Pour prévenir les risques sur les chantiers, le recours à un coordonnateur en matière de sécurité et de protection de la santé (SPS) est indispensable au maître d’ouvrage. Sa défaillance peut être préjudiciable à tous les niveaux, comme le démontre l’exemple suivant.
Les chantiers de construction font sans conteste partie de ces lieux représentant un risque pour les salariés, notamment en raison de la présence de matériaux et d’équipements dangereux. La multiplication du nombre d’intervenants peut également être un facteur de risque que doit prévenir le maître d’ouvrage. Mais quand deux entreprises interviennent de manière simultanée ou successive sur un chantier, une coordination en matière de sécurité et de protection de la santé (SPS) doit être organisée.
La loi impose en effet au maître d’ouvrage de désigner un coordonnateur SPS pour l’assister dans sa mission de prévention des risques. Mais il peut arriver que ce dernier n’exerce pas sa mission correctement. La responsabilité pénale du maître d’ouvrage peut-elle dès lors être engagée en cas d’accident de travail survenu et résultant de la mauvaise exécution de sa mission par le coordonnateur ? C’est ce que nous allons découvrir en analysant un cas réel.
Un accident qui accable le maître d’ouvrage
Sur un chantier de restructuration d’un centre commercial, réalisé dans la région de Lille, l’entreprise X, maître d’ouvrage délégué, a confié ce chantier à l’entreprise de travaux Y. Sont également intervenues deux autres entreprises sous-traitantes, que nous nommerons Z1 et Z2. En raison de la pluralité des intervenants sur le chantier, l’entreprise X, en sa qualité de maître d’ouvrage, va déléguer la coordination de la sécurité et la protection de la santé à une société tierce qui deviendra ainsi le coordonnateur SPS du chantier. Jusque-là, rien de plus normal.
Un mois après le début du chantier, alors que deux salariés de l’entreprise Z1 procèdent sur un échafaudage à la démolition d’un mur, un autre salarié de l’entreprise Z2, chargée des travaux d’électricité sur ce chantier, est victime d’un accident de travail dû à l’effondrement de ce mur. Cet accident lui occasionne une incapacité temporaire de travail de six semaines.
Comme il est d’usage en cas d’accident de travail survenu sur un chantier, une enquête est diligentée et ses résultats sont accablants pour l’entreprise X, maître d’ouvrage. Celle-ci met en évidence deux manquements graves :
- l’entreprise Y et les deux sociétés sous-traitantes Z1 et Z2, n’avaient pas reçu communication du plan général de coordination établi. Par ailleurs, elles n’avaient pas elles-mêmes rédigé de plan particulier de sécurité et de protection de la santé de leurs salariés.
- un des représentants du maître d’ouvrage, présent sur le chantier, avait confié la vérification du respect des normes de sécurité aux agents de sécurité du centre commercial non rémunérés pour cette mission et non concernés par le chantier.
L’entreprise X, maître d’ouvrage, sera donc poursuivie pénalement et citée devant le tribunal correctionnel pour blessures involontaires ayant causé une incapacité de travail inférieure à trois mois, par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence (article 222-20 du Code pénal).
Défaut coupable d’information
Pour comprendre la violation de l’obligation qui était reprochée au maître d’ouvrage, il faut revenir dans le détail à la source de cette obligation. Si le droit du travail impose à l’employeur une obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs, une obligation similaire est mise à la charge du maître d’ouvrage lorsque différentes entreprises sont amenées à cohabiter sur un chantier de bâtiment ou de génie civil (article L 4531-1 du Code du travail). C’est une obligation légale qui concerne tout donneur d’ordre.
Afin de prévenir les risques, le maître d’ouvrage assisté du coordonnateur SPS doit notamment élaborer un plan général de coordination (PGC). Ce document est établi par ce dernier dès le début de la phase de conception, à partir des éléments recueillis sur le site de la construction ou fournis par le maître d’ouvrage. Il doit être appliqué par toutes les entreprises, qu’elles soient titulaires ou sous-traitantes.
