La question environnementale a généré une multitude de nouvelles activités professionnelles, voire de nouveaux modes de travail, qui s’accompagnent, hélas, de risques spécifiques. Ces derniers touchent aussi bien à la sécurité qu’à la santé des travailleurs concernés et il est important de les appréhender dans le même temps que se déploient les technologies vertes.
Comment maîtriser l’impact des technologies vertes sur la santé et la sécurité ? La réflexion ne date pas d’hier. En 2012 déjà, l’Organisation internationale du travail (OIT) décide de consacrer la Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail à promouvoir ces deux enjeux dans le cadre d’une économie verte. Directeur du programme Safework pour l’OIT, Seiji Machida déclare alors : “La transition vers une économie verte implique l’établissement de normes plus élevées en matière de protection de l’environnement et dans le même temps l’intégration de la sécurité et de la santé des travailleurs en tant qu’élément essentiel de la stratégie.”
À l’échelle nationale, un réseau d’experts nommé Réseau 31 (parce qu’il regroupe 31 établissements intervenant dans le domaine de la santé publique), constitué sous l’égide de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ouvre, dès 2013, un chantier de prospective portant sur l’évaluation de l’impact sanitaire des technologies vertes sur les travailleurs, et l’ensemble de la population, à horizon 2030.
Pas sans maîtrise des risques !
Mais pour savoir de quoi on parle, il est nécessaire de définir les technologies vertes. Dans ses travaux de réflexion, le Réseau 31 a retenu la définition du Ministère en charge de l’Environnement qui stipule : “Les technologies vertes mesurent, préviennent, limitent ou corrigent les dommages environnementaux à l’eau, l’air et le sol et les problèmes liés aux déchets et aux écosystèmes.” Parmi celles-ci, il identifie notamment des environnements ou des activités favorables au recours des technologies vertes, tels que : les énergies renouvelables, la dépollution des sols et des eaux, le traitement de l’air et du bruit, le recyclage et la valorisation des déchets, la prolongation de la durée de vie des produits et plus globalement la lutte contre le gaspillage.
Le mouvement mondial vers une économie verte est lui-même induit par le changement climatique, facteur essentiel de transformation du monde du travail. Dans son rapport “La sécurité et la santé au cœur de l’avenir du travail”, publié en avril 2019, le Bureau international du travail (BIT) précise que “l’environnement naturel définit le monde dans lequel nous vivons et travaillons. Alors qu’il change et se dégrade, et que des efforts sont faits pour assurer sa durabilité, cela a inévitablement des conséquences sur la sécurité et la santé au travail.”
Dès lors, ce mouvement a pour effet la transformation voire la création de nouvelles activités professionnelles. Si vertueuses qu’elles soient, ces activités ne peuvent pas et ne doivent pas faire l’économie d’une évaluation de la gestion des risques. Le danger serait de les sous-estimer voire de ne pas être capable d’identifier des risques émergents alertait le BIT, dès 2012.
Des métiers face à de nouveaux risques
Écologiques ou non, les risques d’accidents ou de maladies sont inhérents au travail et à l’activité des travailleurs. Les risques classiques demeurent, en particulier dans les activités liées aux énergies renouvelables. Ils concernent : la manipulation d’outils, les chutes ou les déplacements, mais aussi le port de charges ou le contact avec des produits dangereux. Dans le cadre de l’énergie solaire, par exemple, le rapport du BIT “Promouvoir la sécurité et la santé dans une économie verte” évoque des risques assimilés à ceux rencontrés pour la construction des habitations.
Toutefois, le travail est nouveau pour certains corps de métiers, comme les plombiers et les électriciens, qui n’étaient pas préparés au travail en hauteur. Pour les travaux d’installation des panneaux ou des chauffe-eau solaires sur les toits, et les opérations d’entretien, il faut donc sensibiliser et former les salariés de ces secteurs aux risques créés par ces nouvelles activités. Il en va de même dans l’activité de production d’énergie éolienne : chutes, troubles musculosquelettiques… Les efforts et l’inconfort des positions de travail dans l’espace confiné d’une éolienne sont générateurs de risques physiques auxquels s’ajoutent des risques d’électrocution et de lésions liées au fonctionnement des systèmes mécanisés..
On peut donc estimer que l’expérience acquise dans certains secteurs d’activité face à des dangers physiques dits classiques est, ou sera, extrêmement utile pour les travailleurs issus d’autres domaines d’activité dont les dangers originels étaient jusqu’ici bien différents. Une information voire une formation adaptée est donc indispensable aux différents intervenants, selon leur domaine de compétence.
Exposition à des risques “invisibles”
Outre les risques physiques, les technologies vertes peuvent générer un danger plus insidieux : l’exposition aux substances avérées toxiques ou supposées l’être. Jusqu’à présent, selon les experts, le suivi des travailleurs est “favorisé par la relative concentration des expositions potentiellement les plus préoccupantes dans les grosses structures de production” (1). Or, pour certains produits toxiques (amiantes, hydrocarbures aromatiques, silice, solvants…), la dissémination pose problème dans des activités, comme le second œuvre du bâtiment, “où le suivi et la gestion des expositions sont plus difficiles”. Se pose dès lors la question de l’exposition à ces dangers parfois invisibles dans le cadre de nouvelles activités et dans un modèle plus diffus de production.
Ainsi, le BIT recense des risques d’exposition à toutes les étapes du cycle de vie des technologies vertes, dans les activités du recyclage (exposition aux métaux lourds, agents biologiques…) ou de la fabrication d’ampoule (empoisonnement au mercure). Les secteurs des éoliennes (résines époxy, styrène, solvants, poussières de fibres de verre ou de carbone…) et de l’industrie de l’énergie solaire (tellurure de cadmium et arséniure de gallium) sont aussi concernés. Dans ce dernier cas, la veille sur les risques liés à cette nouvelle industrie doit débuter dès la fabrication des cellules photovoltaïques qui nécessite plus d’une quinzaine de matériaux dangereux, notamment des agents de nettoyage potentiellement toxiques.
Par ailleurs, le déploiement d’activités vertes ne signifie pas toujours pour le travailleur une réduction des dangers d’exposition. Ainsi, “le remplacement des peintures à base de solvants par des peintures à base d’eau suppose l’ajout de biocides, et celui des hydrochlorofluocarbones par des chlorofluorocarbones augmente le risque d’exposition à des substances cancérigènes”, et plus globalement les risques d’incendie.
Nouvelles technologies, nouveaux modes de travail ou nouveaux produits… Si vertueux soient-ils, les métiers générés par l’économie verte peuvent exposer les travailleurs à de nouveaux risques. Ils ne pourront donc pas faire l’économie d’un suivi sanitaire des travailleurs.
Stéphane Chabrier
(1) Hygiène et sécurité au travail, n° 236, INRS, septembre 2014