L’évaluation et la prévention de la pénibilité font l’objet d’un certain nombre de malentendus et de mauvaises interprétations qui peuvent conduire les employeurs à méconnaître leurs obligations en la matière. Voici quatre choses à savoir pour éviter les déconvenues.
1. L’évaluation de la pénibilité relève de l’obligation d’évaluation des risques professionnels et s’impose à tous les employeurs
L’évaluation des risques professionnels s’impose à tous les employeurs, publics comme privés (art L.4121-3 du Code du travail), y compris pour ceux de ces risques explicitement désignés, jusqu’en 2017, comme des « facteurs de pénibilité ». Cette obligation concerne tous les employeurs, quel que soit leur secteur d’activité ou leur effectif.
Conformément à l’article R.4121 du Code du travail, cette évaluation est nécessairement consignée dans un Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) auquel doivent être annexées : les données collectives utiles à l’évaluation des expositions individuelles aux facteurs de risques « pénibilité » et la proportion de salariés exposés à ceux-ci.
Attention : les entreprises qui estiment que leurs salariés ne sont pas concernés par les facteurs de risque « pénibilité » ne sont pas exonérées de la démarche d’évaluation car elles devront alors le prouver de façon incontestable pour éviter tout risque de contentieux.
De même, les référentiels de branches homologués ou les accords de branches étendus peuvent aider les employeurs pour évaluer l’exposition de leurs salariés à certains facteurs de risques, mais cela n’enlève rien à l’obligation d’évaluation et de prévention propre à l’entreprise.
2. La plupart des salariés employés dans les conditions du droit privé sont éligibles au Compte professionnel de prévention (C2P)
Tous les salariés des employeurs de droit privé, comme les entreprises ou les associations, peuvent acquérir des droits au titre du compte professionnel de prévention (C2P). C’est aussi le cas des membres du personnel des structures publiques lorsqu’ils sont employés dans les conditions du droit privé, comme les contractuels de l’administration.
Pour tous ces travailleurs, la nature de leurs contrats de travail (CDI, CDD, intérim, apprentissage…) n’a aucun impact. Il suffit que leur contrat soit d’une durée supérieure ou égale à un mois et qu’ils soient exposés à l’un ou plusieurs des 6 facteurs de risques concernés au-delà des seuils fixés par le Code du travail pour être éligible au C2P.
En revanche, les salariés affiliés à un régime spécial de retraite comportant un dispositif spécifique de reconnaissance et de compensation de la pénibilité (liste fixée par le décret n° 2014-1617 du 24 décembre 2014), les salariés du particulier employeur (comme les aides à domicile), et les travailleurs détachés en France ne sont pas éligibles au C2P.
3. L’évaluation de l’exposition des salariés aux facteurs de risques “pénibilité” doit être effectuée chaque année
« Les employeurs doivent évaluer l’exposition de leurs salariés chaque année et quel que soit le type de contrat, dès lors qu’il est supérieur ou égal à un mois », précise le site gouvernemental dédié au C2P (www.compteprofessionnelprevention.fr). Rien que de très logique puisque, « pour évaluer l’exposition des salariés, les critères d’intensité et de durée d’exposition sont pris en compte » et que « les seuils fixés par décret étant annuels, l’évaluation de l’exposition doit, en conséquence, être annuelle ».
Cette obligation implique d’ailleurs que le Document unique d’évaluation des risques soit également mis à jour annuellement car, précise encore le site gouvernemental, « l’évaluation de l’exposition des salariés est réalisée en lien avec la démarche d’évaluation des risques professionnels ». En effet, « le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP ou DUER) sert de repère pour apprécier les conditions d’exposition de vos salariés ». C’est pourquoi la plupart des employeurs réalisent l’évaluation de cette exposition lors de l’élaboration ou de la mise à jour leur document unique.
4. Le recours aux accords ou référentiels de branche n’exonère pas les employeurs d’une évaluation sur site des facteurs de pénibilité
L’article D4161-1 précise explicitement que, pour établir sa déclaration d’exposition de ses salariés aux risques professionnels facteurs de pénibilité, « l’employeur peut utiliser » l’accord ou le référentiel de branche et que, dans ce cas, il sera « présumé de bonne foi », s’il commet une erreur. Cet article est source de malentendu. Certains professionnels en ont en effet déduit qu’en procédant de la sorte, ils se retrouvaient exonéré de toute évaluation de la pénibilité sur site. Or, cette interprétation est totalement erronée.
