IA, robotique et numérique : une nouvelle donne pour la sécurité au travail

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Difficile d’échapper au numérique et à l’intelligence artificielle, y compris sur les lieux de travail.
Ils apportent des progrès pour la sécurité et la productivité mais ils s’avèrent également
porteurs de risques. Une étude de l’Organisation internationale du travail explique ce à quoi les
entreprises doivent s’attendre.

.

Ce n’est pas un hasard si l’Organisation
internationale du travail (OIT)
a consacré sa Journée mondiale de la
sécurité et de la santé au travail, le 28 avril
dernier, à l’intelligence artificielle et à la numérisation
au travail. Ces avancées technologiques
apparaissent majeures et surtout,
contrairement aux précédentes révolutions
industrielles, elles ne concernent pas que
les grandes entreprises. Leur accessibilité
pratique et financière les met à la portée
des TPE-PME. La plupart de ces technologies
ont d’ailleurs déjà pris leur place dans
la vie personnelle des employeurs comme
des salariés, via leur smartphone. Mais ce
qui peut relever du gadget avec des conséquences
bénignes dans le cas d’une utilisation
personnelle peut avoir des conséquences
plus sérieuses dans le cadre d’une
utilisation professionnelle.


« Des millions d’emplois vont changer et
des millions vont également être améliorés
grâce à une bonne utilisation de la technologie
», avertit Manal Azzi, chef d’équipe à la direction de la sécurité et de la santé au
travail et de l’environnement de travail de
l’OIT. La question qui se pose désormais à
toute entreprise est celle de l’appropriation
de ces technologies. L’enjeu consiste désormais
à « travailler notamment sur les effets
du stress, la fatigue numérique pour les travailleurs
et les risques si ces solutions ne sont
pas utilisées correctement », met en garde
Joaquim Pintado Nunes, chef de service à
la direction de la sécurité et de la santé au
travail et de l’environnement de travail de
l’OIT.


La robotique allège les tâches d’exécution


L’un des progrès les plus spectaculaires
concerne l’irruption de la robotique
dans les entreprises avec des produits accessibles
financièrement et capables de
s’adapter à des environnements de travail
très différents. Cette utilité s’est d’abord
avérée dans le cadre des métiers les plus
dangereux. Le robot évite d’exposer inutilement un travailleur à des risques pour
sa santé et sa sécurité. La machine peut en
effet se confronter sans crainte à des environnements
pollués, radioactifs, bruyants,
à des températures extrêmes… Ainsi,
l’utilisation de drones permet d’explorer
des points à l’accès périlleux. Les robots
peuvent également s’insinuer dans des environnements
confinés.


Dans un rapport (1) dévoilé lors de cette
journée mondiale, l’OIT souligne également
l’intérêt de ces technologies pour la
formation continue ou initiale et l’entraînement
des travailleurs. Il devient possible de
reproduire des scénarios facilement et sans
risque, notamment dans des activités sensibles.
Plus largement, l’ensemble des entreprises
peut espérer une réduction de la
pénibilité au travail par un allégement des
efforts les plus intenses ou stressants, par la
limitation des mouvements répétitifs, par
l’évitement des mauvaises postures…


C’est sans doute ce qui explique la diffusion
considérable des exosquelettes dans les métiers comportant des séquences de manutention. Selon l’OIT, ils réduisent notamment l’activité et la fatigue musculaire des jambes (de 63%) et du dos (de 53%), ce qui contribue à éviter des blessures. La robotisation ne concerne pas que les métiers manuels puisqu’elle s’insinue également dans les services où elle réduit le stress.


Tel est le cas des chatbots, ces programmes informatiques capables d’apporter automatiquement des réponses de premier niveau à des clients ou à des consommateurs, ce qui soulage les travailleurs d’une masse de demandes en leur permettant de se concentrer sur celles à plus haute valeur ajoutée. Il s’agit de « donner plus de sens au travail en renforçant l’apprentissage, les compétences, le pouvoir des travailleurs », note le rapport de l’OIT.


