La faute inexcusable de l’employeur ne peut être recherchée quand il ne peut avoir conscience du danger auquel son salarié est exposé, quand ce dernier a un comportement totalement imprévisible et contraire à toutes les règles de sécurité malgré sa connaissance des règles et son expérience.
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Il est notoire que les activités exercées par les bûcherons sont dangereuses. Les accidents sont fréquents et peuvent être très graves, voire mortels. Un bûcheron sur cinq est victime d’un accident de travail dans le cadre de son activité professionnelle.
Conscient de la dangerosité du métier, les chefs d’entreprises intervenantes sur les chantiers forestiers doivent porter une attention particulière aux règles de sécurité et de prévention des risques en s’assurant notamment que les bûcherons soient bien formés et expérimentés.
Cependant, la maîtrise de l’activité ne suffit pas toujours pour se prémunir des risques inhérents à la profession et le bûcheron, quelle que soit son expérience ou son habilité, n’est pas à l’abri d’une erreur comme le prouve l’exemple suivant.
L’accident d’un bûcheron expérimenté
Le 28 février 2013, dans le Limousin, un bûcheron, salarié de l’entreprise X et qui compte une dizaine d’années d’ancienneté, entreprend d’abattre un chêne en présence de deux autres salariés de l’entreprise, tous deux également bûcherons professionnels.
Malheureusement le travail entrepris n’a pas l’effet escompté et l’arbre reste sur pied. Prévoyant malgré tout de forcer sa chute, le salarié commence à ébrancher et façonner un second arbre, à proximité du premier, lorsqu’une panne d’essence l’oblige à s’interrompre. Alors qu’il veut procéder au remplissage du réservoir, sans prêter attention au fait qu’il se tient en dessous du premier arbre touché, l’accident se produit. Une bourrasque déstabilise le chêne resté debout qui s’abat soudain sur le dos du bûcheron. Sous le choc, ce dernier perd connaissance. Il sera transporté d’urgence à l’hôpital par les secours.
Compte tenu de la gravité de l’accident et en relation avec les agents de l’inspection du travail, les enquêteurs ne tardent pas à s’interroger quant au respect des règles de sécurité au sein de la société de travaux forestiers dirigée par Monsieur Y, absent du chantier lorsque l’accident s’est produit.
La victime ayant perdu la mémoire à la suite de ce grave traumatisme, l’inspecteur du travail entend dans le cadre de son enquête les deux autres salariés présents sur le chantier au moment de l’accident. Néanmoins les éléments recueillis ne lui permettent ni de préciser les circonstances de l’accident, ni de relever d’éventuels manquements autres que l’absence de fiches chantier établies par l’employeur.
La faute inexcusable malgré le non-lieu ?
Au simple regard de la gravité de l’accident, l’inspecteur du travail préconise alors des poursuites pénales. Fort heureusement pour l’employeur, celles-ci aboutiront à une ordonnance de non-lieu rendue le 26 décembre 2016 par le juge d’instruction.
En effet, les investigations menées par les gendarmes ne révèlent aucun manquement aux règles de sécurité : une trousse à pharmacie se trouvait à proximité du chantier, les périmètres de sécurité prévus pour ce type d’opération étaient respectés, les salariés présents sur le chantier portaient tous des équipements de protection individuelle, l’un d’eux ayant reçu une formation aux premiers secours était même intervenu auprès de la victime. L’enquête de la gendarmerie révèle par ailleurs que la coupe de l’arbre a été réalisée dans les règles de l’art mais que la présence de vent a pu favoriser la chute de l’arbre déjà instable. Enfin, les conclusions de l’enquête relèvent que l’accident résulte d’une erreur d’appréciation de la victime, laquelle s’était placée elle-même en situation de danger, malgré ses dix ans d’expérience en tant que bûcheron. Fort de toutes ces constatations, le juge a conclu que la responsabilité pénale de l’employeur ne pouvait pas être engagée.
Mais les ennuis ne vont pas pour autant s’arrêter pour ce dernier. Car le salarié accidenté intente à ce moment-là une action en justice dans le but de voir reconnaître son accident comme étant lié à une faute inexcusable de son employeur. À ce titre, il réclame une indemnité de 50 000 €. Le non-lieu décidé par le juge n’a pas, en effet, pour conséquence d’empêcher que soit reconnue l’existence d’une faute inexcusable commise par l’employeur. Rappelons que l’employeur commet une faute inexcusable lorsqu’il a ou devrait avoir conscience du danger auquel est exposé le salarié et qu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour l’en préserver. Le manquement de l’employeur à cette obligation de sécurité constitue la faute inexcusable.
Le manque de formation n’induit pas la faute inexcusable
Dans le cas rapporté, il était donc question dans un premier temps de savoir si le salarié avait été dûment formé, étant observé que les travaux en question nécessitaient des compétences techniques et un mode opératoire adapté. Pour mémoire, l’article L 4141-2 du Code du travail précise que l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de formation destinée notamment à prévenir les risques inhérents à leur activité.