Dans la situation qui nous intéresse ici, le maître d’ouvrage avait bien désigné un coordonnateur SPS et le PGC avait bien été établi. Ce document n’avait cependant jamais été communiqué aux différents intervenants et c’est ce qui lui était reproché. Le maître d’ouvrage s’était semble-t-il désintéressé de la bonne exécution du contrat de coordination en ne s’assurant pas que le PGC, qui au demeurant fixait les obligations en matière de démolition, avait bien été transmis par le coordonnateur SPS aux différents intervenants. S’en assurer aurait peut-être permis d’éviter l’accident.
Les juges en se fondant sur l’article R4532-11 du Code du travail vont donc considérer que le maître d’ouvrage a violé de manière délibérée une obligation particulière de sécurité et de prudence à la charge de ce dernier.
Responsabilité en jeu
Résultat ? Une lourde sanction pour l’entreprise X. Elle est en effet reconnue coupable du chef de blessures involontaires et condamnée au paiement d’une amende de 20 000 € (confirmée en appel). Cette dernière décide toutefois de ne pas en rester là, et va former un pourvoi en cassation. Sa ténacité sera récompensée car la Cour de cassation décidera d’annuler la condamnation.
Dans sa décision, cette dernière rappelle que l’infraction définie à l’article 222-20 du Code pénal nécessite une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement. Or, en l’espèce, si le texte réglementaire de l’article R4532-11 alinéa 2 du Code du travail, dispose que le coordonnateur “exerce ses missions sous la responsabilité du maître d’ouvrage”, il n’édicte pas pour autant d’obligation particulière de sécurité ou de prudence à la charge du maître d’ouvrage au sens de l’article 222-20 du Code pénal.
Ainsi, en l’absence d’une obligation particulière de vérification de la transmission des règles de sécurité définies dans le plan général de coordination à l’ensemble des entreprises intervenantes, cette infraction ne pouvait être ni caractérisée ni imputée au maître d’ouvrage. En conséquence, la responsabilité pénale du maître de l’ouvrage ne pouvait pas être engagée pour défaut de vérification de la transmission du PGC aux entreprises. Il échappe dès lors à une lourde amende !
Les choses auraient certainement été très différentes si le maître d’ouvrage avait, à l’origine, omis d’organiser une coordination SPS et de désigner un coordonnateur car ce manquement aurait pu tomber sous le coup du texte des obligations réglementaires du maître d’ouvrage …
Par cet arrêt (1), la Cour de cassation rappelle le partage des rôles, et des responsabilités, entre le maître d’ouvrage et le coordonnateur en matière de coordination SPS. En effet, la responsabilité délictuelle du maître d’ouvrage peut être engagée s’il n’a pas désigné de coordonnateur SPS mais pas sur l’appréciation de la bonne ou mauvaise exécution de la mission par ce dernier. (Cette question relève de la responsabilité contractuelle entre le maître d’ouvrage et le CSPS.)
Contractualiser les obligations
Pour autant, cela ne signifie pas que le maître d’ouvrage doive se désintéresser de la bonne exécution du contrat de coordination, car les possibilités de responsabilité pénale ou civile restent nombreuses en cas : d’accident, d’inobservation des obligations du Code du travail ou de négligence. En effet, la responsabilité civile du maître d’ouvrage peut toujours être recherchée par le sous-traitant. À cet égard, ce dernier aurait tout intérêt à inclure dans le contrat de sous-traitance la transmission du PGC comme obligation essentielle. De son côté, le donneur d’ordre veillera à ce qu’une clause limitative de responsabilité figure dans ses contrats notamment dans les contrats de sous-traitance.
Pour finir, il est utile de rappeler qu’en dehors des conséquences pénales, bien exécuter son obligation de prévention des risques permet d’améliorer la productivité du chantier et d’éviter les surcoûts qu’entraînent des arrêts de chantiers ou des procédures de recherche de responsabilités.
Tatiana Naounou
Juriste TUTOR
Groupe Pôle Prévention
(1) Arrêt de chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 mars 2021