Après plusieurs mois de négociations et de discussions, la loi 2021-1018 “pour renforcer la prévention en santé au travail” a été promulguée le 3 août 2021. Elle représente avant tout une consécration du document unique comme outil de pilotage de la prévention des risques.
Sa principale innovation est d’introduire l’obligation, pour les entreprises, de conserver pendant au moins 40 ans les versions successives de leur DUER afin de “garantir une traçabilité collective des expositions aux risques”. Toutefois, comme l’avait souligné Sophie Fantoni Quinton, conseillère au secrétariat d’État chargé des retraites et de la santé au travail, cette mesure permettra aussi de retracer “la démarche continue de prévention de l’entreprise” et “les progrès qu’elle a réalisés” (1). En s’inscrivant dans la durée, le document unique est ainsi hissé du niveau tactique au niveau stratégique. Il devient le tableau de bord mais aussi la “boîte noire” des actions de prévention mise en œuvre par l’entreprise tout au long de son existence.
Ce changement n’est pas de pure forme. En effet, en cas de contrôle par la DREETS, il faudra désormais que l’entreprise soit en mesure de présenter les mises à jour successives du DUER. Et cela sera encore plus sensible en cas de mise en cause devant la justice de l’obligation de sécurité qui incombe à l’employeur, les différentes versions du DUER devenant alors des pièces à conviction.
À plus long terme, on peut imaginer que la conservation des DUER aura aussi un impact sur la valeur d’une entreprise au moment de sa cession. Conscient que les lacunes en matière de sécurité peuvent avoir des effets différés (certaines maladies professionnelles se déclarant avec retard), tout repreneur souhaitera, lui aussi, vérifier “la traçabilité de la démarche continue de prévention de l’entreprise” lors de la négociation. Et il le fera avec d’autant plus d’attention que, comme le montre une récente jurisprudence de la Cour de cassation, le droit français évolue dans le sens d’une transmission de la responsabilité pénale de l’entreprise absorbée à l’entreprise absorbante (2).
De façon globale, cette conservation de longue durée du DUER pourrait ainsi déboucher, pour les entreprises, sur une sorte “d’ obligation de progrès continu” en matière de prévention, dont le DUER serait à la fois l’instrument et la preuve.
François Sidos
Président du Groupe Pôle Prévention
(1) Travail & Sécurité, n°826, mai 2021. (2) Arrêt n° 2333 du 25 novembre 2020.