Pour le chef d’entreprise, la responsabilité pénale du dirigeant constitue un risque réel, en particulier dans le secteur d’activité du transport routier, notamment dans le cadre d’infractions à la réglementation de la part des chauffeurs. Il peut toutefois s’en exonérer.
Le Code pénal dispose que “nul n’est responsable pénalement que de son propre fait”. Toutefois, dans le cadre d’une entreprise, c’est bien le patron qui est responsable de toutes les personnes placées sous son autorité. La jurisprudence a donc posé une exception au principe d’origine en retenant que le chef d’entreprise peut être pénalement responsable pour des faits qu’il n’a pas personnellement commis, mais qui l’ont été par un salarié, préposé du chef d’entreprise, dans le cadre de ses fonctions. Les dirigeants l’ignorent encore trop souvent mais ni l’assurance responsabilité civile personnelle ni l’assurance professionnelle de l’entreprise (responsabilité civile exploitation) ne couvrent la responsabilité personnelle du dirigeant. Pour se protéger et protéger ses biens propres, il est donc conseillé au dirigeant de souscrire une garantie supplémentaire couvrant sa défense lorsqu’il est mis en cause en qualité de mandataire social.
Ainsi, qu’il s’agisse de transport pour leur propre compte ou de transport public, la responsabilité pénale du chef d’une entreprise de transport routier peut se trouver engagée à double titre :
- dans le cas de la faute positive personnelle, lorsque le chef d’entreprise donne des instructions qui vont entraîner l’exécutant à commettre une infraction,
- le chef d’entreprise peut être l’auteur d’une faute d’abstention en cas de négligence notamment lorsqu’il n’a pas “pris les dispositions nécessaires en vue d’assurer le respect de la réglementation sociale par ses préposés” (article L 3315-6 du Code des transports).
Dès lors, pour s’exonérer de sa responsabilité pénale selon ces deux griefs, le chef d’entreprise doit nécessairement en faire la preuve, comme le démontre l’affaire suivante.
Exonération de responsabilité pénale : la preuve en 3 actes
Le 28 janvier 2015, à Naintré (Vienne), Monsieur X, chauffeur poids lourds d’une entreprise, spécialisée dans le transport frigorifique, se fait arrêter par les agents de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Au cours de ce contrôle, les agents constatent plusieurs infractions à la réglementation relative au transport routier. Le procès-verbal indique que le chauffeur a :
- dépassé de plus de 20% la durée maximale de conduite continue,
- dépassé de plus de 20% la durée maximale de conduite journalière,
- pris un repos journalier inférieur à 6 heures.
Dirigeant de l’entreprise, Monsieur Z est alors poursuivi au titre de sa responsabilité pénale et condamné par la cour d’appel de Poitiers, au paiement de trois amendes de 3000 € chacune et d’une autre de 1000 €.Cette condamnation n’est pas surprenante dans la mesure où c’est au dirigeant que revient l’obligation de veiller, personnellement, à l’application des dispositions réglementaires qui régissent son activité. L’article 15 du règlement n° 3820/85 CEE du 20 décembre 1985 et l’article 3 bis de l’ordonnance n° 58-1310 du 23 décembre 1958 imposent, en effet, à l’exploitant d’une entreprise de transport de faire respecter par ses préposés la réglementation des conditions de travail dans les transports routiers.Face au ministère public qui a la charge de rapporter la preuve de l’existence des infractions à la réglementation, Monsieur Z va donc tout mettre en oeuvre pour se dégager de sa responsabilité pénale en démontrant qu’il s’était effectivement acquitté de ses obligations. Devant la Cour de cassation, le dirigeant va s’efforcer d’apporter la preuve nécessaire à l’exonération de sa responsabilité pénale. Ce n’est pas chose aisée car la preuve doit être faite selon trois niveaux consistant pour l’employeur à démontrer qu’il a :
- informé les salariés du contenu de la réglementation et leur a donné instructions de la respecter,
- organisé le travail en conséquence,
- s’est assuré du respect effectif de la réglementation par des contrôles a posteriori ou en prenant des mesures disciplinaires en cas d’infractions répétées par un chauffeur.
Informer et faire respecter la réglementation
L’employeur peut s’acquitter de l’obligation d’informer les salariés de la réglementation en utilisant les moyens de communication usuels en matière de droit du travail.
