Dans le monde professionnel, les risques d’accident de travail (AT) auxquels sont soumis les salariés sont inhérents à l’activité d’une entreprise, quel que soit son secteur d’activité. Face à ce danger, savoir réagir est un gage de responsabilité de l’employeur, prévenir l’accident en est un autre.
En 2022, l’Assurance Maladie a enregistré 788 604 déclarations d’accidents du travail (AT), dont 94 % ont été reconnus et 127 297 accidents de trajet. Si pour ces derniers l’évolution est à la stabilité (- 0,5 %), la baisse est beaucoup plus marquée pour les AT (-5,9 %) par rapport à 2021 et elle s’inscrit dans une tendance générale de décrue depuis une quinzaine d’années. Le régime agricole déplore de son côté 35 623 AT avec arrêts de travail.
Ces résultats favorables cachent malgré tout des perspectives moins réjouissantes. Le nombre total de décès intervenus dans le cadre du travail est en forte augmentation. Il s’élève à 738, en 2022 (645 en 2021), selon l’Assurance Maladie et à 51 dans la filière agricole. Rappelons que cet indicateur est retenu comme étant stratégique dans le Plan national santé au travail 4, notamment concernant les décès de salariés de moins de 25 ans (36 en 2022).
La méconnaissance ou la sous-estimation des risques, l’absence de mesures préventives et le manque de formations adaptées sont des éléments qui peuvent sinon provoquer un accident, a minima amplifier sa gravité. Un accident de travail est considéré comme grave lorsqu’il entraîne une incapacité temporaire ou permanente du travailleur ou son décès, selon l’INSEE.
Pour la CNAM, c’est une incapacité permanente partielle d’au moins 10 % qui définit un AT grave. Le niveau des prestations liées à une incapacité permanente (IP) augmente de son côté de 2,3 % en 2022. Au-delà des accidents voire des drames humains qu’ils provoquent, les AT représentent aussi pour les entreprises un impact économique avéré, du fait des 50 millions de journées de travail perdues, au total, sans compter les conséquences en termes de productivité et d’organisation de l’activité.
Pourtant, il n’y a pas de fatalité et le meilleur moyen de le démontrer est de déployer une politique de prévention en continu. Pour y parvenir, une vision globale impliquant les employeurs, les travailleurs et les acteurs de la santé au travail, parmi lesquels les préventeurs, internes ou externes à l’entreprise, est indispensable.
Faire face aux accidents du travail
Grave, un accident du travail peut être vécu comme un traumatisme dans une entreprise, notamment dans les TPE où du fait des effectifs réduits regroupés le plus souvent sur le même site de travail, tout le monde se connaît. Quand les mesures de sécurité n’ont pas suffi à éviter l’accident, une capacité à intervenir rapidement est toujours nécessaire quand il survient.
Des mesures immédiates doivent être activées pour empêcher un éventuel suraccident, telles que : suspendre l’utilisation d’un équipement défaillant (machine, engin, outil…) ou qui pourrait ne pas avoir accompli son rôle (équipement de protection), interrompre une chaîne de travail mécanisée ou interdire l’accès à une zone de travail en raison par exemple de sa dangerosité mise en évidence par l’accident. Dans le meilleur des cas, l’entreprise dispose d’un sauveteur secouriste au travail (SST) formé aux premiers gestes. Si ce n’est pas le cas, la première personne sur les lieux de l’accident doit s’assurer avant tout qu’elle peut elle-même intervenir en toute sécurité et que la zone autour de la victime est sécurisée. Il faut s’assurer de l’état de la victime mais ne pas la déplacer sauf cas de danger imminent. Il faut aussi rapidement alerter un responsable ou un collègue pour appeler les secours… Autant de gestes et de comportements qui ne sont pas aisés à maîtriser dans l’urgence et qu’un collaborateur ayant été formé SST pourra envisager plus consciencieusement.
Une réflexion doit être menée pour comprendre toutes les causes de l’accident afin d’envisager puis de mettre en place des actions correctives. Dès lors, dans les entreprises de 50 salariés et plus, l’employeur doit informer le Comité social et économique (CSE) de la survenance d’un accident grave et le réunir, avec les membres de la Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) et d’un représentant du chef d’entreprise, afin de diligenter une enquête pour analyser l’accident et proposer des actions correctives.
