Accident mortel dans un cas de sous-traitance : le donneur d’ordre est responsable !

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Dans le milieu professionnel, la société donneuse d’ordre reste responsable de la coordination générale des mesures de prévention sur les chantiers et ne peut s’en exonérer en invoquant, en particulier, avoir confié la réalisation des contrôles et autres démarches à une société sous-traitante.

Dans le domaine du bâtiment ou du génie civil, la sous-traitance en cascade est une pratique courante. Nombre de sous-traitants font eux-mêmes appel à d’autres entreprises pour réaliser tout ou partie d’un projet pour lequel ils ont été sollicités.


Si cette chaîne de sous-traitance offre des avantages significatifs, tels que l’accès à une expertise spécialisée et une réduction des coûts opérationnels, elle peut également favoriser une dilution des responsabilités et nécessite une vigilance accrue, particulièrement de la part du donneur d’ordre dont la responsabilité peut être engagée à tout moment. Illustration avec le cas suivant.


Sous-traitance en cascade, une situation épineuse


En janvier 2016, à Vierzon (Cher), un technicien est électrocuté par un courant à haute tension, alors qu’il intervenait sur une armoire électrique basse tension. Les pompiers, appelés rapidement sur les lieux n’ont pu réanimer la victime qui est décédée. Une enquête pour homicide involontaire est ouverte et confiée aux policiers du commissariat de Vierzon. Ces derniers ont alors la tâche de déterminer les raisons pour lesquelles l’alimentation électrique n’était pas interrompue au moment de l’intervention du technicien. En effet, toutes les opérations sur les installations électriques doivent être réalisées hors tension. Or, selon les premiers éléments de l’enquête, le déraccordement de la haute tension n’avait pas été effectué.
À l’origine, le chantier appartenait à la société X qui avait confié les travaux à la société A (sous-traitant de rang 1), laquelle avait à son tour décidé de sous-traiter le chantier à la société B (sous-traitant de rang 2), dans laquelle travaillait la victime. Dès lors, il s’agissait là d’une situation de sous-traitance dite en cascade.


La société X, en sa qualité de donneuse d’ordre, ainsi que la société A, sont toutes les deux poursuivies pour le chef d’homicide volontaire sur la personne d’un salarié sous-traitant et condamnées par le tribunal correctionnel de Bourges à une amende de 200 000 € pour la première et 80 000 € pour la seconde. Cette condamnation sera confirmée par la cour d’appel de Bourges le 8 décembre 2022. La société X, donneuse d’ordre, décidera néanmoins de se pourvoir en cassation.

Pourquoi le donneur d’ordre était-il poursuivi dans cette affaire ? Il lui était reproché des négligences et des manquements à des obligations de sécurité ayant conduit au décès de la victime.


Rappelons que le donneur d’ordre est également responsable des conditions de travail et de la sécurité des employés du sous-traitant intervenant sur ses sites ou chantiers. Il doit à ce titre s’assurer que les normes de sécurité sont respectées. Même s’il ne peut être poursuivi au titre de la faute inexcusable en cas d’accident d’un salarié du sous-traitant, sa responsabilité peut toutefois être engagée sur le plan pénal s’il a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité. C’est le cas si le donneur d’ordre n’a défini aucune mesure spécifique d’organisation des interventions des autres entreprises intervenant sur son site vis-à-vis d’un risque identifié alors que le Code du travail prévoit l’obligation de mise en place de mesures de prévention face à ce risque.


Or précisément, pour prévenir le risque électrique, le Code du travail fixe les règles à respecter lors des opérations sur ou au voisinage des installations électriques (articles R. 4544-1 à R. 4544-11). Ainsi, les travaux sous tension doivent rester exceptionnels et ne peuvent être entrepris que sur ordre écrit du chef de l’établissement dans lequel ils sont effectués. Par ailleurs ces travaux doivent respecter les mesures de prévention définies dans les normes homologuées.


Le statut d’une norme en question


Dans notre affaire, les juges reprochaient à la société X d’une part de ne pas avoir cherché à savoir si le déraccordement de la ligne à haute tension avait été opéré et d’autre part de ne pas avoir respecté la norme NF C 18-510. Cette norme définit une procédure de consignation devant être réalisée par le chef de l’établissement dans lequel les travaux sont réalisés et elle est rendue obligatoire par l’article R4544-3 du Code du travail. Mais la société X soutient qu’elle n’a commis aucune négligence, ni manquement à ses obligations.


