir déjà rencontré des problèmes de santé au travail, dont 24 % à plusieurs reprises. Et ils sont encore plus nombreux à évoquer des difficultés telles que la fatigue (84 %), le stress (76 %), une perte de motivation (72 %) ou encore des douleurs physiques régulières (61 %), des phases dépressives (53 %) ou un sentiment d’isolement (48 %).
Les questions de santé encore trop taboues au travail
L’enquête révèle également que les problèmes de santé au travail continuent à faire l’objet d’un fort tabou en entreprise. En effet, seule la moitié des personnes ayant déjà été confrontées à ce type de situation déclarent en avoir parlé (49 %). Et lorsque le sujet est évoqué, “cela se fait le plus souvent avec son médecin traitant (55 %) ou avec ses proches (collègues, entourage) plutôt que via les structures de l’entreprise (ressources humaines, 14 % ; organisations syndicales, 11 %).”
A contrario, la médecine du travail apparaît comme un interlocuteur privilégié (40 %) parmi les ressources existantes dans le cercle professionnel. Hélas, comme le souligne l’enquête de l’Observatoire, le système de Médecine du travail se trouve aujourd’hui très fragilisé si bien que de nombreux actifs ne bénéficient pas d’un suivi médical régulier dans ce cadre (voir encadré ci-dessous ainsi que notre Zoom juridique, page 16).
Déficit de culture de prévention
Preuve que l’acquisition, par les entreprises, d’une culture de prévention répond à une vraie nécessité, cette réticence des salariés à parler des problèmes de santé au travail s’explique aussi par un profond déficit d’information.
Les auteurs notent ainsi que “la majorité des actifs se sentent mal informés sur différents aspects liés à la santé au travail comme les maladies professionnelles physiques (52 %) ou les souffrances psychologiques liées au travail (52 %), voire confient manquer d’informations sur les interlocuteurs à contacter en cas de souffrance au travail (52 %)”.
De grandes attentes à l’égard de l’entreprise
L’Observatoire souligne que “les entreprises sont très attendues pour leur engagement sur la question de la santé au travail, et notamment sur leurs actions en matière de prévention concernant les souffrances professionnelles (83 %)”. Autre enseignement d’importance : “cette attente est également partagée par les salariés (80 %) et les dirigeants d’entreprise (90 %), qui tous, indiquent qu’il s’agit d’un sujet important.”
Pour les auteurs, ces résultats démontrent que la santé au travail représente un sujet fédérateur. En effet, “hommes et femmes, salariés les plus jeunes ou les plus âgés, ayant des postes d’encadrement ou non, savent d’expérience que tous les profils peuvent être également concernés par les difficultés de santé au travail.”
Plébiscite en faveur de la prévention des risques
Quelque 83 % des Français en activité estiment “qu’il est important que les entreprises mettent en place des actions d’information et de prévention concernant les souffrances professionnelles tant physiques que mentales”. Il semblerait toutefois que cette attente soit aujourd’hui peu satisfaite. À peine plus d’un Français sur deux (52 %) estime que “les entreprises se préoccupent des conditions de travail et du bien-être physique de leurs salariés” et seuls 47 % considèrent qu’elles sont “mobilisées en faveur du bien-être mental de leurs salariés”.
Au-delà même des obligations légales qui leur incombent, les dirigeants seraient bien inspirés de s’impliquer davantage sur ces questions. En effet, pour 76 % des actifs, “l’implication des entreprises en faveur du bien-être au travail des salariés a des effets positifs sur la fidélité et l’engagement des salariés”.
Les employeurs conscients de devoir davantage agir
Le jugement des salariés n’est pas démenti par les employeurs. Quelque 57 % des dirigeants d’entreprise admettent en effet ne pas avoir mis en place au sein de leur entreprise une politique globale de prévention en matière de santé au travail. Mais, preuve d’une prise de conscience, “ils partagent l’avis du grand public sur la nécessité de l’implication de l’entreprise dans le bien-être physique et mental de leurs salariés (90 %) et ses possibles répercussions positives, comme l’engagement et la fidélité plus grande des salariés (96 %).”
Christophe Blanc
Pour aller plus loin :
les travaux de l’Observatoire de la Santé sont librement téléchargeables sur www.mutualite.fr.
La médecine du travail à bout de souffle ?
L’Observatoire fait le constat d’une insuffisance de l’offre en santé au travail en pointant notamment “une démographie médicale vieillissante et inégalement répartie sur le territoire”. En effet, si au 1er janvier 2022, la France comptait encore 4 812 médecins du travail, leur âge moyen s’élevait déjà à 54,6 ans, avec plus de la moitié des médecins (56,4 %) âgés de plus de 65 ans, ce qui fait de la médecine du travail, la quatrième spécialité médicale la plus âgée de France.
De surcroît, la répartition des médecins du travail est très hétérogène sur le territoire, avec une densité variant de 2,8 médecins pour 100 000 habitants dans le Cantal à 20,4 médecins pour 100 000 habitants à Paris. Quelque 72 départements ont une densité de médecins du travail inférieure à la moyenne nationale.
Cette situation a bien sûr des répercussions sur le suivi en santé au travail puisque 61 % des salariés du secteur privé n’ont pas bénéficié d’une visite avec un service de médecine du travail au cours de l’année. Plus inquiétant : “Les visites au cours des deux dernières années sont également moins fréquentes parmi les salariés exposés à des contraintes physiques (charges lourdes, exposition à la fumée, exposition aux produits dangereux, travail de nuit). Même les salariés ayant déjà subi un accident du travail ont connu une baisse de leur suivi médical de 13 % entre 2005 et 2019.”
Afin de pallier ces lacunes, l’Observatoire fait un certain nombre de propositions visant à “assurer de manière effective pour tous les salariés les visites médicales en santé au travail obligatoires”. Il suggère notamment de “renforcer les opportunités de conventionnements et la complémentarité de compétences entre les services de prévention et santé au travail (SPST) et les structures de soins et d’accompagnement mutualistes (SSAM).” Toutefois, comme cette solution implique probablement de faire évoluer le cadre législatif et réglementaire, il y a peu de chance qu’elle voit le jour à brève échéance.