En 2021, la Carsat Bretagne a publié La prévention des risques professionnels chez les poissonniers, un guide destiné à aider les chefs d’établissements du commerce de détail de la poissonnerie à adopter une démarche de prévention des risques professionnels. Cinq établissements du secteur ont ouvert leurs portes aux experts du service Prévention de la Carsat Bretagne dont l’ergonome Christine Fernandes.
Pourquoi, avec cette étude, avoir ciblé l’activité des poissonniers en particulier ?
À l’origine, il y avait des questionnements sur la faible attractivité des métiers de la poissonnerie, des conditions de travail difficiles et le maintien d’un savoir-faire. Le renouvellement de la profession étant difficile, cette demande d’étude nous a été formulée par un des membres de la Commission paritaire de la Carsat Bretagne : Pierre Labbé président de l’Union nationale de la poissonnerie. Il souhaitait que cette étude sur la prévention des risques mette en lumière, en particulier, toutes les situations présentant des problématiques liées aux troubles musculo-squelettiques afin d’améliorer les conditions de travail dans la poissonnerie de détail. Nous avons donc scrupuleusement observé l’activité de cinq poissonneries de la région Bretagne qui avaient à la fois des points de vente fixes et mobiles car les contraintes n’y sont pas les mêmes.
Cette étude n’était donc pas forcément liée, en tant que telle, à une problématique de sinistralité ?
En effet, il n’y avait pas un surplus de sinistralité dans les entreprises de la poissonnerie. Principalement, les lésions occasionnées par des accidents du travail dans la poissonnerie de détail, en point de vente fixe ou mobile, concernent les membres supérieurs, doigts et mains en particulier. On peut supposer qu’il s’agisse principalement de coupures ou de blessures à la manipulation d’objets ou d’instruments de travail. Mais le dos est également impacté, lors des étapes de manutention manuelle par exemple. La problématique des troubles musculo-squelettiques est donc bien réelle. Les arrêts de travail liés à ce problème y sont fréquents mais on se contente généralement de parler de mal de dos et on travaille avec ces douleurs inhérentes à l’activité. Cette pénibilité s’est imposée comme un frein au renouvellement de la main d’oeuvre et à la reprise d’activité par des jeunes.
Quels sont les principaux constats liés à cette étude de terrain ?
Nous avons pu observer qu’il y avait énormément de contraintes liées aux manutentions manuelles et de contraintes posturales, beaucoup de sollicitations des membres supérieurs. En outre, sur l’activité de marché en particulier, s’ajoutent le risque routier qui demeure important, les risques de chute sont également élevés, car l’activité nécessite des déplacements sur des sols généralement mouillés, et bien sûr les risques de coupure.
Ce que nous n’avions pas anticipé sur les marchés, ce sont les facteurs aggravants tels que : l’exposition au froid et plus généralement aux intempéries et l’importance de la forte saisonnalité par rapport à la pêche et au type de produits disponibles à la criée. Or, ce sont parfois les arrivages qui déterminent les acquisitions du poissonnier qui peut aussi avoir à surcharger son véhicule par opportunité.
Il y a une tendance actuelle qui est de charger parfois les petits VUL au maximum. Toutefois, pour ces véhicules sans hayon, cela signifie que le chargement et le déchargement des caisses ou des bacs de criée sont des opérations qui s’effectuent à la main.
Faut-il parler de manquements en termes de prévention des risques ?
Globalement, on ne constate pas de manquements et je précise que notre étude a été réalisée sur l’ensemble de la chaîne de l’activité, de la criée à la vente sur l’étal sur le marché ou en point de vente fixe. Certes, sur la partie transport certains professionnels pourraient être mieux préparés avec un véhicule à hayon et un transpalette, en raison des charges lourdes : bacs de criée ou de glace, à déplacer de manière répétée parfois. Il faut pouvoir transférer les piles de bacs sans efforts physiques excessifs. Tire bacs ou roule bacs sont indispensables, mais ce n’est pas toujours possible. L’environnement de travail ne se prête pas forcément aux solutions courantes. Pour un poissonnier établi dans un centre-ville, par exemple, dans des rues étroites et difficilement accessibles, il y a peu de solutions.
Le véhicule reste un investissement important, quant à l’usage du transpalette il n’est pas toujours adapté à l’espace de circulation disponible. Ainsi, les aides à la manutention doivent être réalistes. Sur les Halles à Rennes, par exemple, la glace est stockée en palbox [NDLR : caisses palettes de grand volume] et manutentionnée par transpalette uniquement, mais ce n’est pas toujours aussi évident d’avoir ce type d’équipements sur toutes les aires de marchés.
Revenons-en aux TMS. Le contexte de l’activité de poissonnier, les rend-ils inévitables ?
C’est nous qui parlons de TMS, de risques de manutentions manuelles et de postures contraignantes. De leur côté, les salariés du secteur évoquent, eux, le mal de dos, des douleurs continuelles et lancinantes et plus généralement la pénibilité de leur métier.
Les risques de TMS sont essentiellement dus à la manutention de charges lourdes avec des bacs à déplacer de manière répétée et qui peuvent dépasser les 15 kilos. On est face à des amplitudes articulaires avec des postures en antéflexion du fait des étals très profonds, par exemple, le buste penché vers l’avant, les bras loin du corps pour accéder à la marchandise et l’installer sur la totalité de l’étal. Tous ces éléments, et l’aggravation à cause du froid, contribuent à une survenue de TMS potentiellement importante chez les poissonniers.
Quelles sont les solutions sachant que, pour les poissonniers, on parle essentiellement de TPE ?
Certes, les poissonniers peuvent toujours bénéficier d’offres de services, des appuis méthodologiques liés à la construction d’une poissonnerie, par exemple, mais cela peut être aussi avec le Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (FIPU), des financements d’aide à la manutention.
Suite à cette étude, la Carsat a aussi participé, toujours à la demande de Pierre Labbé (UNP) à l’élaboration d’un cahier des charges pour la remorque idéale, emblématique d’une activité de marché pour laquelle il y a beaucoup de manutention. Son déplacement est motorisé, l’installation des auvents est mécanisée, etc.
Ainsi, la Carsat et surtout la CNAM peuvent toujours aider financièrement des entreprises, que ce soit sur la conception de locaux, l’acquisition d’aide à la manutention ou simplement en conseillant sur l’aménagement des locaux, sur les caractéristiques techniques des sols, notamment pour prévenir les chutes de plain-pied, ou avec des actions telles que PréventiCoupe (voir encadré page 9).
Il y a donc dans le secteur une réelle volonté d’améliorer la prévention des risques ?
Oui. Honnêtement, les poissonniers ont la volonté d’améliorer les conditions de travail pour les rendre plus acceptables. Ils évoquent volontiers une économie de l’effort dans l’idée de travailler le plus longtemps possible dans cette activité puisqu’on est aussi maintenant dans cette perspective là avec l’allongement des carrières professionnelles. On est en présence d’entreprises familiales, ayant le souci de préserver la santé de leurs salariés d’autant plus qu’il y a peu de turn-over en général dans le métier.
Propos recueillis
par Stéphane Chabrier