Des progrès à double tranchant


Cependant, ces avancées suscitent des risques supplémentaires. Ainsi, les exosquelettes ne rendent les services attendus que s’ils sont correctement paramétrés et entretenus. Ils peuvent aussi avoir des défaillances mécaniques ou susciter des conflits d’ergonomie lorsque l’utilisateur est obligé de s’adapter pour corriger des mouvements de l’exosquelette qu’il juge inadaptés, imprécis ou inconfortables. En outre, on découvre les contraintes de tels équipements : échauffement de la chaleur corporelle de l’utilisateur, frottements, vibrations, bruit mais aussi limitation de la capacité à réagir à une situation inattendue.


Quant à l’intelligence artificielle (IA), elle peut mal interpréter une situation avec un risque d’erreur voire de blessure. En outre, travailler avec un robot commandé par l’intelligence artificielle signifie abdiquer une partie du contrôle humain et de la capacité de décision. Il peut ainsi apparaître « un épuisement émotionnel, une irritabilité, une perte de sens du travail », met en garde le rapport. Par ailleurs, l’IA et la robotisation aident les travailleurs mais ils peuvent aussi les pénaliser si l’employeur les utilise pour renforcer le contrôle interne, augmenter les cadences ou la productivité.


L’IA détecte mieux les dangers

Associée à des capteurs, l’IA peut surveiller des niveaux de bruit, de qualité de l’air, de temps de travail, de posture et de position (par exemple pour détecter une chute), voire les constantes physiologiques d’un salarié. Une avancée dans la protection des travailleurs isolés ou exposés à des risques. Par ailleurs, l’IA peut élaborer des scénarios prédictifs pour améliorer les conditions de sécurité et de maintenance des équipements et limiter les risques d’incidents. Elle peut également proposer des scénarios d’entraînement ciblés. L’OIT a relevé des premières applications pour la formation des travailleurs intérimaires qui ont généralement plus d’accidents que les autres. Enfin, l’IA devient capable d’assister les collaborateurs dans l’exécution de leurs tâches ou pour répondre à leurs interrogations.


Cette avancée se combine avec une révolution des équipements de protection individuelle (EPI) devenus « intelligents ». Désormais, les casques, les gants ou encore les lunettes de sécurité peuvent intégrer des capteurs et de l’IA pour collecter de l’information au plus près du travailleur et lui renvoyer des avertissements afin d’améliorer sa protection. Par exemple, un EPI sera capable de détecter une chute de hauteur sur un chantier, la présence d’un gaz toxique dans un environnement souterrain, un niveau d’empoussièrement, une chaleur ou une hypothermie excessive… Certains casques anti-bruit mesurent les décibels et calculent des durées d’exposition pour éviter des séquences sonores trop prolongées. En effet, le port d’un casque atténue mais ne supprime pas la nuisance. C’est pourquoi ces nouveaux EPI ont « réduit de moitié l’exposition au bruit », se félicite l’OIT.


Cependant, ces progrès ne doivent pas occulter la responsabilité de l’employeur : les EPI intelligents peuvent anticiper, mieux que jamais, des dangers mais ils n’en traitent pas la cause. Il revient toujours à l’entreprise d’analyser la situation et de rendre l’environnement de travail plus sûr.


Par ailleurs, l’OIT s’inquiète d’une possibilité « d’encourager involontairement la tolérance au risque », de la part de salariés qui se sentiraient mieux protégés. Là encore, l’intelligence artificielle n’atténue pas la responsabilité de l’employeur, prévue par le Code du travail, d’analyser ses risques et de prendre les décisions qui s’imposent, quitte à modifier l’organisation du travail. Et cela, aucun robot ni intelligence artificielle ne peut le faire à sa place, du moins pas encore.


Jean-Philippe Arrouet


(1) « Révolutionner la santé et la sécurité : le rôle de l’IA et de la numérisation au travail », rapport librement consultable sur www.ilo.org.

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