Il peut ainsi procéder par voie d’affichage, ou encore intégrer la réglementation dans une note de service à destination des chauffeurs. Une attention particulière doit être apportée à la rédaction de la note de service. De portée vague, générale et insuffisante, quant au rappel de la législation, celle-ci ne sera pas retenue comme preuve d’autant plus s’il n’est pas établi que chaque chauffeur en a eu personnellement connaissance.
Ainsi, une note de service rappelant simplement le contenu de la réglementation, ne met pas l’employeur à l’abri de voir sa responsabilité engagée.
Fort heureusement, dans notre cas, le dirigeant avait non seulement fait émarger aux salariés la note de service qu’il leur avait préalablement rédigée, mais il avait en plus pris le soin de reprendre la réglementation dans l’annexe du règlement intérieur (destiné aux chauffeurs poids lourds), le tout étant associé à leurs contrats de travail. Il pouvait donc aisément prouver devant la Cour de cassation que ces salariés étaient informés de la réglementation sociale en matière de transport routier et qu’il leur avait donné instruction de la respecter. Bien entendu, il est important que ces mesures ne puissent pas être contredites par des décisions déraisonnables du type : imposer aux chauffeurs des contraintes horaires rendant inévitables les infractions.
Organiser le travail en conséquence
Il appartient au dirigeant de s’assurer que l’organisation du travail dans l’entreprise permet effectivement le respect de la réglementation sociale.
Une surcharge ou de mauvaises conditions de travail, un nombre important d’infractions sur une courte période sont autant d’indices démontrant que l’organisation du travail des conducteurs routiers n’était pas adaptée à l’impératif du respect de la réglementation des temps de conduite et de repos. Ainsi, l’employeur doit rester vigilant quant aux conditions de travail de ses salariés. Une négligence de sa part pourrait lui être reprochée, les juges pouvant aller jusqu’à considérer qu’il a favorisé l’inobservation de la réglementation par une mauvaise organisation de travail.
L’entreprise Y n’avait toutefois pas à s’inquiéter à ce sujet car au cours des six mois précédents, seuls cinq salariés avaient fait l’objet d’une verbalisation, preuve d’une bonne qualité d’information et d’organisation du travail. Par ailleurs, la lettre de voiture produite par Monsieur Z démontrait que le chauffeur était rentré de sa propre initiative vendredi soir alors que son retour était programmé le lendemain, en fin de matinée. L’employeur a également pu produire le planning mensuel du salarié qui justifiait que toutes les missions de livraison confiées étaient compatibles avec la réglementation sociale européenne et nationale. De plus, aucune surcharge n’y apparaissait. Preuve était faite du respect de la réglementation sociale européenne (RSE), dans l’organisation du travail des chauffeurs de l’entreprise.
Contrôler pour veiller au respect de la réglementation
Il ne restait donc qu’une dernière preuve à apporter pour que Monsieur Z soit exonéré de sa responsabilité, celle du contrôle. En effet, il incombe à l’employeur de veiller personnellement à l’application de la RSE en effectuant régulièrement des contrôles à postériori.
Les mesures disciplinaires, prisent par le dirigeant à l’encontre des chauffeurs fautifs, sont un des moyens de contrôle de sa bonne foi dans cette tâche visant à faire respecter la réglementation par ses salariés.
Or en l’espèce, il se trouve que l’employeur avait sanctionné, notamment par des avertissements, les salariés auteurs d’infractions. Il pouvait donc facilement prouver qu’il avait pris les mesures nécessaires afin que celles-ci ne se reproduisent plus.
La Cour de cassation n’avait plus qu’à déterminer si au regard des pièces apportées par le dirigeant, il justifiait avoir satisfait à ses obligations prescrites par la RSE. C’est donc à juste titre qu’elle a décidé que Monsieur X s’était valablement acquitté de ses obligations, en : informant les salariés du contenu de la réglementation, donnant instruction de la respecter, organisant le travail en conséquence et enfin en s’assurant du respect effectif de la réglementation. Relaxé, le chef d’entreprise échappait au paiement d’amendes conséquentes.
La responsabilité pénale du dirigeant du fait de ses préposés n’est donc pas absolue. En cas de poursuites à son encontre et malgré les difficultés, tout employeur précautionneux et vigilant peut s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la “triple preuve”, autrement dit, en prouvant qu’il a satisfait aux obligations cumulées d’information, de vérification et de sanction, nécessaires au respect de la réglementation par ses salariés.
Tatiana Naounou
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention