Depuis trois ans, l’Ifop réalise pour Back Office Santé un Baromètre des décisionnaires RH et des enjeux de santé au travail. La dernière édition montre que la santé des collaborateurs s’est durablement installée au coeur des préoccupations des entreprises. Elle souligne aussi que la crise sanitaire a provoqué une modification durable de l’état psychologique de nos compatriotes et de leurs attentes en termes de conditions et qualité de vie au travail. En voici une synthèse.
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1. La santé des collaborateurs vue comme un enjeu collectif
Le premier enseignement de l’enquête est la place importante que prennent désormais les questions de santé pour tous les acteurs de l’entreprise. Les responsables RH affirment en effet être régulièrement consultés sur des enjeux de santé au travail par les salariés de plus de 40 ans (82 %), les managers de proximité (81 %), les non-managers (78 %), les responsables de services ou de départements (74 %), les salariés de moins de 40 ans (72 %), le Comité social et économique (72 %), la Direction générale (72 %) et les organisations syndicales (71 %). De façon plus significative encore, 82 % des décisionnaires RH affirment être consultés régulièrement par au moins quatre acteurs de l’entreprise à ce sujet.
Preuve que les questions de santé sont envisagées comme centrales dans le bon fonctionnement de l’entreprise, lorsqu’on leur demande quels sont, à leurs yeux, « les acteurs ayant la responsabilité la plus importante en matière de santé au travail des collaborateurs », ils citent les managers (24 %), les dirigeants (19 %), les responsables RH (15 %), la médecine du travail (12 %), les collaborateurs eux-mêmes (12 %), suivis des élus et délégués du personnel (5 %), de l’assureur santé et prévoyance de l’entreprise (5 %), de la branche professionnelle de leur secteur d’activité (4 %) et des actionnaires (2 %).
Cet éclatement des réponses témoigne d’une vision transversale de la santé des collaborateurs qui, loin d’être considéré comme un sujet annexe ou une chasse gardée de spécialistes, concerne tous les acteurs de l’entreprise. Cette façon de voir entre en résonance avec l’obligation des entreprises de développer une culture de la prévention partagée par tous les membres de l’entreprise dans un effort collectif de progrès continu.
Elle transparaît aussi dans « les enjeux perçus comme les plus importants pour la qualité de vie au travail ». Les responsables RH citent en effet « le bon équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle », « la qualité des relations humaines », « la charge de travail » ou « les pratiques managériales » au même titre que « la prise en compte de la santé des collaborateurs par votre entreprise en leur proposant des actions de prévention ».
2. La “grande fatigue” des salariés en tête des préoccupations
Questionnés sur « les motifs qui ont concerné une proportion importante des arrêts maladie dans votre entreprise », les responsables RH sont 67 % à citer « la grande fatigue » des salariés. Cette observation fait écho au Baromètre Diot Siaci Ifop de l’absentéisme au travail, une enquête réalisée par l’institut Ifop auprès de salariés s’étant fait prescrire un arrêt de travail en 2022 : 32 % d’entre eux affirmaient également avoir été arrêtés pour cause de « grande fatigue ».
Cette fatigue n’est évidemment pas que physique mais traduit un état persistant de fatigue psychique né lors de la crise sanitaire et identifiable au-delà de la sphère professionnelle. Dans une note réalisée pour la Fondation Jean Jaurès, Romain Bendavid, directeur de l’Expertise Corporate & Work Experience de l’Ifop, souligne ainsi que « 41 % des Français estiment être plus fatigués après un effort physique par rapport à avant la crise sanitaire, alors que seulement 5 % affirment être moins fatigués » et que « l’on observe des baisses de la fréquentation du cinéma ou encore de la pratique sportive des jeunes ».
Cette sorte d’épuisement moral semble confirmée par deux autres motifs d’absence pointés par les responsables RH chez les salariés de leur entreprise : « le sentiment de démotivation et/ou de perte de sens de son travail » et « les risques psychosociaux (RPS) comme les situations de stress ou les burn-out », sont respectivement cités par 73 % et 71 % d’entre eux. S’agissant des RPS, la progression est spectaculaire, car, en 2002, ils n’étaient cités comme motif d’absence que par 56 % des professionnels des RH.