Suivre la procédure administrative
Dans le cas d’un accident de travail ou de trajet, d’un salarié, et si celui-ci est en état de le faire, il doit informer l’employeur dans un délai de 24 heures, en précisant : le lieu, les circonstances et l’identité de témoins éventuels. Il doit également consulter un médecin qui constate son état de santé et établit le certificat médical. Après avoir été informé par le salarié, l’employeur doit, de son côté, effectuer auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA) une déclaration d’accident du travail (DAT) dans les 48 heures après avoir eu connaissance de l’accident, hors dimanche et jours fériés. Le respect de ces délais est indispensable et nul ne peut y déroger. Dans le cas inverse, le dépassement de ces délais implique systématiquement un refus de prise en charge de l’Assurance Maladie. Seuls trois cas d’exonérations sont admis : le cas de force majeure, qui doit être justifié, l’impossibilité absolue de la victime de prévenir son employeur, comme lors d’une hospitalisation dans un état grave, le motif légitime.
Si le salarié n’est pas en capacité de déclarer lui-même l’accident à son employeur, sa famille peut se substituer à lui pour effectuer la démarche tout en respectant le délai de 24 heures et fournir des pièces justificatives, comme le certificat médical et/ou l’arrêt de travail.
Si l’accident est mortel, l’employeur doit (depuis juin 2023) informer l’inspecteur du travail compétent, dans un délai de 12 heures. L’article R.4121-5 du Code du travail précise les informations à transmettre dans cette situation.
Dans le cas d’une blessure bénigne, il peut arriver que le salarié ne prévienne personne de son entourage professionnel et ne juge pas utile ou oublie de faire une déclaration d’accident. Mais, s’agissant des suites d’une blessure évoluant défavorablement, le salarié peut vouloir faire une déclaration d’AT tardive. L’employeur peut alors effectuer la DAT à l’Assurance Maladie. Il précisera néanmoins : avoir été averti moins de 48 heures plus tôt et s’il le juge nécessaire, il peut émettre des réserves sur le caractère professionnel dudit accident. Si c’est un intérimaire qui est victime d’un accident, l’entreprise d’accueil doit également informer l’agence d’intérim via un formulaire dédié (Cerfa n° 60-3741).
Dans tous les cas, il est important que l’employeur ne dépasse pas le délai imparti pour déclarer l’accident. Il s’expose dans le cas contraire à un certain nombre de sanctions ou pénalités du type :
– remboursement de la totalité des dépenses en lien avec l’accident,
– sanction administrative,
– condamnation au pénal (contravention de 4e classe, à 750 €, pouvant doubler en cas de récidive),
– exposition à une plainte du salarié.
En cas d’arrêt de travail, le salarié adresse à l’employeur l’avis d’arrêt de travail (volet 3) délivré par le médecin. L’employeur doit alors établir l’attestation de salaire du salarié, le plus tôt possible pour ne pas retarder le versement des indemnités journalières auxquelles il a droit.
L’employeur doit transmettre cette attestation à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) par courrier, via son logiciel de paye certifié ou en se connectant au site net-entreprises.fr. C’est sur la base de ce document que l’Assurance Maladie détermine si le salarié à droits à des indemnités journalières, et leur montant, pendant son arrêt de travail. Tout employeur, entreprise ou particulier, a l’obligation de fournir cette attestation, notamment en cas d’AT. Un refus pourrait lui valoir des sanctions aux prud’hommes.
Lorsque l’arrêt de travail est prolongé, il n’est pas nécessaire d’établir une nouvelle attestation si la prolongation est établie pour le même motif que l’arrêt initial et qu’il n’y a pas d’interruption entre les deux phases d’arrêt. En revanche, si la durée totale de l’arrêt prolongé est supérieure à six mois, il faut renouveler la démarche.
Prévention : identifier les risques ne suffit pas
Dans le cadre de son obligation de sécurité, le chef d’entreprise peut être tenu responsable d’un accident du travail (comme d’une maladie professionnelle) qui survient dans l’entreprise ou sur un chantier. L’employeur a l’obligation légale de prendre toutes les mesures de prévention indispensables pour garantir la sécurité (et la santé) de ses salariés.
Le Code du travail (article L.4121-2) énonce les neuf principes généraux de la prévention à respecter pour servir de socle à une démarche de prévention :
– éviter les risques,
– évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités,
– combattre les risques à la source,
– adapter le travail à l’homme,
– tenir compte de l’état d’évolution de la technique,
– remplacer ce qui est dangereux par ce qui l’est moins,
– planifier la prévention,
– prendre en priorité des mesures de protection collective,
– donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Parmi ces principes, l’évaluation des risques professionnels est une étape essentielle pour identifier les situations à risques au sein de l’entreprise. Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) permet de consigner dans le détail l’analyse des risques. Toutefois, identifier les risques est un acte nécessaire mais pas suffisant. Il faut sur la base du document mettre en place un plan d’actions de prévention.