Or, il s’avère qu’aucune formation n’avait été spécialement dispensée par l’employeur à ses salariés, dont la victime de l’accident. Cependant, les juges de la cour d’appel de Limoges précisent que l’absence de formation pour un salarié employé et titulaire d’un contrat à durée indéterminée ne permet pas à elle seule de caractériser une faute inexcusable. En effet, l’employeur est tenu d’assurer la formation à la sécurité de ses salariés chaque fois que cela est nécessaire. Or dans le cas d’espèce il est patent que le salarié disposait d’une solide expérience dans le bûcheronnage avant d’être embauché dans l’entreprise X. De surcroît, il ressort des déclarations des autres salariés de l’entreprise et des témoins que les travaux de bûcheronnage étaient effectués dans le respect des règles de sécurité et que l’ensemble des salariés, y compris la victime, connaissaient et respectaient ces règles. Ceux-ci, entendus dans le cadre de la procédure pénale, ont indiqué en outre que l’employeur leur rappelait régulièrement l’importance du respect de ces règles de sécurité. Les juges ont donc estimé que le fait que ce dernier n’ait pas fait suivre à ses salariés de formation à la sécurité ne présume pas qu’il ait commis une faute inexcusable qui aurait causé l’accident.
Comportement imprévisible du salarié
Dans un second temps, il était question de savoir si l’employeur avait bien respecté son obligation de prévention des risques. Avait-il pris toutes les mesures de prévention adaptées, en ayant notamment informé ses salariés des risques inhérents à leur activité ? Cette information passe par l’établissement d’un document identifiant les différents risques auxquels ils sont confrontés.
En l’espèce, le salarié souhaitait faire prévaloir devant les juges deux manquements de l’employeur à la réglementation liée à la documentation dont devait disposer l’entreprise sur le thème de la prévention des risques :
– Il reprochait d’une part à l’employeur de ne pas avoir prévu le risque de chute d’un arbre déjà coupé dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Or, la mention de “chute d’arbre” apparaissait bien dans le DUERP, au titre des risques liés aux effondrements et chute d’objets ainsi que les moyens de prévention adaptés. Mais, de leur côté, les juges relèvent surtout qu’en passant sous un arbre qu’il venait de scier, le salarié n’avait pas respecté le mode opératoire qu’il devait suivre et dont il avait pleinement conscience et qu’il s’agissait là de la cause unique de l’accident. Par conséquent, il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir prévu le risque de chute d’arbre déjà coupé quand le danger est venu du comportement totalement imprévisible du salarié. Les juges ont ainsi estimé que le DUERP était complet et conforme aux dispositions des articles L4121-3 et R4121-1 du Code du travail.
– Il reprochait d’autre part à l’employeur l’absence d’établissement de fiches de chantier identifiant les risques propres conformément à l’article R717-78-1 et R717-78-3 du Code rural et de la pêche maritime. En réponse, l’employeur a indiqué qu’il n’était pas tenu de les établir, l’article R717-78-1 prévoyant cette obligation uniquement pour le donneur d’ordre. Les juges de la cour d’appel de Limoges vont encore une fois suivre l’argumentation de l’employeur en rappelant que si les dispositions des articles R717-78-1 et R717-78-3 du Code rural et forestier dans leur version en vigueur à la date de l’accident de travail faisaient obligation au donneur d’ordre d’établir les fiches de chantier, l’employeur pouvait éventuellement les compléter mais n’était pas tenu de remplir cette obligation en cas de carence du donneur d’ordre. Les juges ont en outre noté que même en l’absence de fiche de chantier, l’employeur se rendait régulièrement sur les chantiers pour s’assurer du respect des règles de sécurité, ce qui a été corroboré par les salariés qui ont indiqué lors de leur audition pénale que l’entreprise X fournissait les équipements nécessaires qui sont portés par les salariés sur chaque chantier et qu’il arrivait souvent à l’employeur de venir le vérifier à l’improviste. Ils ont précisé qu’il donnait également des consignes oralement, avant chaque chantier. Enfin, les juges ont souligné qu’une fois l’employeur informé de l’accident par les collègues présents sur le chantier, il a rapidement alerté le donneur d’ordre qui a appelé les secours. Ces derniers sont intervenus en trente minutes, ce qui a permis une prise en charge médicale rapide du salarié accidenté.
Travail forestier : un état d’alerte permanent
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité ni commis une faute inexcusable. Le salarié a donc échoué à démontrer que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il est donc débouté le 9 octobre 2018, par la cour d’appel de Limoges, de sa demande de reconnaissance d’une faute inexcusable. Tenace, il tentera de faire rejuger l’affaire en formant un pourvoi en cassation, lequel sera rejeté par la Cour de cassation, les juges de la haute juridiction validant la décision de la cour d’appel.
Ce fut un grand soulagement pour l’employeur dont la proactivité avait permis d’échapper à une condamnation au pénal et au civil malgré l’absence de formation et de fiche chantier.
Cette affaire souligne combien le travail dans le milieu de l’exploitation forestière peut être particulièrement dangereux et que la sécurité doit être maximale. Les dangers peuvent néanmoins être
réduits pour autant que tous les participants, du donneur d’ordre au salarié exécutant, soient conscients des risques encourus et adoptent les bons réflexes de sécurité. Les salariés doivent avoir reçu une formation spécifique et posséder les compétences nécessaires pour décider d’un abattage ou de la manière de s’y prendre. En l’espèce, les absences de formation et de fiche de chantier auraient pu être préjudiciables pour l’employeur si le salarié ne disposait pas d’une solide expérience dans l’activité de bûcheronnage. C’est pourquoi il est important pour le dirigeant d’exploitation forestière de ne jamais négliger les impératifs de sécurité et de prévention des risques.
Tatiana Naounou
Juriste TUTOR – Groupe Pôle Prévention