Rapport au travail : retour à l’ancien modèle ?

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Publiée le 13 février 2025 par la Fondation Jean-Jaurès, l’étude « Rapport au
travail : vers une contre-révolution ? », de Romain Bendavid, expert associé à la
Fondation, fait le point sur l’état du monde du travail dans l’après Covid.

.

Au cours des cinq dernières années
le rapport au travail a fortement
évolué, les salariés ayant exprimé
des besoins de concilier plus radicalement
vie professionnelle et vie personnelle. Toutefois,
dans un contexte de forte instabilité
géopolitique, face à une conjoncture économique
dégradée, Romain Bendavid observe
qu’il y a une volonté plus ou moins
consciente d’amorcer un retour en arrière
par rapport à la période de grande transformation
post-covid, soit à partir de 2020.
« Pendant les périodes de confinement, les
interactions sociales ont diminué et beaucoup
de personnes sont entrées dans une
démarche d’introspection, réfléchissant sur
le sens de leur vie et de leur travail. Il en est
ressorti une volonté affirmée, pour certains,
d’être davantage acteur de leur vie personnelle
mais aussi professionnelle et donc de
faire des choix forts pour leur avenir. »
Dans un contexte de difficulté de recrutement
et de tensions parfois, selon les
secteurs, les employeurs ont dû s’adapter.
Mais aujourd’hui la conjoncture s’est
quelque peu retournée. Le rapport de force
est moins favorable aux salariés et les entreprises
sont tentées d’initier un retour
vers des pratiques plus traditionnelles.

L’amorce d’un rétropédalage

En échangeant avec les entrepreneurs et
autres acteurs du monde du travail, l’auteur
a également perçu que cette période n’avait
pas été aussi positive qu’attendue. Dans son
étude, il cite notamment deux exemples qui
démontrent une réalité bien peu flatteuse :
le télétravail et l’absentéisme.

Dans le premier cas, de nombreuses entreprises
ont déjà pris le parti de faire revenir
les salariés sur site avec
souvent l’idée sous-entendue
que la productivité ne serait pas
suffisante. Les salariés eux-mêmes, télétravailleurs
(dont deux tiers de cadres), ont
modéré leur enthousiasme face aux inconvénients
nés d’un brusque changement d’organisation
de leur temps de travail dans ce
nouveau contexte de télétravail. Parmi ces
inconvénients, Romain Bendavid évoque
le « frein à l’acquisition d’une culture d’entreprise,
surtout pour les nouvelles recrues. Cette
organisation a également pu développer une
sensation de solitude et une difficulté à faire
reconnaître son travail par certains salariés ».
Dans le second cas, l’absentéisme stigmatiserait
une forme d’absence de complaisance.
Si l’absentéisme était quasiment stable en
2023 par rapport à l’année précédente, le

bilan est en hausse en comparaison à la période
antérieure à la crise sanitaire, de 3.9%
par an en moyenne (entre 2019 et 2023).
Or, les conséquences sont nombreuses pour
les entreprises : désorganisation, baisse de la
productivité, surplus de stress… Ces conséquences
sont particulièrement impactantes
dans les petites structures, comme les TPE,
où l’absence d’un collaborateur pèse encore
plus fortement sur le fonctionnement de
l’entreprise.

Des impacts sur la qualité de vie au travail ?

Les signaux de rétropédalage ne signifient
pas forcément qu’on va s’engouffrer dans
ce sens, selon l’auteur de l’étude. En l’état, la
tendance reste incertaine.

Mais est-ce que cela signifierait, le cas
échéant, un recul aussi sur la qualité de vie
au travail ? « Tout d’abord, cela dépend de
ce que l’on entend par ce terme, précise Romain
Bendavid. Si cela signifie d’exercer son
travail dans de bonnes conditions et donc
de mieux prendre en considération les aspirations
comme l’aménagement du temps de
travail, les entreprises n’ont pas forcément ni
la nécessité ni la volonté de revenir en arrière
pour une raison simple : un salarié épanoui
dans son travail, du fait de conditions favorables,
est plus productif. » Les entreprises
peuvent donc aussi profiter de la situation,
dès lors que ces aménagements et autres
évolutions d’organisation ne sont pas juste
des gadgets mis en place pour attirer de
nouveaux collaborateurs mais que l’entreprise
elle-même y trouve son compte, en
stabilisant notamment sa main d’œuvre.
De plus, tous les secteurs d’activité ne sont
pas égaux à l’évocation du rapport au travail.
Des secteurs, tels que ceux de l’hôtellerie,
de la Tech ou de la santé restent sous
tension avec de forts enjeux d’attractivité.
Plus généralement, se référant au dernier
Baromètre prévoyance publié par le CTIP,
le Centre technique des institutions de prévoyance
(éd.2023), l’auteur note que « près
des trois quarts des dirigeants jugent important
de développer des actions de santé et de
prévoyance dans leur entreprise ».


S’assurer de l’engagement des salariés

Comment renforcer l’engagement des salariés
avec leur employeur, dans cette période
d’instabilité pour les entreprises ? Romain
Bendavid constate d’abord que les critères
établis d’adhésion aux valeurs de l’entreprise
ou de promesses d’évolution hiérarchique
ne sont plus essentiels. Il propose ainsi trois
pistes plus en phase avec l’évolution du rapport
au travail :
En premier lieu, « l’organisation managériale
française reste très verticale. Les salariés
sont trop peu associés aux prises de décision
dans l’entreprise il y a une obsession pour le
contrôle et l’idée que sans contrôle, le travail
est mal fait. Il y a donc sans doute là, la nécessité
d’impliquer davantage les salariés,
c’est tout l’enjeu de la reconnaissance et de
la question de confiance », précise l’auteur.
Autre piste de réflexion, la question de la
redécouverte du rapport au temps. « Il est
nécessaire de sortir de la dictature de l’urgence
». Exemple parmi d’autres, un employeur
qui accorde du temps à un salarié
de se former dans d’autres domaines, ou
tâches, différents de ceux liés à son activité
principale tout en étant compatibles avec
l’activité de l’entreprise ou des missions
transversales, cela peut changer le rapport
du salarié avec son entreprise et favoriser
sa fidélité et son engagement sur un temps
plus long, au-delà d’une éventuelle baisse
de productivité à très court terme durant
le temps imparti à la formation. Enfin, l’entreprise
est considérée comme une des dernières
structures à créer du lien, à préserver
un sens collectif. Ainsi, « dans la société actuelle
où on constate une perte très forte de
confiance envers les institutions, l’entreprise
reste un point de référence et de valeurs communes
sur bien des points : égalité femmes/
hommes, insertion de personnes handicapées,
enjeu environnemental… ».


Dès lors, le mouvement aspirationnel profond
qui s’est accéléré chez les actifs après
la crise sanitaire n’est pas incompatible avec
l’objectif de productivité des entreprises
quand bien même cette compatibilité s’appuie
sur un changement de paradigme
dans le rapport au travail.


Stéphane Chabrier

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