Tout d’abord «peut» ne signifie pas «doit». Si un référentiel prévoit de la pénibilité alors qu’il n’y en a pas dans l’entreprise, ou l’inverse, l’employeur n’est pas obligé de l’appliquer. Mais il doit alors pouvoir établir la réalité de la situation de son entreprise avec le DUERP.
Ensuite, le même article précise que l’employeur doit, dans ces circonstances « tenir compte des mesures de protection collectives et individuelles appliquées ». Le terme « appliquées » signifie qu’il faut vérifier l’application effective des protections. Le résultat sera donc différent d’une entreprise à l’autre bien qu’elles appliquent le même accord.
L’application d’un référentiel n’exonère l’employeur d’aucune obligation d’évaluation, de prévention et de résultat. Les accords ou référentiels peuvent aider les employeurs mais en aucun cas se substituer à leur démarche d’évaluation et de prévention car ils portent sur les facteurs de risques liés au métier mais pas sur l’organisation spécifique de l’entreprise.
Synthèse réalisée par Christophe Blanc
Comment déterminer l’exposition à la pénibilité de ses salariés ?
C’est l’employeur qui procède à l’évaluation de l’exposition de ses salariés à la pénibilité au-delà des seuils fixés. À cette fin, il doit se référer aux accords collectifs de branche s’ils existent. Dans le cas contraire, il peut s’appuyer sur les référentiels de branche ou, à défaut, s’appuyer sur les guides et documents établis par les institutions et organismes de prévention pour élaborer son propre dispositif d’évaluation des risques.
- Cas n°1 Il existe un accord collectif de branche étendu caractérisant les postes, métiers ou situations de travail exposés à la pénibilité. Dans ce cas, l’employeur doit se référer à cet accord pour déclarer les expositions des travailleurs. Cependant, si l’employeur avait déjà mis en place, préalablement à la conclusion de cet accord, son propre dispositif d’évaluation des risques et d’identification des salariés exposés il pourra continuer à se fonder sur ce dernier pour ses déclarations ultérieures dès lors que ce dispositif n’est pas contradictoire avec celui de l’accord collectif. Attention : le recours à un accord collectif ne dispense nullement l’employeur d’évaluer la pénibilité sur site (voir point 4 ci-contre).
- Cas n°2 Il existe un référentiel professionnel de branche homologué caractérisant les postes, métiers ou situations de travail, exposés à la pénibilité. Dans ce cas, l’employeur est libre d’utiliser ce référentiel ou de recourir à son propre dispositif d’évaluation des risques et d’identification des salariés exposés. Ici encore, le recours à un référentiel ne dispense pas d’évaluer la pénibilité sur site.
- Cas n° 3 Il n’existe ni d’accord collectif de branche étendu ni de référentiel professionnel homologué dans la branche de l’employeur. C’est alors l’employeur qui doit évaluer l’exposition de ses salariés à la pénibilité, au-delà des seuils fixés. À cette fin, il prend en compte les conditions habituelles de travail caractérisant le poste occupé, telles qu’elles se révèlent être en moyenne au cours de l’année. Si un travailleur est affecté à plusieurs postes au cours de l’année, c’est l’ensemble des expositions subies par le travailleur sur l’ensemble de ces postes que l’employeur prend en compte pour déterminer son exposition moyenne annuelle. L’employeur peut tenir compte de la performance des équipements collectifs ou individuels, identifiée par le fabricant. À titre d’exemple, l’URSSAF explique que « dans un atelier où les travailleurs sont exposés au bruit, le fait d’apporter des modifications aux caractéristiques du local et de diminuer notamment ses caractéristiques en termes de réverbération du bruit peuvent conduire à améliorer le niveau de protection collective ; l’employeur est fondé à prendre en compte les informations sur les performances fournies par le fournisseur des matériaux absorbants apposés sur les cloisons. »
- À SAVOIR : Cette démarche pouvant s’avérer très complexe, les employeurs peuvent faire appel à des intervenants extérieurs rompus à cet exercice délicat. Cette aide est notamment proposée par le Groupe Pôle Prévention qui l’effectue, conjointement à la réalisation du Document unique d’évaluation des risques professionnels, sous la forme d’un Bilan Pénibilité Individualisé rassemblant en un seul document l’ensemble des conclusions relatives à la prévention de la pénibilité.