Lancé en mars 2022, dans le cadre du Plan Santé au Travail (PST 4), le Plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels cible en particulier les jeunes et les nouveaux embauchés, les travailleurs intérimaires, les travailleurs indépendants et détachés, ainsi que les TPE-PME, et vise à prévenir les principaux risques professionnels tels que le risque routier professionnel, les chutes de hauteur et l’utilisation de certaines machines. Quatre leviers sont envisagés :
– des actions de sensibilisation et de formation (parcours de formation santé et sécurité pour les nouveaux embauchés, actions de sensibilisation à destination des intérimaires…),
– le renforcement des mesures de prévention (surveillance du marché des équipements de protection, généralisation de l’offre de couverture santé au travail pour les travailleurs indépendants…),
– le dialogue social (mieux adapter les actions aux réalités professionnelles),
– le développement d’outils de connaissance et de suivi des accidents graves et mortels.
Réduire les risques d’accident du travail dans une entreprise est un facteur de performance peu aisément quantifiable mais qui intervient assurément au-delà du danger potentiel vécu par les salariés. Il agit sur leur confiance et contribue à améliorer les conditions de travail et la qualité de vie au travail. Il stimule le développement d’une véritable culture de prévention et la fidélisation des salariés avec un impact sur l’organisation et la productivité de l’entreprise. Il renvoie aussi une image positive de l’entreprise auprès des fournisseurs et des clients ainsi que des clients potentiels.
Stéphane Chabrier
Intervenante en prévention des risques professionnels (IPRP) pour le Groupe Pôle Prévention depuis 6 ans, Coralynn Pierrat couvre les départements de la Loire et de la Haute-Loire, où elle intervient essentiellement pour des TPE, notamment dans les secteurs de la serrurerie-chaudronnerie, de la réparation automobile et du BTP.
“ À la suite d’un accident du travail (AT), la mise en place des mesures correctives ne peut faire l’économie d’une analyse de l’accident. Les petites structures telles que les TPE ne sont pas habitués à ce type d’exercice. Mon rôle d’IPRP est de mettre à leur disposition des outils pour y parvenir, comme un arbre des causes à constituer. Il est important pour eux de remonter aux causes de l’accident, en analysant la scène et les circonstances mais aussi le contexte général : le salarié avait-il été formé, était-il informé des consignes de sécurité, l’outil utilisé était-il en bon état, etc. Il faut aussi parvenir à mettre en exergue les éventuels manquements qui peuvent provenir d’un défaut d’usage d’un outil ou d’une machine.
Un AT, à l’origine, ce n’est pas uniquement une erreur humaine. Un accident peut avoir une multiplicité de facteurs. Il peut aussi y avoir des éléments déclencheurs liés au poste, à l’organisation ou à l’environnement de travail, etc. L’analyse des causes de l’accident est révélatrice de potentiels dysfonctionnements techniques, comportementaux et/ou organisationnels et permet de prévenir la survenue d’autres accidents. Il existe pour cela plusieurs méthodes qui se complètent :
– Les 5 M : matière, matériel, méthode, main-d’oeuvre, milieu.
– La méthode des cinq « pourquoi ». Exemple : pourquoi ce phénomène est-il apparu ? La réponse à ce premier « pourquoi » est une cause symptomatique. Reformuler une nouvelle question commençant par « pourquoi », afin de trouver le pourquoi du pourquoi. En général, avant le 5e « pourquoi », les causes racines du problème sont élucidées.
– L’arbre des causes qui est une représentation graphique de l’enchaînement logique des faits (une information, un état, une action exprimée de façon concise et qui est observable et/ou vérifiable, quantifiable) qui ont provoqué un accident.
Récemment, j’ai eu le cas d’un client, un fabricant de palettes, dont un salarié s’est blessé en manipulant un cloueur. L’accident a provoqué l’intervention de l’Inspection du travail. Celle-ci a demandé une analyse des causes et des mesures correctives. L’entreprise a donc procédé à l’analyse qui a révélé que le salarié utilisait une technique de manipulation de l’outil plus dangereuse que les autres salariés. Mais, en poussant plus profondément l’analyse, il s’est avéré que la taille des salariés utilisant l’outil intervenait dans la position de l’outil et de sa manipulation. Dès lors, le salarié victime de l’accident ne pouvait pas travailler en sécurité avec les outils existants. L’entreprise avait cerné la véritable cause de l’AT. Elle a dès lors pu mettre en place une mesure corrective concrète : un gabarit de positionnement des chevrons des palettes permettant au salarié de ne pas mettre les mains trop près de la zone à clouer. Les salariés concernés ont aussi bénéficié d’un rappel sur l’utilisation en sécurité des cloueurs.