Pour se dédouaner de sa responsabilité, elle avance qu’elle avait confié à la société A, sous-traitant de rang 1, la réalisation de l’ensemble des contrôles et des démarches, mais également que la procédure de consignation n’était pas obligatoire car la norme NF C 18-510 invoquée dans ce cas ne lui était pas opposable. En effet, l’article R4544-3 portant sur les modalités d’exécution des opérations sur les installations électriques dans sa version en vigueur au moment de l’accident ne pouvait avoir qu’une valeur de recommandation, sans caractère obligatoire car seules les normes dont les références sont publiées au Journal Officiel de la république ont valeur contraignante. Or, l’arrêté publiant les références de la norme NF C 18-510 ayant été rétroactivement annulé le 10 février 2016, cette dernière était privée d’effet au moment de l’accident de janvier.


Il revenait à la Cour de cassation de déterminer si la société X, en sa qualité de donneur d’ordre, avait réellement commis des fautes ayant conduit au décès du technicien.


Les juges de la haute juridiction relèvent en premier lieu que la norme NF C18-510 n’était effectivement pas opposable à la société X en raison de l’annulation par le Conseil d’État de l’arrêté rendant obligatoire le respect de cette norme.


Cependant, ils jugent qu’eu égard au risque particulièrement important relatif aux travaux sur ligne à haute tension, la société X, à laquelle il incombait la coordination des mesures de prévention sur le chantier, aurait dû vérifier si le déraccordement avait bien été effectué. En considérant, sans vérification, que cette opération avait été réalisée, elle a commis une négligence et a manqué à ses obligations de sécurité, ce qui a conduit au décès de la victime.


La Cour de cassation rappelle que la société X, en sa qualité de donneur d’ordre, reste responsable de la coordination générale des mesures de prévention. Elle ne peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant avoir confié à la société A la réalisation de l’ensemble des contrôles et démarches. Elle confirme donc la position des juges précédents et rejette le pourvoi sur ce point.


La société X n’a plus le choix, elle devra s’acquitter d’une amende de 200 000 €, à laquelle il faudra probablement ajouter l’indemnisation des ayants droits de la victime qui se sont portés partie civile.


Au donneur d’ordre, la coordination générale des mesures de sécurité


Cette décision peut paraitre sévère mais la Cour de cassation l’explique par le risque que représentent les opérations sur ou à proximité des installations électriques, risque aggravé par la situation de coactivité.
En effet, les situations de coactivité sont identifiées comme des activités à risque aggravé. L’interférence des activités accentue les risques propres à chacune d’elles, et en crée de nouveaux. D’où l’attention particulière du législateur visant à limiter ces risques particuliers en constante progression et à promouvoir l’utilisation de moyens communs. Ainsi, lorsque plusieurs entreprises ou travailleurs indépendants sont appelés à intervenir simultanément ou successivement, dans des opérations de bâtiment ou de génie civil, la mise en place d’une coordination des mesures de sécurité est rendue obligatoire par le Code du travail.


Le donneur d’ordre est responsable de cette coordination générale et doit notamment veiller à la bonne réalisation du plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS) et à sa bonne mise en oeuvre (Art. R. 4511-5 du Code du travail).


C’est d’ailleurs sur cette obligation de coordination générale des mesures de prévention sur le chantier que s’est appuyée la Cour de cassation pour condamner le donneur d’ordre pour homicide involontaire. Ce faisant, elle rappelle que ce dernier ne peut pas se décharger totalement de ses obligations. Il doit s’assurer que l’entreprise sous-traitante applique les mesures de prévention nécessaires.


En conclusion


Cette affaire met en lumière les manquements que peut entraîner la sous-traitance en cascade en matière de santé et sécurité au travail. En effet, le donneur d’ordre peut avoir davantage de difficultés à contrôler la mise en oeuvre effective des mesures de prévention par les entreprises sous-traitantes qui sont, par conséquent, plus « éloignées » de lui. En outre, cela pose des questions lors de la réalisation du plan de prévention, et plus précisément de l’inspection commune préalable, qu’il est souhaitable de mener avec l’ensemble des entreprises sous-traitantes intervenant sur le chantier. La prudence s’impose donc, particulièrement dans les cas de sous-traitance en cascade.


Tatiana Naounou
Juriste TUTOR
Groupe Pôle Prévention

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