Les autres motifs d’absence cités sont « les maladies ordinaires ou saisonnières comme la grippe, les bronchites, les gastro-entérites etc. » (66 %), « les troubles musculosquelettiques (TMS) » (66 %) et “les maladies graves chroniques” (64 %). Selon les responsables RH interrogés, ces évolutions ne sont pas encore arrivées à leur terme car ils constatent, sur les 12 derniers mois, une aggravation des « signes de fatigues », « pertes de motivation et de sens au travail » et « risques psychosociaux ».
Même si ces tendances post-Covid affectent la société tout entière, les experts de l’Ifop notent que les entreprises ne sont pas impuissantes à agir. En effet, selon le Baromètre Diot Siaci Ifop de l’absentéisme au travail, « l’immense majorité (83 %) des salariés arrêtés pour cause de RPS, d’une grande fatigue ou de TMS estime que ces arrêts étaient directement liés à leurs conditions de travail. » Si bien que l’amélioration de celles-ci, y compris en résolvant du mieux possible les facteurs de pénibilité physique, reste probablement le meilleur moyen de surmonter le défi de la « grande fatigue » et de la démotivation.
3. Un levier de performance encore trop peu utilisé
Le troisième volet de l’enquête porte sur la prise en compte des enjeux de santé des collaborateurs par les entreprises. Sur ce point, force est de constater qu’une certaine frustration domine. En effet, 77 % des responsables RH estiment que leur entreprise devrait consacrer plus de temps aux enjeux de santé au travail.
S’agissant de la vision que les entreprises ont de la santé, les réponses sont plus polarisées. 56 % des responsables RH déclarent que « leur entreprise a une vision globale de la santé de vos collaborateurs », 55 % qu’elle « mène régulièrement des actions de prévention », 49 % qu’elle « agit plutôt de façon préventive en matière de santé au travail » et 48 % qu’elle « mesure régulièrement l’efficacité des actions mises en place ».
Le nombre de responsables RH qui constatent un engagement croissant de leur entreprise augmente cependant de façon significative. Ainsi, 71 % des professionnels interrogés déclarent que « les enjeux de santé au travail sont devenus plus importants dans leur entreprise », contre 66 % en 2022. De même, 68 % disent que leur entreprise « met actuellement en place des actions de prévention pour les collaborateurs » et 64 % qu’elle « prévoit de mettre en place davantage d’actions de prévention à l’avenir » (vs 49 % en 2022).
Parmi les actions nécessitant une mobilisation à court ou moyen termes, les décisionnaires RH citent prioritairement les risques psychosociaux (93 %), les troubles musculosquelettiques (88 %), l’hygiène de vie en général : poids, tabac, activité physique, etc. (89 %), les bilans visuels (86 %) et auditifs (85 %), le dépistage des cancers (86 %), la nutrition (84 %), ainsi que l’’accès à la vaccination DT Polio et grippe.
Interrogés sur « les conseils ou services les plus en mesure d’intéresser les collaborateurs de leur entreprise », ils placent en tête : les conseils pour mieux gérer le stress et prévenir les burn-out (44 % de réponses positives), une aide psychologique en cas d’accident du travail, de difficultés professionnelles ou personnelles (40 %), la prévention des TMS via notamment des conseils d’ostéopathes, des formations ou conférences (35 %), l’accompagnement en cas d’arrêt maladie longue durée pour faciliter un retour au travail (28 %), des conseils sur l’hygiène de vie : poids, tabac, activité physique, sommeil, etc. (26 %) et le soutien aux personnels « aidants » (21 %).
L’impact positif des actions de prévention en santé au travail est souligné par les professionnels. 70 % estiment que celles que leur entreprise a prises jusqu’ici ont permis « de faire davantage prendre conscience aux collaborateurs de l’importance de leur santé » et « d’améliorer la santé, le bien-être et la qualité de vie au travail ». 66 % considèrent également qu’elles ont « valorisé l’image et l’attractivité de l’entreprise » tandis que 57 % jugent qu’elles ont « renforcé l’engagement des collaborateurs à l’égard de l’entreprise ».