C’est trop souvent encore l’accident qui va déclencher une prise de conscience des chefs d’entreprise sur la nécessité de mieux prendre en compte les risques et la volonté de développer une culture de sécurité. En présence, notamment, d’arrêts du travail relativement courts, d’une ou deux semaines voire de quelques jours, ils ont intégré le risque et l’éventualité de l’accident comme faisant partie des fameux « risques du métier ». Or, l’accident du travail n’est pas un fait inévitable ! Il y a des mesures de prévention de base et d’autres plus spécifiques qui peuvent être mises en place rapidement, parfois à moindres coûts. C’est dans l’intérêt des salariés et dans celui de l’entreprise de ne pas attendre l’accident parce que, quelle que soit son activité, il n’y a pas de fatalité.”
Intervenant en prévention des risques professionnels (IPRP) du Groupe Pôle Prévention, Benjamin Hily couvre les départements de l’Ain Haute-Savoie mais il intervient aussi dans l’Ain et en Savoie, dans un secteur où l’activité industrielle de décolletage (usinage de pièces) est très développée. La majorité de sa clientèle reste toutefois constituée d’entreprises du BTP ou des métiers du bois, menuiserie et charpenterie en particulier, des TPE d’une vingtaine de salariés au maximum.
“ Lorsque survient un accident du travail (AT) corporel avec un caractère de gravité important, c’est un gros traumatisme dans une entreprise. Cela impacte aussi les collègues de travail et peut générer une certaine inquiétude chez ceux qui au quotidien font les mêmes gestes dans les mêmes situations que le collègue accidenté.
Les chefs d’entreprise sont généralement sensibles aux risques majeurs dont les conséquences peuvent être potentiellement graves. Ainsi chez les charpentiers, le risque de chute est prépondérant mais leurs employeurs sont parfois désarmés, ne sachant pas exactement comment développer une culture de prévention. En tant que IPRP, nous devons les guider pour réduire et prévenir les risques liés à leur activité.
Attention, toutefois, à ne pas sous-estimer les petits bobos et traumatismes qui peuvent se comptabiliser pour l’entreprise en nombre de jours d’arrêt très important. Je prends l’exemple du BTP, des douleurs au dos qui deviennent chroniques peuvent déboucher sur des périodes de deux à trois semaines d’arrêt qui peuvent se répéter plusieurs fois dans l’année. Le nombre de jours d’arrêt peut être colossal pour l’entreprise si elle n’y prend pas garde !
Or, avec une analyse bien menée, il y a moyen de réduire drastiquement les jours d’arrêt de travail suite à ce type d’accidents, en mettant en place des mesures préventives efficaces. L’entreprise a beaucoup à gagner dans une telle démarche. J’ai l’exemple d’une entreprise de serrurerie-tôlerie de moins d’une dizaine de salariés, que je suis depuis une dizaine d’années. Son activité en atelier concerne principalement des opérations de soudage et d’assemblage de pièces métalliques. Quand j’ai commencé à travailler avec son patron, j’ai noté en faisant le point sur ses AT qu’il y avait chaque année deux ou trois accidents liés aux projections de particules métalliques dans les yeux. Cela représentait à chaque fois plusieurs jours d’arrêt pour un total d’une dizaine ou d’une douzaine de jours dans l’année. Les lunettes de sécurité étaient portées mais elles n’étaient pas adaptées à l’activité, les projections passant par-dessus ou par-dessous. Après quelques recherches, j’ai pu orienter mon client vers un modèle de lunettes plus englobant. Résultat ? L’entreprise n’a plus jamais subi ce type d’accidents. Certes, à l’achat, le nouveau modèle était un peu plus onéreux que le précédent, mais cet investissement a permis d’économiser à l’entreprise plus de dix jours d’arrêts de travail par an.
De la même manière, dans une entreprise de décolletage qui avait eu plusieurs cas d’AT, essentiellement des coincements de main dans des petits convoyeurs de pièces. Suite à un échange avec le chef d’entreprise et les salariés eux-mêmes, nous avons opté pour disposer un système de carter de protection mais aussi un système de ralentissement du convoyeur permettant à l’opérateur de faire ses manipulations de manière plus sûre.
Ainsi, quand il y a encore dans les entreprises l’idée que les accidents sont inhérents à l’activité professionnelle, c’est notre rôle en tant qu’IPRP de leur faire comprendre qu’on peut avoir des statistiques vierges en AT, y compris dans des activités avec des risques potentiellement élevés. Beaucoup d’entreprises finissent par atteindre cet objectif. C’est gratifiant pour l’employeur et le plus souvent, ça repose sur des mesures relativement basiques, de signalétique ou de sensibilisation des salariés via différents supports, qui sans révolutionner le fonctionnement de l’entreprise finissent par créer une culture de prévention.”