À compter du 1er juillet 2022, tous les nouveaux modèles de véhicules sortiront d’usine équipés d’un enregistreur de données d’événements. Une sorte de “boîte noire” qui servira, comme dans l’aéronautique, à mieux comprendre les accidents de la route.
Pour faire progresser la sécurité des déplacements routiers, la Commission européenne mise sur les nouvelles technologies. Son cheval de bataille est un règlement (UE 2019/2144), adopté le 27 novembre 2019, qui prévoit d’embarquer dans les véhicules pléthore de dispositifs d’aide à la conduite (détecteur de vigilance, freinage automatique d’urgence, détecteur d’obstacles…) ainsi que des enregistreurs de données d’événements (EDR, pour Event data recorders). Comme sur un avion, Ces derniers permettront d’analyser les accidents éventuels en restituant des informations relatives au fonctionnement du véhicule et de ses systèmes au moment du sinistre, soit un peu à la manière d’une “boîte noire” dans un avion. “Les données que les EDR sont capables d’enregistrer et de mémoriser, en ce qui concerne l’intervalle de temps, peu avant, pendant et immédiatement après une collision comprennent la vitesse du véhicule, le freinage, la position et l’inclinaison du véhicule sur la route, l’état et le taux d’activation de tous ses systèmes de sécurité, le système eCall embarqué fondé sur le service 112, l’activation des freins et tout autre paramètre d’entrée pertinent des systèmes embarqués de sécurité active et d’évitement des accidents…”, explique le règlement.
Des données anonymisées
D’ores et déjà, un principe de protection des données personnelles a été retenu : toutes les informations recueillies devront être anonymisées. Par conséquent, il sera impossible d’identifier le conducteur ni même le véhicule en cause. Lors de l’enregistrement, le numéro de châssis (VIN) à 17 chiffres, inscrit sur la carte grise, devra être amputé des quatre derniers chiffres.
L’objectif de ces EDR n’est clairement pas d’établir des responsabilités et encore moins de rechercher des coupables en cas d’accident. Les informations recueillies anonymement serviront aux autorités et aux chercheurs pour mieux comprendre le déroulement des accidents, le comportement des véhicules et le déclenchement des aides à la conduite, dans le but d’améliorer la sécurité routière. Pas question pour une entreprise, par exemple, d’avoir accès aux informations contenues dans les enregistreurs des véhicules de sa flotte. Pourtant, à moins d’un an de l’introduction des EDR, la Commission européenne, les parlementaires et les lobbys bataillent ferme autour d’un protocole additionnel qui définira les procédures de test et les spécifications techniques de ces enregistreurs de données.
Des exigences à préciser
Premier enjeu, verrouiller l’accès au contenu de ces EDR. L’Union européenne demande aux constructeurs automobiles de leur proposer : un accès sécurisé aux données, leur extraction et leur lecture (pour obtenir des rapports). Il est déjà certain qu’il n’y aura pas d’application mobile ou tout autre dispositif d’accès à distance. Pour lire le contenu d’un EDR, il faudra se brancher sur un port série du véhicule. Cet équipement existe déjà sur les voitures actuelles. “Chez Renault, c’est un ajustement des logiciels pour rendre accessibles des données qui ne l’étaient pas auparavant. Il n’y aura pas de boîtier supplémentaire, donc pas de coût supplémentaire pour le client”, rassure une porte-parole de la marque. Les constructeurs automobiles, qui disposent déjà d’une mine d’informations sur le fonctionnement technique des véhicules, devront simplement recalibrer leurs systèmes pour extraire les données au format voulu. Ils attendent désormais des précisions de l’Union européenne concernant : l’effacement des données, la résistance des EDR aux crash-tests ou la pérennité des enregistrements, si la batterie du véhicule tombe à plat. Un des enjeux les plus âprement débattus concerne la liste des données à exclure de l’enregistrement. Cette liste devrait être définie d’ici la fin de l’année 2021.
La bataille des accès fait rage
Une certitude est acquise : ni les propriétaires ni les conducteurs des véhicules n’auront accès aux données des enregistreurs. Même les forces de l’ordre n’en seront pas destinataires, ce qui exclut que les boîtes noires soient utilisées systématiquement pour caractériser des infractions. Cependant, dans le cadre d’une enquête judiciaire, un juge pourrait prendre une réquisition dans le but obtenir des données des EDR lorsqu’elles sont susceptibles de concourir à la manifestation de la vérité. Mais, en définitive, les informations seront essentiellement destinées aux enquêteurs techniques et aux organismes d’études dans des conditions qui restent à préciser. En l’état actuel, ceux liés à la sécurité routière pourraient se voir priver d’un accès aux informations concernant la localisation et le timing des accidents. À Bruxelles, l’ETSC (European transport safety council), qui milite en faveur de la sécurité routière, réclame un réexamen du texte. “Il faut pouvoir relier ces données à un accident. Or, si un véhicule équipé d’EDR est impliqué, nous n’aurons pas les moyens de comprendre où et quand. Ce ne sera donc pas très utile”, alerte Dudley Curtis, porte-parole de cette organisation non gouvernementale.
Quant aux assureurs, ils sont également absents de la liste des bénéficiaires d’un accès aux données d’accident de ces EDR. Les entreprises, qui ont parfois des flottes de véhicules importantes, n’ont donc pas à redouter une quelconque réévaluation de leurs primes annuelles sur la base des informations enregistrées dans les véhicules. Tout au plus, ces enregistreurs de données pourront-ils aider une conscience du risque, certains conducteurs choisissant de se montrer plus prudents, se sachant “enregistrés”. Mais ce facteur psychologique ne devrait pas influer sur la tarification. “Il n’y aura pas de baisse des cotisations car les véhicules coûteront de plus en plus cher en fabrication et en réparation, or, l’assurance automobile est un marché déjà tendu”, pronostique Karl Westeel, chargé de mission à la Fédération des agents d’assurance (Agea).
L’application en France
Cependant, la France n’a pas attendu que la réglementation européenne soit figée pour encadrer les EDR. Depuis le 4 avril 2021, une ordonnance réglemente l’accès aux données des véhicules suivant les mêmes principes : absence de recherche d’infractions au Code de la route et protection des données personnelles, sur lesquels veille la CNIL. “L’accès aux données, s’il doit intervenir, doit être encadré. On doit savoir qui y accède, quand, pour quels motifs, sur quelle base légale… De plus, le traitement de données doit être transparent vis-à-vis des personnes concernées et ces dernières doivent être informées des différents traitements envisagés. Elles devront également être en mesure d’exercer les droits qui leur sont octroyés par la réglementation”, rappelle un porte-parole de cette autorité.
Jean-Philippe Arrouet