Microscopiques, les nanomatériaux améliorent les propriétés de produits ou d’objets manufacturés dans lesquels ils sont incorporés. Cependant, leur manipulation n’est pas sans risque pour la santé. Tout l’enjeu pour les employeurs consiste à les identifier pour prendre les mesures indispensables à la protection de leurs salariés.
Ciments, enduits, peintures, revêtements, vêtements ou même dentifrices… En l’espace d’une dizaine d’années, les nanomatériaux ont pris une place incontournable dans notre environnement quotidien et particulièrement au travail.
D’un point de vue technique, ces particules se caractérisent par leur taille, comprise entre 1 et 100 nanomètres (nm), qui les rend invisibles à l’œil nu. Elles sont 50 000 fois plus fines qu’un cheveu humain. Cette échelle microscopique est leur atout. Elle permet aux industriels d’encapsuler dans des produits parfois banals des particules qui les rendent innovants. Ainsi, un vêtement de travail contenant des nanoparticules d’argent acquiert des propriétés bactéricides, sans traitement supplémentaire ni entretien. Une perspective séduisante pour les employeurs en période de Covid-19 mais qui ne serait pas sans risque à l’usage.
Une priorité du Plan national santé environnement
Pour les scientifiques, un doute subsiste en effet quant à la capacité de ces nanomatériaux à être absorbés par notre organisme (au contact de la peau ou par les voies respiratoires). Même incertitude concernant les effets pour la santé, une fois ces particules dans notre organisme. “Leur taille est un élément de toxicité mais c’est le cas également de leur composition chimique et de leur morphologie qui peut être en forme de fibre ou de sphère”, résume Myriam Ricaud, expert d’assistance conseil au sein de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) qui possède un laboratoire dédié à l’étude de ce risque.
Trente ans après le scandale de l’amiante, la communauté scientifique comme les pouvoirs publics se montrent prudents à l’égard de tout ce qui peut ressembler à un produit miraculeux. Adopté en début d’année 2021, le Plan national santé environnement (PNSE 4) classe les nanomatériaux parmi “les expositions jugées prioritaires”. Le plan y consacre une mesure entière (action n°13), avec l’objectif de “mieux gérer les risques sanitaires et environnementaux des nanomatériaux”. Parmi les axes de travail, les conséquences des risques et l’accès aux données devront être approfondis d’ici 2025, à l’échéance du PNSE 4.
Une documentation encore défaillante
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les nanomatériaux demeurent quasi invisibles “administrativement”. Impossible en effet pour un chef d’entreprise de trouver auprès des services de santé au travail ou des pouvoirs publics une liste des produits contenant des nanomatériaux. L’obligation faite aux industriels qui les produisent de les déclarer dans une base de données de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ne s’applique que depuis janvier 2013. Or, quelque 400 000 tonnes de ces produits sont mises sur le marché chaque année. Ce registre, baptisé R-Nano, demeure inaccessible au grand public. Seuls des chercheurs et des organismes reconnus, tels que l’INRS, l’INERIS ou Santé publique France, peuvent en demander une extraction, à condition que leur demande soit ciblée et dûment motivée. Les seules informations accessibles filtrent au travers du rapport annuel que l’ANSES consacre à R-Nano. La dernière édition, publiée en novembre 2020 (disponible sur anses.fr), révèle des failles dans ce processus déclaratif. Le recueil de certaines données n’est pas obligatoire et d’autres sont renseignées de manière imparfaite. Quant à la classification européenne des substances cancérogènes, qui est publique, elle n’aidera pas beaucoup les entreprises car elle comprend, à ce jour, trois nanomatériaux : les nanotubes de carbone, la silice amorphe et le dioxyde de titane. Depuis le 1er octobre 2021, ce dernier a été suffisamment étudié pour être classé par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) en catégorie 2 (celle des substances préoccupantes pour l’homme), en raison d’effets cancérogènes possibles. Les autorités ont en effet cerné un risque d’inhalation d’autant plus élevé lorsque ce dioxyde est dispersé sous forme de poussières.
Identifier les produits suspects
“Les grands groupes savent identifier les nanomatériaux mais les TPE-PME ont de grandes difficultés”, observe Myriam Ricaud qui propose depuis 2009 un stage de trois jours à destination des préventeurs d’entreprises. Contrairement aux autres substances à risque, il n’existe aucun pictogramme pour identifier sur l’emballage d’un produit la présence de nanomatériaux. Jusqu’au 1er janvier 2020, leur mention n’était même pas obligatoire sur la Fiche de données de sécurité (FDS) que le fabricant est tenu de fournir conformément à la réglementation européenne REACH(1). Cette évolution représente un progrès mais qui ne suffit pas, reconnaît la scientifique : “Les FDS sont parfois mal rédigées, succinctes, et certaines informations sont manquantes. En outre, de nombreuses FDS sont incomplètes faute de mise à jour.” Dans ces conditions, les entreprises doivent faire preuve de curiosité et parfois de flair pour savoir s’il existe un risque d’exposition de leurs salariés aux nanomatériaux. La première précaution consiste à lire la composition d’un produit avant utilisation. Les fabricants indiquent parfois la présence de nanomatériaux. Dans le cas contraire, la sécurité relève davantage d’un tâtonnement.
“Attention aux produits qui ont des propriétés atypiques, par exemple fluorescentes ou antibactériennes. Ils contiennent souvent des nanomatériaux”, met en garde Myriam Ricaud. Tel est notamment le cas des bétons auto-nettoyants ou encore des masques désinfectants dont l’offre s’est développée durant la pandémie. Ils sont porteurs de nanoparticules d’argent ou de graphène qui sont toxiques. “Il faut mettre en balance les bénéfices et les risques de tels produits”, insiste la scientifique.
L’INRS édite également un guide (2) pour aider les employeurs à détecter les nanomatériaux, avec des fiches propres à chaque secteur d’activité. À défaut, il est possible de prendre conseil auprès de la médecine du travail et de la Carsat dont les personnels ont été formés aux nanomatériaux. Comme le martèle Myriam Ricaud : “Dans tous les cas, il ne faut pas attendre d’avoir toutes les informations pour agir.”
Jean-Philippe Arrouet
(1) En français : enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances.
(2) “Aide au repérage des nanomatériaux en entreprise” (ED 6174), téléchargeable sur www.inrs.fr.
En pratique : des protections collectives et individuelles
La protection des salariés contre les nanomatériaux passe d’abord par des mesures collectives telles que des systèmes d’aspiration et de filtration qui capteront ces émissions à la source. Les salariés exposés devront travailler avec des vêtements de travail couvrants, porter des gants et un masque avec filtre aérosol de classe 3. Ces EPI sont suffisants même pour les nanomatériaux les plus petits car les scientifiques ont découvert qu’ils sont soumis des mouvements browniens qui tendent à les emprisonner par paquets. Quant aux locaux de travail, les sols feront l’objet d’un nettoyage humide ou au moyen d’un aspirateur doté d’un filtre absolu. Des poubelles seront dédiées à ces déchets et pourvues de deux sacs. Enfin, l’employeur devra tracer l’exposition aux nanomatériaux en notant les salariés concernés, les opérations effectuées et les quantités utilisées.